Les drones déployés à Paris vont-ils continuer à nous surveiller après le confinement ?

Depuis la mise en place du confinement contre la propagation du coronavirus, la police a déployé ses drones pour contrôler les rues de la capitale. Face aux risques pour notre vie privée, certains craignent de voir cette surveillance technologique se banaliser après la crise.

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"Restez chez vous, vous ne pouvez pas rester sur cette zone". Répété avec une voix robotique depuis le ciel, ce message censé pousser les Parisiens à respecter le confinement est diffusé depuis le 18 mars dernier par les drones de la préfecture de police. Les autorités ont en effet déployé ces appareils dans le cadre du "dispositif de surveillance aérien" contre la propagation du Covid-19 et Didier Lallement, le préfet de police, était même venu les observer voler dans le centre de la capitale, lors de la phase d’essai. Contactée, la PP explique que les engins "sont équipés d’une gamme d’accessoires permettant d’optimiser les différentes interventions", avec notamment "un haut-parleur qui informe le public par des messages d’informations et de mise en garde des contrevenants". Le tout, audible "jusqu’à 40 mètres de distance".Alors que l’utilisation des drones en pleine crise sanitaire peut poser question, comme d’autres outils de surveillance, la préfecture de police ajoute que "ces drones sont pilotés par des fonctionnaires de police disposant des certifications professionnelles adéquates et d’une expérience conséquente". "Avant l’épidémie, les drones étaient surtout déployés pour surveiller des manifestations ou des camps de migrants, mais aujourd’hui il y a un déploiement massif, à Paris mais également à Nice, s’inquiète Martin Drago, juriste et membre de la Quadrature du net, qui défend les droits et libertés numériques. Au début, on nous expliquait que les engins ne servaient qu’à diffuser des messages, maintenant on se rend compte que leurs caméras sont aussi utilisées pour repérer les gens qui pourraient échapper aux contrôles." Une information confirmée par la PP : "Ces moyens aériens permettent également de guider les équipes au sol".

Un cadre légal "très flou" pour la police, selon la Quadrature du net

Mais en quoi ce dispositif peut-il être un risque pour notre vie privée ? "Quand un système de vidéosurveillance est mis en place, il doit se limiter à l’espace public, et un cache doit apparaître sur les espaces privés, détaille Martin Drago. Mais en ville, comment peut-on assurer ça alors que le drone va croiser des dizaines de fenêtres sur son parcours ? D’autant qu’il y a un brouillard juridique autour de l’utilisation de ces engins par les autorités : le cadre légal est très flou. Les décrets concernés, qui visent à la fois l’usage civil et par la police, demandent une autorisation de la préfecture. Mais si les services de police l’estiment nécessaire, ils peuvent déroger aux règles. La PP déploie actuellement ses drones comme des voitures de police." Le juriste alerte aussi sur la question du "traitement de l’image" : "Si la police utilise des algorithmes pour de la détection automatique ou les mouvements de foule par exemple, et pourquoi pas à terme de la reconnaissance faciale, ça représente aussi un danger." Stéphane Morelli, co-fondateur d’Azur Drones, l’un des leaders du secteur français, dit "comprendre les craintes", tout en dénonçant "certains fantasmes sortis de la science-fiction" selon lui : "Si je reste confiné chez moi à Paris, et qu’un drone vient lorgner vers mon balcon, c’est sûr que je ne serais pas très heureux. Mais pendant le confinement, c’est l’occasion pour les forces de sécurité d’utiliser des moyens nouveaux. On est dans une situation exceptionnellement grave, et c’est un outil qui peut permettre aux agents de repérer un attroupement mais aussi d’éviter de se retrouver nez à nez avec des personnes potentiellement contaminées."
"Globalement, les drones permettent d’être plus réactif avec un niveau d’information élevé qui évite les angles morts, et si c’est utilisé avec discernement, ça peut faciliter la tâche aux forces de l’ordre pour faire appliquer les consignes sanitaires", défend le responsable conformité et affaires publiques de l'entreprise, qui reste centrée sur les "sociétés privées de sécurité" pour "la surveillance de sites sensibles, industriels ou nucléaires", loin des centres urbains.

Après la crise, le risque d’un usage banalisé des drones en ville par la police

Mais en pleine ville, l’utilisation des drones – avec les risques engendrés – ne risque-t-elle pas de se banaliser après l’épidémie ? De son côté, la PP indique simplement que son "unité des moyens aériens de la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (…) travaille toute l’année sur des missions diverses et continuera à le faire dans les conditions strictement encadrées par la réglementation". "La crise sanitaire accélère le processus déjà à l’œuvre depuis de longues années dans le discours sécuritaire, on déploie de plus en plus de technologies invasives à l’intérieur de nos villes", souligne au contraire le journaliste d’investigation Olivier Tesquet, auteur de "À la trace", une grande enquête sur "les nouveaux territoires de la surveillance" publiée en janvier dernier.

Les villes sont petit à petit militarisées

"Le contexte offre un levier extraordinaire, encore plus puissant que ceux utilisés jusqu’ici, analyse le journaliste, qui a par ailleurs écrit un article sur la question pour Télérama fin février. On observe d’ailleurs une continuité sémantique entre la guerre contre le terrorisme et la guerre contre le virus. Et par le passé, on a vu que des mesures comme avec l’état d’urgence ont été transposées dans le droit commun. Vigipirate, lancé en 1995, n’a par exemple jamais été levé. Pour les drones, on se rend compte que les villes sont petit à petit militarisées. On déploie dans l’espace urbain des technologies importées de l’industrie de la défense. Plus généralement, je me demande à quoi ressemblera la vie privée et le secret médical à l’avenir. Est-ce qu’on surveillera nos déplacements jusque chez nous ? Les normes sont susceptibles de vite évoluer, et il nous restera que nos yeux pour pleurer si on ne se mobilise pas."

La tentation d'un "solutionnisme technologique"

Olivier Tesquet pointe du doigt le risque d’"effets discriminants" : "Du moment où nous sommes en guerre, comme le répète le président Emmanuel Macron, cela signifie que nous avons un ennemi. Avant, on visait le terroriste. Maintenant, l’ennemi pourrait devenir la population potentiellement contaminée, précarisée, qui continue à travailler. Ces personnes seront peut-être ciblées par des mesures privatives de liberté." Le journaliste alerte également sur l’accélération des décisions : "Le propre de ces technologies de surveillance, c’est de comprimer le temps. On observait la Chine encore comme de la science-fiction il y a peu, mais le futur dystopique se retrouve presque transposé chez nous désormais, dans notre quotidien. Ce qu’on voyait dans "Black Mirror" semble aujourd’hui à peine une extrapolation du présent." "La France utilise d’ailleurs beaucoup le repoussoir chinois, alors même que nous achetons souvent du matériel technologique à la Chine, notamment des drones, poursuit Olivier Tesquet. Quel que soit les pays, même dans nos démocraties libérales, il y a une tentation sécuritaire assez universelle. La réponse offerte face à cette crise, avec des outils technologiques et policiers comme les drones, dit beaucoup de la nature du régime dans lequel on vit. Le solutionnisme technologique sert aussi à camoufler l’incurie de nombreuses politiques publiques. Pénurie de masques, crise de l’hôpital public… Il y a une tentation pour les gouvernements d’utiliser ces outils comme écran de fumée, pour une crise qu’ils n’ont pas su enrayer quand ils en avaient les moyens."

On n’a jamais été aussi prêt d’abandonner tout un tas de libertés au nom d’un impératif sanitaire

A Paris, les autorités balaient pour l’instant les critiques : "La préfecture de Police n’a pas observé de remontées particulièrement négatives sur l’utilisation de ses drones depuis le début du confinement". Olivier Tesquet se dit, lui, assez pessimiste : "Il y a une forme d’accoutumance chez une partie de la population, qui semble plutôt bien s’en accommoder. Nos défenses immunitaires, pour prendre une métaphore médicale, ont déjà été très affaiblies ces dernières années. Il est difficile de mobiliser l’opinion publique sur le sujet des dispositifs invasifs, et aujourd’hui le virus porte en lui un pouvoir normalisateur très fort. On n’a jamais été aussi prêt d’abandonner tout un tas de libertés au nom d’un impératif sanitaire, alors même qu’on devrait redoubler de vigilance."



 
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