Peut-on anticiper la circulation du coronavirus dans la population française ? Une large étude menée par des chercheurs qui analysent les selles dans les eaux usées tend à le montrer. Une étude particulièrement poussée en Île-de-France.
C'est un indicateur qui pourrait, à l'avenir, se révéler crucial aux autorités politiques pour gérer l'épidémie de la Covid-19. Plusieurs équipes de chercheurs travaillent depuis mars sur l'analyse des traces du virus dans les eaux usées. Une étude qui a débuté en Île-de-France et qui s'est poursuivie après la fin de la première vague. "La station d'épuration est une moyenne de ce qu'il y a dans les tubes digestifs. Quand on est Paris, une station d'Île-de-France, c'est environ 400 à 500 000 tubes digestifs", explique ainsi Laurent Maréchal, virologue à Sorbonne Université, et cofondateur du projet Obépine (l'Observatoire épidémiologique dans les eaux usées).
Les premières données tirées de cette première période permettent de conclure que cet indicateur est capable non seulement de prédire la circulation du virus mais aussi de démontrer "l'efficacité des mesures de confinement et qui ont, à peu de choses prêt, collées avec les données que l'on a obtenu en population", poursuit le chercheur.
Plusieurs semaines d'avance
Pour arriver à de tels résultats, les équipes analysent les eaux usées qui se trouvent dans quatre à six stations d'épurations de la région parisienne. "On a vu réapparaître le virus avec des concentrations très faibles aux alentours du 20 juin dernier dans plusieurs stations d'Île-de-France", indique Vincent Maréchal.Selon lui, "les données épidémiologiques en population ont commencé à devenir positives en Île-de-France à partir de mi-juillet et les hospitalisations se sont accentuées beaucoup plus tard. Dans ce sens, les eaux usées ont été très prédictives de la circulation de la seconde vague".
De la même façon, cette baisse de circulation du virus annoncé depuis plusieurs jours a été visible depuis le 2 novembre, même si le scientifique appelle à la prudence dans l'interprétation de ces résultats : "On a le sentiment qu'il y a une baisse de la circulation du virus qui serait, en Île-de-France, un effet du couvre-feu. On espère que la mise en place du confinement instauré plus tardivement va accélérer cette réduction de la circulation."
L'inconnue des asymptomatiques
L'indicateur, particulièrement précis en Île-de-France (comme en Bourgogne ou dans les Hauts-de-France), l'est moins dans d'autres régions comme dans les Pays de la Loire où les courbes ont tendance à se confondre.Cette prédiction, estimée dans la région francilienne à trois semaines voire à un mois si on la compare à la reprise des hospitalisations, serait probablement due au fait que le virus se retrouve directement dans les selles, même sur des personnes asymptomatiques. Mais de nombreuses inconnues persistent.
"On peut imaginer prélever directement dans les selles des gens. C'est ce que l'on va essayer de faire dans certaines populations pour évaluer le portage non-symptomatique. Aujourd'hui, on ne sait pas exactement qui sécrète le virus, combien un individu en sécrète et pendant combien de temps. On a quelques données chez les gens malades mais très peu sur les non-symptomatiques, soit une personne sur deux infectée", affirme Vincent Maréchal.
De nombreuses applications
L'autre question à laquelle les chercheurs tentent de trouver une réponse serait de quantifier le nombre de porteurs du virus à un moment donné en analysant la concentration du virus dans les eaux usées. Des mathématiciens de haut niveau se penchent actuellement sur ce volet de l'étude.Une méthodologie sur le Covid-19 qui pourrait servir pour de nombreuses autres maladies : toutes celles qui passent par le tube digestif comme la gastro-entérite.
Dans l'immédiat, "l'idée est de voir jusqu'où la courbe va descendre avant d'arrêter le confinement, si on l'arrête. Il va falloir utiliser cet indicateur en Île-de-France, là où il est bien validé, pour se maintenir sous un seuil. C’est-à-dire que si l'on voit les signaux en eaux usées repartir, on sait que si on ne fait rien, on va retrouver la situation que l'on a connue en septembre", conclu le virologue.
Les chercheurs espèrent ainsi qu'à l'avenir, les autorités de santé intègrent cet outil dans leur prise de décision et l'envisagent comme un paramètre prédictif important et fiable.