Ils occupent les terres agricoles de Gonesse pour empêcher leur urbanisation. La poignée de militants écologistes s’est peu à peu étoffée, donnant vie à une ZAD, une Zone à Défendre. Paroles de zadistes rencontrés à la veille de l’audience au Tribunal de Pontoise saisi pour occupation illégale.
Ils sont militants écologistes, membres du Collectif Pour le Triangle de Gonesse (CPTG) ou d' Extinction Rebellion. Certains se revendiquent de l’anarchisme, d’autres de la désobéissance civile. Beaucoup ont fait allégeance au "Serment du Triangle" à l’instar de personnalités politiques comme Yannick Jadot, eurodéputé Europe Ecologie Les Verts, Clémentine Autain, députée la France Insoumise de Seine-Saint-Denis ou Aurélien Taché, député Ecologie, démocratie et solidarité du Val-d’Oise, les engageant à "sauver ce patrimoine commun." Tous ont en commun la volonté de lutter contre le projet de la future gare de la ligne 17 sur les terres agricoles du Triangle de Gonesse.
Le petit village des Gaulois réfractaires
Pour entrer à l’intérieur de la ZAD, il faut attendre que l’on vous ouvre la porte, verrouillée par un cadenas. Derrière les murs de tôle, dans ce grand terrain vague, malgré le froid et la pluie, la vie s’y est organisée. Plusieurs cabanes faites de bric et de broc. On y dort, on y cuisine, on se réunit. Chacun à son tour est de corvée de pommes-de-terre ou de vaisselle.
"Je suis arrivé le dimanche 7 février au tout début de la ZAD. Je suis de Taverny dans le Val-d’Oise. Je soutiens les actions de Bernard Loup depuis plusieurs années. (ndlr, le président du CPTG qui milite pour la préservation des terres agricoles du Triangle de Gonesse). Je tiens à honorer ma prestation de serment, (ndlr, le Serment du Triangle, une pétition pour sauver les terres de Gonesse de l'urbanisation) et je tiens à rester jusqu’à l’annonce de l’abandon du projet de cette gare inutile", assure Djissi*.
"Sur la Zad, ce sont essentiellement des personnes qui ont l’habitude d'engager leur personne pour des causes, qui ont l’expérience des squats. Nous partageons les mêmes valeurs de l’auto-organisation. Il n’y a pas de chef, toutes les grandes décisions sont prises à la suite de réunions. Chacun est autonome et est invité à travailler sur le chantier participatif. Notre petit village de Gaulois réfractaires a poussé comme un champignon", sourit Djissi.
A la veille d'une décision judiciaire qui pourrait prononcer le démantèlement de la ZAD, Djissi l'affirme : "Si nous sommes expulsés, je ferai de la résistance par la communication, par la pédagogie, par l’explication. Je resterai sur place dans une position de désobéissance civile non violente."
On nous oppose des projets d’intérêt public, le logement, la création d'emplois, l'activité économique et pour cela on sacrifie des terres agricoles
Iceberg* habite en Seine-Saint-Denis. Il est sympathisant du CPTG, Collectif pour le Triangle de Gonesse, et également du projet Carma, (projet de bio-compostage, de maraîchage et d'horticulture sur le Triangle de Gonesse). Il se considère défenseur des terres agricoles au sens large. "J’ai signé le serment du 17 janvier, (Ndlr, Serment du Triangle) et ce qui nous réunit ici, c’est de préserver les terres", affirme-t-il.
"La ZAD est un moyen. Il faut sortir du fantasme du zadiste qui serait sur ses positions radicales, qui souhaiterait ne pas discuter. Seulement, le Président de la République et ses prédécesseurs se sont engagés sur un certain nombre de choses et aucun de ses engagements n'est respecté", dénonce-t-il. Et d'ajouter : "Aujourd’hui nous n’avons plus le choix, l'agriculture intensive et chimique a défoncé nos terres."
"Les luttes qu’elles soient d'ici ou d'ailleurs se ressemblent. A chaque fois, on nous oppose des projets d’intérêt public, le logement, la création d'emplois, l'activité économique et pour cela on sacrifie des terres agricoles", déplore-t-il.
"Je vous réponds en tant que jeune qui n’a pas envie de participer à ses emplois destructeurs de l’environnement, qui croit plus en ce que dit le gouvernement ou Emmanuel Macron. On a envie d’autre chose. Le projet agricole défendu par la ZAD est également créateur d’emplois. Des emplois qui font sens".
Les échanges sont nombreux, une culture politique se construit
Zinga* est étudiante, elle occupe la ZAD depuis le 7 février. Elle a connu les premières nuits froides. "Cette semaine on est trempé mais on est content d’être là. Je viens de l’Essonne et me suis déjà mobilisée pour la préservation du plateau de Saclay. Dans ce collectif qui lutte contre la ligne 18, on a très vite vu le lien entre ces deux combats. Nous ne voulons pas que le projet du Grand Paris Express, cheval de Troie à l’urbanisation totale, bétonne des terres agricoles ici comme à Saclay", affirme la jeune femme.
"De plus en plus de personnes nous ont rejoints. Il a y des gens très différents, jeunes, plus anciens, des autonomes, des gens proches de l’anarchisme, d’Extinction Rébellion, de collectifs locaux comme Aubervilliers ou Saclay. Des militants qui se reconnaissent dans la lutte contre le Grand Paris, contre les Jeux Olympiques de 2024 et plus généralement contre l’artificialisation des terres agricoles ou des espaces naturels", ajoute-elle." Et de poursuivre : "On est de plus en plus nombreux. Les échanges sont nombreux, une culture politique se construit. Il y a vraiment un mouvement qui peut sortir de ce qui se passe ici et qui rejoint les mobilisations contre la loi Sécurité Globale et les violences policières".
"Pourquoi avons-nous fait cette ZAD ? C'est pas parce que l’on aime des nuits à -10 degrés sous une tente, c’est parce que nous sommes dans un État de plus en plus sécuritaire et que les militants écologistes sont maintenant réprimés", dénonce-t-elle.
"On essaie également de créer des liens avec les jeunes des quartiers populaires qui sont bien plus réprimés que nous. On ne va pas se mentir, il y a peu de personnes racisées sur place. Du coup il faut créer du lien, il faut que les terres agricoles servent à nourrir les populations les plus précaires celles qui sont réprimées par un État de plus en plus sécuritaire", soutient-elle.
Si nous sommes expulsés, nous allons résister mais de quelle manière, nous devons en débattre
Sacha*, lui, a mis cette année ses études de biologie à la fac d’Orsay entre parenthèse. Il n’en est pas à sa première mobilisation. "Je fais partie du collectif qui lutte contre la ligne 18 du Grand Paris Express qui menace les terres agricoles très riches du plateau de Saclay dans l’Essonne. Un projet de la fin du siècle dernier. Comme nous avons des luttes qui sont très similaires, je suis arrivé ici dès le début de l’occupation. Il était évident que nous devions venir en soutien", assène-t-il. "Ici c’est très hétéroclite, il y a des gens de tout âge et de tous horizons. C’est très divers et très intéressant".
"Vendredi si nous sommes expulsés, nous allons résister mais de quelle manière, nous devons en débattre. On ne pourra pas forcément se mettre d’accord sur une même ligne mais chacun fera en son âme et conscience", explique-t-il.
Ce vendredi 19 février, le tribunal de Pontoise saisi en référé par l'Etablissement public foncier d'Ile-de-France, présidé par Valérie Pécresse doit se prononcer sur l'occupation illégale d'une partie des terres du Triangle de Gonesse et statuer sur une éventuelle évacuation de la ZAD et de ses occupants.
* les prénoms ont été modifiés pour préserver l'anonymat des personnes interviewées