Six Algériens seront jugés à partir de jeudi à Paris pour traite d'être d'humains aggravée, soupçonnés d'avoir rendu des mineurs étrangers isolés accros aux psychotropes pour les pousser à voler près de la Tour Eiffel.
Les six prévenus, âgés de 23 à 39 ans, comparaîtront également pour trafic de stupéfiants et de psychotropes et recel de vols. Un septième sera jugé pour trafic de psychotropes et recel de vol entre mars et mi-juin 2022, mais pas pour traite.
Plusieurs dizaines d'enfants seraient tombés dans leurs filets, dont 17 identifiés par les enquêteurs. Le plus jeune avait à peine sept ans au moment des faits, le plus âgé, 16 ans, selon l'ordonnance de renvoi.
Leur "parcours d'errance", débuté par leur traversée de la Méditerranée à partir du Maroc ou de l'Algérie, les a menés jusqu'au parvis du Trocadéro, l'un des lieux de la capitale les plus fréquentés par les touristes. Là, les six adultes sont accusés de leur avoir fourni des psychotropes, "gratuitement dans un premier temps", détaille la juge d'instruction. "Ils m'ont dit : "Tiens, prends ça, ça va te faire du bien", affirme un enfant marocain de 10 ans, cité dans l'ordonnance. "J'ai pris un demi-comprimé de Rivotril et après j'ai continué, continué, continué". Des doses qui le "poussent à voler" téléphones et bijoux "et même à être violent".
La combinaison des psychotropes Rivotril et Lyrica provoque "une dissociation totale du corps et de l'esprit des jeunes consommateurs", souligne la magistrate qui y voit une "opération de recrutement" des adultes pour créer "une forte dépendance" des enfants à leur égard afin "d'en tirer un bénéfice financier". Douze mineurs se sont constitués partie civile au procès, par le biais d'un administrateur ad hoc, désigné par la justice pour défendre leurs intérêts.
Délinquance organisée
"Ce procès est important, parce que c'est la première fois qu'on ne les arrête pas eux, en tant qu'auteurs, mais qu'on les considère comme victimes", a souligné auprès de l'AFP Kathleen Taieb, avocate d'un enfant et habituée des affaires de traite. Ce dernier, qui avait 14 ans au moment des faits, est toujours "en errance totale" et "va très mal", a-t-elle déploré.
"Si ces mineurs commettent des délits, c'est sous la contrainte et sous emprise chimique. Ce prisme est le bon : il faut se concentrer sur ceux qui contraignent (...) Ce sont eux les délinquants dangereux et pas l'inverse", avait expliqué en novembre à l'AFP Céline Astolfe, avocate de l'association Hors La Rue, également partie civile.
Certes, "ces gamins ne sont pas des angelots", mais "on ne lutte pas efficacement contre les troubles à l'ordre public si on réprime les victimes. Il faut les protéger en leur permettant d'accéder à leurs droits, à des foyers de protection de l'enfance…", avait souligné Guillaume Lardanchet, directeur de cette association qui repère et accompagne les mineurs étrangers en danger.
Les investigations se sont fondées sur des surveillances physiques et des écoutes - les enquêteurs avaient placé des micros sur un banc où les suspects avaient leurs habitudes. Elles ont montré que le parvis du Trocadéro était "réparti" entre joueurs de bonneteau, vendeurs à la sauvette et voleurs mineurs. Ces derniers occupaient "les escaliers centraux", sous l'œil des majeurs "légèrement en retrait". Les adultes sont accusés de s'être approvisionnés en psychotropes à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et dans le nord de Paris, notamment à Barbès.
Le procès doit durer jusqu'au 20 décembre
"Ce dossier est sans doute un peu démesuré", a estimé auprès de l'AFP Matthieu Juglar, avocat de l'un des prévenus qui reconnaît avoir vendu des psychotropes mais nie toute contrainte sur les mineurs.
"On a voulu en faire le dossier d'Oliver Twist, mais ça n'est pas ça", a-t-il ajouté, en référence au roman de Charles Dickens dont le héros intègre une bande de jeunes pickpockets. "Mon client reconnaît totalement ce qui lui est reproché" et "souhaite que ça se termine", a pour sa part déclaré Frédéric Nasrinfar, avocat du prévenu poursuivi uniquement pour trafic et recel, le seul à comparaître libre sous contrôle judiciaire.