Figure des gouvernantes grévistes de l'Ibis-Batignolles entre 2019 et 2021, Rachel Kéké se présentait sous les couleurs de la Nupes dans la 7è circonscription du Val-de-Marne. Elle vient d'être élue député. Elle compte bien remuer l'Hémicycle pour défendre les premiers de corvée. Attention, secousses.
Rachel Kéké, militante CGT, candidate de la Nupes vient tout juste d'être élue député de la 7e circonscription du Val-de-Marne. Avec 22,13% des suffrages elle bat de peu la ministre des Sports, Roxana Maracineanu. Nous avions rencontrée la candidate LFI, Franco-Ivoirienne, âgée de 47 ans pendant sa campagne électorale.
"Je veux que ça fasse boum, bouum bouuum ! Du zouglou à fond et on secoue les Lotus !" Rachel Kéké s'excite au bout du fil en imaginant sa première arrivée à l'Assemblée. Elle la veut tonitruante. Musique à bloc et les mouchoirs en main, "c'est ce qu'on fait pour faire la fête". L'entrée au Palais Bourbon de cette candidate de gauche (elle se présente chez elle, dans la 7è circonscription du Val-de-Marne) serait un sacré symbole. C'est cette gouvernante qui a mené bataille durant près de deux ans face à sa direction de l'Ibis-Batignolles de Paris. Bataille gagnée, ultra-médiatisée, la plus longue dans l'Histoire de l'hôtellerie. En pleine forme, la femme de chambre de 47 ans part en roue libre au téléphone, cite Magic System et Vegedream et se met à chanter "Ramenez la coupe à la maison, Allez les bleus, allez !" Puis se reprend : "je sais pas si on acceptera la sono là-bas".
"La lutte paie !"
Rachel Kéké a 47 ans, d'origine ivoirienne, mère de cinq enfants, elle vit dans une cité de Chevilly-Larue, au sud de Paris. Là-bas, Mélenchon est arrivé en tête le 10 avril dernier. Cette syndicaliste CGT a donc toutes ses chances de gagner son écharpe tricolore. Pourtant, elle s'est un peu tâtée avant d'accepter le défi. Un sentiment d'illégitimité l'a traversée face aux requins de la politique, ceux qui l'étudient de long en large et en connaissent les codes. Sentiment ravalé par sa victoire contre l'hôtel du groupe Accor "avec la lutte que j'ai menée, malgré mon niveau d'études, face au premier groupe hôtelier européen, sixième mondial, je me suis dis que je pouvais envoyer la lutte beaucoup plus haut encore".
Bavarde, Rachel Kéké navigue entre souvenirs et présent, sérieux et anecdotes, passe en revue la fierté de ses enfants, sa chorale gospel, ses débuts de coiffeuse à Abidjian et puis son anniv', lundi prochain. Sa découverte du racisme aussi, en France et ce "sale nègre" qui l'a choquée. Elle rit entre les phrases, marque du sourire dans l'une, nous engueulerait presque dans l'autre. "La lutte paie !", conclut-elle plusieurs fois, "ça paie !". Difficile de garder le manche de l'interview, Rachel Kéké enchaîne : "qu'ils viennent m'envoyer leur langage de Sciences-po, ils vont voir ce qu'il vont voir..."
Ramener les Invisibles à l'Assemblée
La candidate de la Nupes (Nouvelle union écologique et sociale) avait voté Macron en 2017. "J'ai fait plaisir à mes enfants, ils l'aimaient bien, c'était un jeune". On est étonné, elle le sent et rectifie en se marrant, "j'ai vite regretté vous savez !" Aujourd'hui, Rachel Kéké affronte l'ex-ministre des sports Roxana Maracineanu mais cette représentante de la macronie ne l'intimide pas, "je suis bien entourée, on fait du porte-à-porte, la fête du jardinage, tout ça, ça se passe bien !" Elle insiste sur ces éloignés du débat politique qu'elle rencontre, ceux que ça dégoûte, qui ne veulent plus en entendre parler. "La politique a déçu tout le monde".
Quand on lui demande si la fonction de députée pourrait la déconnecter du monde, avec trois jours par semaine dans les dorures de l'Assemblée et un salaire qui triplerait, elle réfléchit, et pour la première fois marque une pause. "Je ne pense pas... Je ne peux pas me prononcer mais je vois que certains députés, comme Eric Coquerel ou François Ruffin, sont restés simples et continuent de parler à tout le monde. Ce sera pareil pour moi. De toute façon, hormis la musique et la lutte, ce que j'aime, c'est écouter les gens. Faire mon possible pour aider, ça m'a toujours fait plaisir".
Elle revient sans cesse à "la lutte" menée pendant 22 mois, celle qui a aiguisé forcément sa force, lui a prouvé que les dominés pouvaient hausser le ton. "Aujourd'hui, dès qu'on se plaint, ça se calme en face. On nous respecte maintenant". Avec sa vingtaine de collègues, toutes africaines, elles ont obtenu des revalorisations salariales, des primes de panier, des nouveaux vêtements de travail en coton et la fin des licenciements abusifs. Seule leur intégration dans le groupe Accor n'est pas passée, elles qui dépendent de l'entreprise de sous-traitance STN. Mais la victoire reste historique, symbolique même, sur un monde capitaliste qui invisibilise celles (la majorité de ces métiers est occupée par des femmes) sans qui l'économie ne tournerait pas.
"Et qui détruit leurs corps aussi", rajoute Rachel Kéké. "Quand Macron parle de la retraite à 65 ans sait-il que dans ces métiers-là tu es déjà mort à 58 ans ? Avec des articulations qui ne fonctionnent plus, comment tu travailles jusqu'à 65 ans ?" Sur ça, elle compte bien se faire entendre à l'Assemblée, "faire du bruit" comme elle dit. "C'est nous qui faisons la France", on doit y être représentés.
"Ils m'ont acceptée"
Avant "la lutte", elle ne faisait pas de politique, s'y intéressait peu. Parfois, "la politique vient toute seule dans votre vie", ce coup d'état en 1999, elle s'en souvient, ces militaires qui tiraient en l'air, elle ne comprenait rien, "on en parle un peu et puis bon... la politique repart". Elle est fière aujourd'hui de faire partie de cette union, d'être candidate à cette élection, elle qui n'a jamais fait tout ça, "c'était pas gagné, ils m'ont acceptée". À l'aise avec le leader, "Mélenchon, dont on me disait ceci, cela, en fait c'est un comédien, il fait rire", comme sur scène lors de convention de la Nupes où elle a galvanisé le public.
Dans Debout les femmes, le documentaire de Gilles Perret et François Ruffin sorti à l'automne dernier, Rachel Kéké apparaissait dans la scène de fin, la seule séquence fictive du film, les réalisateurs y imaginaient une assemblée de femmes. Elles prenaient le pouvoir, se levaient dans l'Hémicycle et chantaient avant le noir de fin. Le 19 juin, cette scène se rejouera peut-être pour Rachel Kéké. Dans la vie cette fois. Et la revoilà qui se bidonne au téléphone, en reprenant l'air de Vegedream et son refrain nouvelle sauce : "Ramenez la coupe à la maison, Allez la NUPES... allez !".