L’association contre la prostitution des enfants (ACPE) s’est constituée partie civile dans le procès contre six clients d’une prostituée de 12 ans au tribunal correctionnel de Pontoise. Le jugement a été rendu hier: prison ferme pour cinq d'entre eux. Sophie Antoine, responsable juridique de l'APCE et plaidoyer regrette qu'ils n'aient pas été jugés pour viol.
Cinq clients d'une prostituées de 12 ans ont écopé de 6 mois de prison ferme, à l'issue d'un procès qui s'est tenu au tribunal correctionnel de Pontoise, mercredi 29 Mai. Les proxénètes de la jeune fille ont été jugés, quant à eux, en Mars dernier. L'Association Contre la Prostitution des Mineurs (ACPE), qui s'est constituée partie civile revient sur les failles juridiques et les difficultés de juger ce genre de faits.
Qu’attendiez-vous de ce procès ?
C’est assez rare de voir à la barre des clients de prostituées mineurs. Les procès concernent en général les proxénètes. Nous attendions donc d’avoir une vraie condamnation. Il est important de rappeler la réalité de la loi. C’est de la pédocriminalité. La poursuite et les condamnations devraient être aussi importantes que pour les proxénètes. Selon la loi de 2002, la prostitution de mineurs est interdite. Mais ce n’est que depuis 2021 qu’il est possible de poursuivre les clients. C’est donc assez récent. Mais dans les faits, cette loi n’est pas du tout appliquée.
Si le ou la mineur(e) a plus de 15 ans, le client risque jusqu’à 5 ans de prison. En dessous de 15 ans, cela peut monter jusqu’à 10 ans. On voulait vraiment que pour une fois, ce soit très clair et que la loi soit appliquée. On s’est constitué partie civile dans beaucoup d’affaires liées à la prostitution des mineur(e)s. Nous avons quelques dossiers de clients où il a pu y avoir des condamnations, mais on ne les médiatise pas toutes, car c’est important de penser à la reconstruction de la victime.
Par ailleurs, le droit français limite malheureusement la prostitution au contact physique, et ne traite pas la prostitution en ligne sur les réseaux sociaux ou les plateformes en tout genre. Nous le déplorons, car il s’y passe beaucoup de choses.
Comment avez-vous réagi au jugement ?
Notre sentiment est mitigé par rapport aux peines. Nous sommes pratiquement certains qu’ils n’iront pas en prison. Même condamnés à de la prison ferme, il y aura certainement des aménagements de peine. On est face à une jeune fille de 12 ans. Or, son âge n’a pas été retenu comme tel. Pour poursuivre quelqu’un et le condamner, il faut prouver qu’il ne pouvait pas ignorer qu’elle avait moins de 15 ans. Cela peut être une preuve écrite, audio ou vidéo. La jeune fille avait 12 ans et 11 mois au moment des faits. Les clients ont eu le bénéfice du doute. Les juges ont estimé que, dans l’ombre, avec du maquillage, on pouvait penser qu’elle pouvait avoir 15 ans. Mais il était certain qu’on ne pouvait pas ignorer sa minorité.
La qualification aggravée sur mineur de moins de 15 ans n’ayant pas été retenue, la peine est réduite au minimum. Exactement comme lors du procès des proxénètes en mars dernier. Il y avait déjà un problème de preuve. On préfère être certain de condamner quelqu’un à 5 ans, plutôt que de risquer de ne pas le condamner. On a une grande déception de ce point de vue, même si pour une fois, des clients ont été condamnés.
Cela a été jugé en correctionnelle, plutôt qu'aux assises. Qu'en pensez-vous?
La qualification de viol n’a pas été retenue, car cela signifiait les assises. C’est une épreuve extrêmement pesante pour les jeunes victimes, déjà très fragilisées, et cela complique leur reconstruction. Le parquet a choisi de "correctionnaliser" les faits, pour un passage en comparution immédiate, moins pesant pour la victime. Mais il y avait d’autres solutions.
Le passage dans une chambre criminelle aurait aussi permis de gagner du temps, et d’avoir un procès sans la lourdeur des assises. Depuis 2019, elles ont été mises en place pour juger certains crimes comme les viols, en évitant la formation lourde des assises. Composées de 3 magistrats, sans jurés, à la manière d’un tribunal correctionnel, elles ont justement été créées pour désengorger les assises.
Pour nous, l’importance de l’écart d’âge devrait être considérée comme une "autorité de fait", et la remise de l’argent comme une absence de consentement libre. Ces deux notions permettraient de requalifier les faits en viol, et de passer par ces nouvelles juridictions. Cela donnerait les deux avantages de la rapidité et de la reconnaissance pour la victime. Dommage que ces chambres ne soient pas assez répandues.
Au-delà de la justice, les moyens d’enquêter sur ces faits sont-ils à la hauteur ?
Dans ce cas, les enquêteurs ont fait un travail exceptionnel. C’est un exemple. C’est grâce à ce genre d’enquêteurs que l’on a des clients devant les tribunaux. Il y a parfois des enquêteurs géniaux, qui font les choses très bien, et dans d’autres procès, des appels de parents dont on n’a même pas voulu enregistrer la plainte. Il y a sans doute un manque de moyens criant dans la police, déjà débordée, de même qu’un manque de formation. Le temps consacré à ce genre d’enquête va au-delà de ce qu’ils sont censés faire.
Par ailleurs, il faut aussi plus de sensibilisation auprès des jeunes enfants sur leurs corps et auprès des professionnels de l’enfance afin qu’ils puissent mieux détecter les signaux faibles, pour alerter, accompagner et surtout signaler.