Alors que les témoignages des victimes commenceront mardi 28 septembre dans le cadre du procès des attentats, un système de cordons rouges ou verts a été mis en place pour permettre aux parties civiles d’indiquer si elles acceptent ou non de parler à la presse. Un dispositif inédit.
Avec près de 140 médias accrédités, dont une soixantaine étrangers, les premières semaines du procès des attentats du 13 novembre 2015 font l’objet d’une forte couverture de la part des journalistes. De quoi parfois rendre l’événement difficile pour les victimes et leurs proches. Dans les couloirs du palais de justice historique de Paris, sur l'île de la Cité, un code couleur associé aux badges des parties civiles a donc été prévu : des tours de cou verts pour celles qui acceptent d’être interrogées et filmées par la presse, et des tours de cou rouges pour celles qui refusent.
Les badges et les cordons en question ont été délivrés lors de la visite de la salle d’audience organisée à l’initiative des autorités judiciaires, avant le procès, et peuvent également être retirés au cours des débats, au sein du tribunal. "Ce code couleur rouge ou vert pour les parties civiles, c’est une vraie armure, estime Bruno Poncet, survivant du Bataclan. Si vous ne voulez pas, vous ne voulez pas. Quand c’est rouge, les journalistes savent et ne viennent pas."
Beaucoup de gens avec qui j’avais visité la salle d’audience ne voulaient même pas que le procès soit filmé
"J’ai choisi vert pour l’instant, poursuit-il. La presse ne me dérange pas, j’ai déjà répondu à des interviews. Mais je comprends que certains ne veulent pas. Pour de nombreuses parties civiles, c’est une souffrance. Beaucoup de gens avec qui j’avais visité la salle d’audience ne voulaient même pas que le procès soit filmé, alors que c’est filmé pour l’histoire et non pour les médias. Ce système rouge-vert, c’est la meilleure protection possible. Parce que vous faites votre métier… Mais parfois ça fait un peu vautour."
La possibilité de changer de couleur au cours du procès
Le soir des attentats au Bataclan, Bruno Poncet a rencontré Edith Seurat. Après s’être entraidés pendant l’attaque, les deux survivants ont depuis développé un fort lien amical. Edith Seurat, qui se souvient du 13 novembre 2015 "comme une sorte de cauchemar", perçoit la très lourde couverture médiatique comme "quelque chose d’usant" : "C’est pesant. Ça dure en fait depuis longtemps, avant même l’ouverture du procès et pour chaque anniversaire évidemment. C’est très dense."
On a le droit de changer et de mettre le rouge pour dire : "Non, pas aujourd’hui". Ça donne une vraie liberté, et aussi un espace de parole si on souhaite la prendre.
"Mais on a choisi de répondre à la presse, donc je ne peux pas me plaindre, explique-t-elle. Les très nombreuses parties civiles qui ont choisi de ne pas le faire ont raison de se protéger. Je trouve que le code couleur est d’autant plus intéressant qu’on a la possibilité de garder les deux cordons. Une journée plus éprouvante, un moment où on ne le sent pas… On a le droit de changer et de mettre le rouge pour dire : "Non, pas aujourd’hui". Ça donne une vraie liberté, et aussi un espace de parole si on souhaite la prendre. C’est très malin."
"Avec Edith, ça fait quasiment six ans qu’on raconte l'histoire, parce que c’est cathartique et qu’il y a un devoir de mémoire, souligne Bruno Poncet. Il faut que l'histoire soit racontée par ceux qui l’ont vécue et non par ceux qui l’ont fantasmée. Les journalistes ne sont pas des psys, mais ils ont un vrai rôle pour nous."
"Il y a déjà une forte difficulté à franchir la porte de la salle d’audience"
Aux abords de la salle d’audience, rares sont les badges verts visibles. En tant que président de l’association 13onze15 Fraternité et Vérité, Philippe Dupeyron qualifie d’"évidence" son choix de répondre aux journalistes pour "porter la parole" des victimes. "On sait que les médias sont extrêmement friands d’interventions, qu’ils sollicitent sans préavis, et qu’ils ont tendance à se ruer sur toutes les parties au procès. Par conséquent, il fallait que ça soit discipliné", estime-t-il.
"Il y a déjà une forte difficulté à franchir la porte de la salle d’audience, poursuit Philippe Dupeyron, lui-même partie civile. Et se trouver en plus agressé par des demandes qui peuvent être extrêmement intimes quelques fois, ça constitue une difficulté qu’il faut organiser. Demander à la presse de n’intervenir qu’auprès des personnes qui l’ont par avance accepté, ça me parait être une très bonne idée."
De son côté, Carole Damiani, docteure en psychologie et présidente de l’association Paris Aide aux Victimes salue une "façon de protéger" les parties civiles : "Lors des réunions préparatoires, une personne a proposé ce dispositif, elle l’avait vu à l’étranger. Il y a plus de victimes qui ne souhaitent pas être dérangées, et qui portent donc le cordon rouge, mais il y a quand même quelques personnes qui souhaitent répondre à la presse." A noter que, pour le reste, les journalistes sont identifiables par des cordons oranges, les avocats par des cordons noirs, et les forces de l’ordre par des cordons jaunes.