Au huitième jour d’audience, des photos de l’attentat au Bataclan et un court document sonore ont été présentés par un enquêteur. L’enregistrement provient d’un dictaphone qui a capté l’intégralité de l’attaque.
L’extrait audio ne dure que 22 secondes, mais il a concentré l’attention. Au procès des attentats du 13-Novembre, des photographies - comme jeudi pour le Stade de France et les terrasses - mais aussi une bande-son ont été diffusées dans la salle d’audience. Dès la reprise des débats, vers 13h, le président de la cour d'assises spéciale Jean-Louis Périès prévient une nouvelle fois les parties civiles de "prendre leurs dispositions" avant la présentation des contenus sensibles. Puis Patrick Bourbotte, l’enquêteur à la barre, commence son témoignage en qualifiant de "catastrophique" le bilan de l’attaque au Bataclan. 90 victimes y ont perdu la vie.
A l’aide d’un immense écran déployé derrière la cour, ce policier de la brigade criminelle expose les constatations à l’aide de nombreux plans et schémas. Coordinateur de la scène de crime le soir du 13 novembre 2015, il raconte d’abord son arrivée sur place vers 23h, à l’écart de la salle de concert. "Vous vous retrouvez au milieu de victimes qui crient, certains ensanglantés", explique-t-il, en soulignant sa "sidération". Son équipe débute par les abords du Bataclan, avec déjà plusieurs corps "impactés" par les balles, sur le trottoir.
L’ambiance est saisissante, lugubre, froide
L’enquêteur entre ensuite dans la salle : "L’ambiance est saisissante, lugubre, froide". A l’intérieur, une lumière blanche donne aux lieux un "aspect de cathédrale". "On n’avait jamais vu ça", répète-t-il. Tout en marchant dans du sang coagulé, "au milieu de téléphones qui vibrent", des sacs et des effets personnels des victimes, le policier se dirige vers l’étage, via un escalier où il observe "des projections de sang et des résidus organiques partout sur les murs". Face à cette "scène de guerre", les policiers doivent travailler sous pression. Les constatations, qui ont été lancées à 5h du matin, le temps de laisser opérer les secours et les services de déminage, dureront huit heures.
"Une scène de chaos en trois dimensions"
En montant à l’étage, les forces de l’ordre trouvent les dépouilles de deux terroristes, leurs kalachnikovs et de nombreux chargeurs. L’un d’entre eux, qui a déclenché sa charge explosive, a "le corps coupé en deux". Sur la scène du Bataclan, Patrick Bourbotte décrit "une scène de chaos en trois dimensions" avec, au fond, la tête du troisième terroriste (le premier à s’être fait exploser). Avec, "ça et là", des "lambeaux de chair". La déflagration a été puissante : l’enquêteur présente d'ailleurs la photo d’un écrou incrusté dans un mur à l’étage.
Au cours de sa présentation, le témoin souligne sa "hantise" au moment des faits : risquer de passer à côté d’un blessé caché "dans un trou de souris". L’enquêteur diffuse notamment une photo d’un mur en placo défoncé par des spectateurs qui tentaient d’accéder aux combles, par "instinct de conservation". Au total, 71 personnes sont mortes dans le Bataclan, 14 autour de la salle, et cinq sont décédées à l'hôpital.
Patrick Bourbotte décrit entre autres des "corps entremêlés, superposés, je ne sais même pas quel est le terme" à proximité de la zone de vente des goodies ; "énormément de traces de sang" vers les sanitaires, de quoi faire "disparaître" la couleur d’origine du sol ; et 44 corps dans la fosse ("la zone la plus macabre"), avec des "crânes explosés" et "des visages méconnaissables". A l’écran, les photos - cadrées en plan large, avec des carrés jaunes superposés à l’image pour dissimuler les morts - laissent deviner la violence de la scène.
Lève-toi, je te tue
Puis, après avoir évoqué la fouille des voitures des terroristes et les analyses ADN, l’enquêteur passe à la captation audio du concert. Suite à un nouveau message de prévention destiné aux parties civiles, et un long silence dans la salle, la diffusion de l’enregistrement - tiré d’un dictaphone retrouvé au Bataclan - est lancée. On entend d’abord la musique du concert des Eagles of Death Metal, puis les premiers tirs.
"Le policier a parlé vraiment dignement"
Patrick Bourbotte évoque le reste de la bande, avec des hurlements, des pleurs et des coups de feu. "Lève-toi, je te tue", "vous ne pourrez vous en prendre qu'à votre président François Hollande", "l'heure de la vengeance a sonné", "je t'avais prévenu de ne pas bouger"... Le policier cite certains mots prononcés par les terroristes. Pendant une demi-heure, depuis l’arrivée des assaillants jusqu’à leur retranchement vers une loge, 258 coups de feu ont été tirés, en mode rafale puis au coup par coup.
C’est extrêmement pénible... Mais c’est aussi une manière de vivre, de comprendre encore un peu mieux.
Devant la salle d’audience, Philippe Dupeyron, président de l’association 13onze15 Fraternité et Vérité souligne la "profonde tristesse" ressentie par les parties civiles. "Certains y étaient et l’ont vécu, réagit-il, en pleurs. Ceux-là ont malgré tout besoin d’entendre encore cette relation précise, de la vivre, je pense qu’il y a un choc un peu cathartique qui se produit. Pour nous, qui avons perdu nos enfants, c’est extrêmement pénible... Mais c’est aussi une manière de vivre, de comprendre encore un peu mieux."
Thierry, qui s’était réfugié dans une loge pendant l’attaque, se souvient "de tout comme si c’était hier", à la fois du "silence de mort" et du vacarme. Il dit n’avoir "rien appris" des 22 secondes d'enregistrement, mais salue l’exposé du témoin. "J’ai appris des choses, du côté chronologique, explique la partie civile. Le policier a parlé vraiment dignement, avec beaucoup d’humanité… Il a fait du très bon boulot." Dans la salle d’audience, Patrick Bourbotte a lu le nom de chacune des victimes pour terminer son exposé. En larmes à la fin de sa présentation, l'enquêteur a conclu en s’associant "de tout cœur aux parties civiles" et leur souhaitant "énormément de courage".