Rachel, mère d’un garçon de trois ans scolarisé à l’école maternelle Richomme à Paris, dort avec son fils au sein de l’établissement depuis un mois et demi. Plusieurs dizaines de familles vivent des situations similaires dans le 18e arrondissement selon le collectif "Une école, un toit".
Il est 7h30 du matin, et Rachel (le prénom a été changé) s’affaire déjà à ranger son matelas et passer un coup de serpillière. Depuis début octobre, cette mère de famille, sans domicile fixe et en situation irrégulière, est hébergée chaque soir dans le dortoir de l’école maternelle Richomme, dans le 18e arrondissement de la capitale. Une salle d’habitude utilisée pour les siestes au sein de l’établissement, qui accueille 105 élèves (dont 35 logés en hôtel social) selon le collectif "Une école, un toit".
Rachel est la maman d’un garçon de trois ans, scolarisé en petite section au sein de l’école. Cette famille s’est retrouvée à la rue début mai. "On dormait près de l'Hôtel de Ville de Paris. Je me suis fait mon lit devant le magasin BHV. Je cherchais des cartons, je n'avais même pas de couverture", raconte Rachel. La famille a reçu l’aide de l’association Utopia 56 et a pu dormir à l’hôtel pendant un mois, via le 115.
"Mais depuis le 19 septembre, la prise en charge est finie. Je les appelle toujours, ils ne trouvent pas de solution. Donc je suis allée en parler au directeur de l’école. On m'a très vite dit que je pouvais dormir dans l’établissement", poursuit-elle.
"La chair est fatiguée"
Laurent Ribaut, le directeur de la maternelle, souligne que la réaction au sein de l’école a été "immédiate, épidermique, spontanée" : "on ne pouvait pas les laisser dehors, il fallait faire quelque chose. J’ai décidé d’accueillir la famille avec le soutien de toute l'équipe. Et j'ai immédiatement averti la mairie du 18e arrondissement et mon inspection. Et nous nous sommes concertés avec l'école élémentaire située en face, où il y avait dans le même temps trois familles dans le même cas."
"Ce n'est pas la première fois que ça arrive, précise-t-il. L'an dernier, c'était une mère avec deux enfants, ça avait duré trois mois. Dans cette école, on connaît en général bien les familles en situation précaire. Les parents sont en confiance, donc quand ils se retrouvent à la rue, ils nous le disent immédiatement."
Les nuits sont froides dans le dortoir, situé juste à côté de la classe du fils de Rachel. "On fait en sorte qu'ils soient au mieux, explique Laurent Ribaut. Mais il n'y a pas de cuisine à proprement parler. Il y a des endroits où on peut laver les enfants, mais la mère n'a pas de salle de bains pour elle. Et elle doit libérer les lieux de 7h15 le matin jusqu'à 18h30 le soir. Ce n'est pas du tout une solution pérenne, c'est très inconfortable pour la mère. C'est du dépannage."
Le directeur précise toutefois qu’"en maternelle, pour les enfants, il n'y a pas de moqueries de la part de camarades, même si c’est très contraignant". "Il faut se lever très tôt, indique Rachel de son côté. Mon enfant a besoin d'un abri, c'est très dur. La chair est fatiguée."
"C'est un petit bricolage"
"On en arrive là parce qu'il n'y a aucune autre solution", déplore Manon Luquet, parent d’élève et membre du collectif "Une école, un toit", qui "s’est tout de suite organisé" pour accueillir la famille dans l’établissement "en attendant de trouver une solution via le 115".
"Aujourd'hui, il y a une défaillance de l'Etat : ces gens ne peuvent pas être accueillis dans des hébergements d'urgence comme ils le devraient, déplore-t-elle. Beaucoup d'hébergements ont fermé. Dormir dans une école ne devrait pas être considéré comme une alternative possible à un hôtel social. Là, ça se passe bien, mais ça dépend juste de la bonne volonté d'une mairie, d’un directeur, de parents d'élèves... Ça ne peut pas marcher, ce n'est pas viable. C'est un petit bricolage."
La Région vient notamment d'annoncer l’ouverture à l’hébergement d’urgence du lycée Suzanne Valadon, à proximité de la maternelle. "C’est une bonne nouvelle, mais il faut que les gens restent dans le circuit du 115... Il faut qu'on reste vigilant pour que ça reste temporaire", souligne Manon Luquet. "Dans le 18e arrondissement, plus d'une quarantaine de familles et une soixantaine d'enfants sont concernés. Mais le recensement est difficile, plein de familles n'osent pas en parler et restent à la rue", note Adèle Jouneau, également parent d’élève et membre du collectif, qui a d’ailleurs ouvert une cagnotte en ligne.
Alertée par le collectif, Danièle Obono, députée LFI de la 17e circonscription de Paris, a passé la nuit de jeudi à vendredi dans une classe de l’école, en soutien à la famille. L’élue pointe du doigt "une crise sans fin" entre "un manque de logements" mais surtout "un manque de volonté politique" pour réquisitionner des lieux. "La loi du marché supplante les besoins fondamentaux des citoyens", dénonce la députée, selon qui "la mobilisation des parents et du personnel pour cette famille traduit tout de même une solidarité importante".
Près de 400 enfants dorment chaque soir dans la rue selon Emmanuel Grégoire, le premier adjoint à la mairie de Paris. D’après le dernier baromètre de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et de l’Unicef France, près de 3 000 enfants sont concernés au niveau national. Un phénomène en hausse de plus de 40% depuis août.