REPORTAGE. Pour les enfants qui dorment à la rue, "l'enjeu vital est engagé à tout moment", dénonce une association

Le Centre d'action social protestant (CASP), une association qui vient en aide aux plus démunis, a décidé de reconstituer une chambre de nourrisson dans les rues de Paris. Un moyen d'alerter sur les conditions de vie des enfants livrés aux dangers de la rue.

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Un ours en peluche, quelques livres d'éveil, un coffre à jouets, un lit et une couverture chaude. Une chambre d'enfant, comme beaucoup d'autres, seul problème, celle-ci n'a ni murs ni toit. Ce mercredi en fin de journée, devant l'école Boursault dans le XVIIe arrondissement à Paris, le CASP a décidé d'installer pour la deuxième fois une chambre en pleine rue.

"J'espère retourner à l'école un jour comme tout le monde" ou "Je rêve d'une chambre". Sur les façades et sur le trottoir, le CASP a écrit ces phrases, celles des enfants dont ils s'occupent. Un moyen pour l'association d'interpeller les citoyens et les institutions sur une réalité souvent invisible, celle des enfants et des familles qui dorment, chaque soir, à la rue. 

Alors que les membres de l'association installent petit à petit le mobilier coloré, un couple avec une poussette vient justement les voir. Leurs traits sont tirés, leurs visages fatigués, et leur inquiétude se fait sentir. La nuit dernière, ils n'ont pas eu d'autres choix que de dormir sous un pont avec leur bébé, par des températures négatives. Le 115, saturé, ne répond pas, et alors que la nuit commence à tomber, l'angoisse de voir ce scénario se répéter, les pousse à demander de l'aide au CASP. Une situation quotidienne pour les 650 salariés et les 300 bénévoles de l'association, qui proposent un accueil de jour, et qui voient, tous les soirs, des familles avec leurs enfants quitter leurs locaux sans être parvenus à  leur trouver une solution d'hébergement, faute de place. 57 familles étaient sans solution d'hébergement en quittant l'accueil de jour du CASP ce mercredi soir. 

Associations et pouvoirs publics à la manœuvre 

Pour Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice de la structure depuis deux ans, l'objectif avec la reconstitution de cette chambre devant une école, qui est un "symbole de l'enfance", est de montrer "qu'elle n'a pas sa place dans la rue, et que chaque enfant a le droit à avoir une chambre à soi". Pour la directrice, il y a urgence à agir, alors que les associations constatent une augmentation du nombre d'enfants sans domicile fixe, bien qu'aucune étude n'existe sur leur nombre exact.

Néanmoins, la sixième Nuit de la Solidarité, qui s'est déroulée entre le 26 et 27 janvier dernier, semble toutefois donner de premiers éléments chiffrés. Sur les 3 015 personnes sans solution d'hébergement dénombrées sur le territoire parisien, 5% d'entre elles étaient des personnes en couples et des familles. 

Pour  Aurélie El Hassak-Marzorati, l'heure est désormais à l'action : "Il faut mobiliser l'ensemble des acteurs concernés, les associations et les pouvoirs publics. Actuellement c'est le ministère du Logement qui gère la question des enfants à la rue, mais les ministères de la Santé, des Affaires sociales, de l'Intérieur et de l'Education Nationale sont évidemment concernés".

Le droit à l'insouciance

Les associations comme le CASP sont souvent les premiers témoins des graves conséquences de la rue sur les enfants. "Beaucoup d'enfants que nous recevons en accueil de jour ne sont pas scolarisés. Ceux qui le sont arrivent le matin très fatigués, ils sont souvent agités et ont du mal à se concentrer", explique la directrice. Des enfants privés du "droit à l'insouciance" et "de futurs citoyens que l'on abîme très tôt et de manière très forte", comme l'explique Judith Nahum, chargée de la mission enfant-famille au CASP.

La santé, mentale et physique, de ces enfants est également en jeu. Les maladies liées au froid comme les bronchites, les angines, mais également les troubles psychologiques et psychiatriques sont autant de symptômes de cette vie d'errance. Une santé d'autant plus fragile en hiver, où "l'enjeu vital est engagé à tout moment" selon les mots de Samia Mimouni, chef de service de l'accueil de jour des familles au CASP.

"Il faut des structures pérennes et non de l'hébergement temporaire"

Pour les enfants, cette vie est faite d'incertitude permanente. "Les familles cherchent souvent un peu de sécurité et de chaleur pour la nuit. Elles vont souvent aller dans les hôpitaux, les transports publics et parfois même les locaux à poubelle pour se mettre à l'abri des regards", raconte Aurélie El Hassak-Marzorati. Le mieux reste les hébergements d'urgence, même si là encore, la réponse n'est pas suffisante. "Il faut des structures pérennes et non de l'hébergement temporaire afin que l'enfant puisse grandir dans un cocon, et non qu'il ait à se battre au quotidien", ajoute-t-elle.

L'augmentation du nombre d'enfants à la rue est un constat également partagé par Eric Constantin, le directeur régional Île-de-France de la Fondation Abbé Pierre : "Nous avons un faisceau d'indices et de remontées de terrain qui nous font penser, sans avoir de chiffres exhaustifs, qu'il y a un problème récent avec la non prise en charge et la non mise à l'abri de familles et de femmes seules avec des enfants".

En cause notamment, le déficit de logements sociaux dans une région qui accueille chaque année 40 à 60 000 nouveaux habitants. "Les places en hébergement d'urgence ont augmenté, c'est un fait, mais il n'y a pas eu un travail suffisant sur le reste, c’est-à-dire sur la production de logements à bas loyer pour permettre aux familles d'y accéder rapidement", détaille-t-il. Un retard difficile à rattraper pour atteindre les 30% de logements sociaux d'ici à 2030 en Île-de-France.

A cela s'ajoute un angle mort, celui des 164 000 demandeurs de logements sociaux qui déclarent être hébergés chez un tiers, selon les derniers chiffres de la Fondation. "Cette solidarité familiale, amicale, communautaire et sociale est très forte et montre que ce sont les privés qui hébergent le plus. Le problème c'est que le jour où le tiers décide de mettre fin à la colocation, les familles se retrouvent à solliciter des places en hébergement", explique Eric Constantin.

Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement près de 330 000 personnes sont sans domicile fixe en France. 

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