Plusieurs responsables des hôpitaux de Paris, les AP-HP, doivent comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris. Ils devront répondre d'accusations de harcèlement moral. En 2015, un cardiologue s'était donné la mort. Un suicide peut-être dû à des conditions de travail dont il se plaignait.
L’Assistance publique des hôpitaux de Paris, l’ancienne directrice de l’hôpital Pompidou et trois professeurs, sur le banc des prévenus. Tous comparaissent dès le 31 mai, devant le tribunal correctionnel de Paris. Cela fait suite à des accusations de harcèlement moral. Le 17 décembre 2015, Jean-Louis Mégnien s’était jeté par la fenêtre du 7e étage de l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP).
Le suicide de ce cardiologue, père de cinq enfants, avait suscité l'émotion dans la communauté médicale. Le docteur Mégnien venait de reprendre le travail trois jours plus tôt, après neuf mois d’arrêt maladie. Certains de ses collègues évoquaient sa "descente aux enfers progressive", depuis deux ans. Ils évoquent des "maltraitances" et des "manoeuvres" de ses supérieurs pour ne pas lui attribuer le poste de chef de service de médecine préventive cardio-vasculaire, et l'organisation de sa "placardisation".
Ces médecins avaient assuré qu'un avertissement sur la souffrance du professeur Mégnien et ses risques suicidaires n'avait pas été pris en compte. Son épouse avait rapidement déposé une plainte auprès du parquet de Paris. Une enquête avait alors été ouverte pour harcèlement moral, complétée par une information judiciaire en février 2016.
La direction de l'hôpital remise en cause
Au cœur de l’affaire, se pose la question de la gestion de l’hôpital situé dans le 15e arrondissement de Paris. L'établissement était alors dirigé par Anne Costa. Martin Hirsch, directeur général de l'AP-HP de l'époque, l'avait défendue dénonçant des "attaques infondées, parfois avec des procédés déloyaux". Au cours de l’instruction menée dans la plus grande discrétion, l'AP-HP, Anne Costa et trois professeurs - alors responsables hiérarchiques du cardiologue - ont été mis en examen pour harcèlement moral.
Si Jean-Louis Mégnien avait bien un suivi psychiatrique régulier depuis une quinzaine années, il n'y a pas eu de "cassure d'ordre privé" comme avait pu l'écrire l'un des professeurs, estime l'accusation, pour qui la "dégradation" de son état était bien liée au "climat" sur son lieu de travail. Les agissements, propos et comportements de "déconsidération, et de déstabilisation" ainsi qu'une "stratégie d'isolement" et de "mise à l'écart", et "la limitation de ses moyens matériels et humains", ont porté "gravement atteinte à ses droits, sa dignité et son avenir professionnel".
D’après l’enquête, un élément a été le "point d’orgue" et a "probablement joué un rôle majeur dans le geste suicidiaire" du professeur Mégnien. Il s’agit du maintien du déménagement de son bureau, au moment de son retour au travail. Un geste préparé, selon les enquêteurs : "De manière symbolique depuis la fenêtre de son bureau qu'il ne voulait pas quitter" et "de manière réfléchie puisqu'il a fallu qu'il dévisse la fenêtre de son bureau".
L'accusation réfute les charges
La famille du professeur "a gardé le silence pendant sept longues années afin de laisser la justice travailler sereinement", a déclaré son avocate, maître Christelle Mazza. "Il est temps désormais de mettre à jour ce dont certains médecins de haut niveau et l'administration hospitalière sont capables. Le harcèlement moral se niche dans les détails". De leur côté, les hôpitaux de Paris n’ont pas voulu s’exprimer avant l’ouverture du procès.
"Dans cette affaire, qui est un drame humain, tout est délirant et dans la démesure", a regretté Me Marie Burguburu, avocate d'un des professeurs. "Une accusation intégralement portée par une juge d'instruction, avec une ordonnance de renvoi de 232 pages pour un réquisitoire définitif de 25 pages, les droits de la défense allègrement bafoués depuis le début, et maintenant un procès prévu sur 5 semaines", complète la conseil.
L'Inspection générale des affaires sociales (Igas), saisie par la ministre de la Santé de l'époque Marisol Touraine, avait relevé des "dysfonctionnements" et des "manquements" dans la gestion du conflit opposant le professeur Mégnien et certains de ses collègues. L'Igas avait pointé notamment "l'absence de signalement et l'alerte tardive sur la souffrance du Pr Mégnien" et des défaillances n'ayant "pas permis à la direction de saisir la médecine du travail, ni la médecine de prévention" de la faculté de médecine dont dépendait le professeur.
Le suicide du cardiologue avait libéré la parole sur la souffrance au travail des médecins. Principal problème soulevé : l'absence de prévention et de prise en charge. Un plan pour "mieux prévenir les risques psychosociaux dans les hôpitaux" avait été mis en place un an après.
Source : Agence France Presse