Tatoueurs à Paris, l'overdose ? "Aujourd'hui, il y a plus d’artistes que de demande"

Si on pouvait compter les tatoueurs parisiens sur les doigts d’une main il y a encore 40 ans, plusieurs milliers d’artistes travaillent actuellement en Île-de-France. Prix, choc des générations, formation… Alors que la pratique n’a jamais été autant démocratisée, quel avenir pour le tatouage dans la capitale ?

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Pendant trois jours à la Grande Halle de la Villette, près de 500 artistes et plus de 30 000 visiteurs sont attendus au salon international Tattoo Planetarium, jusqu'au dimanche 4 février. Preuve de la banalisation du tatouage en France et dans la capitale, l’artiste Tin-Tin, qui organise l’événement et préside le Syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT), est bien incapable de chiffrer précisément le nombre de professionnels parisiens.

"C’est faramineux. Rien que dans le 11e arrondissement, il y a plus de 70 tatoueurs qui ont pignon sur rue. Et je ne compte pas ceux qui bossent depuis leur appartement, leur garage ou leur cuisine…  Tout le monde est tatoué, tout le monde est tatoueur. Quand j’ai commencé, il y a 40 ans, on était cinq-six à Paris", retrace l’artiste, dont le salon est situé dans le 9e arrondissement, à deux pas de la place Blanche.

Depuis, le monde du tatouage a bien changé. S’encrer la peau s’est largement démocratisé : selon une enquête de l’Ifop réalisée en 2018, près d’un Français sur cinq déclarait être ou avoir déjà été tatoué. Et dans la capitale, l’explosion de la demande s’est accompagnée d’une explosion de l’offre.

"La machine, les encres, les aiguilles... Le matériel peut être commandé sur internet, par n’importe qui, même sans avoir une base correcte en dessin", explique de son côté Takumi, un tatoueur qui travaille à "Anomaly", un salon à proximité du centre Pompidou, dans le 4e arrondissement.

"Donc à Paris tu trouves aussi bien des artistes qui font de très belles pièces, que d'autres qui vont te massacrer la peau parce qu'ils ne sont pas formés, et qui font ça uniquement parce que c'est dans l'air du temps. Dans un salon, il y a des standards à respecter, on ne m’a pas accepté dès mon premier gribouillis. Le tatouage, c'est deux métiers en un : il faut savoir dessiner, et transmettre le dessin sur une peau", insiste-t-il.

"J’ai commencé il y a six ans, et je suis passé par un apprentissage pendant un an, avec un maître d'apprentissage qui te prend sous son aile dans un salon. Il faut maîtriser la technique mais aussi l’accueil des clients, la gestion de la boutique, le nettoyage des postes...", poursuit le tatoueur, dont le style touche aussi bien au traditionnel américain qu’à la gravure. "La première fois que j'ai montré mes dessins, on m'a dit que le niveau était trop bas. J'ai pris des cours avec la mairie, et j'ai pu m’y consacrer 8 heures par jour pendant un an, avant de retourner au salon", détaille-t-il.

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Takumi souligne aussi le rôle d’Instagram, "en bien et en mal" : "C’est une très jolie plateforme pour se faire connaître, en publiant les photos de ses tatouages. Et toute une nouvelle génération l’utilise très bien pour promouvoir son art. Mais ça a aussi poussé beaucoup de gens vers le tattoo pour les likes et la visibilité. Et le nombre d'abonnés ne correspond pas forcément à la qualité."

Une influence des réseaux sociaux qui joue forcément pour attirer des clients, dans un marché qui semble saturé. "Il y a encore 10-15 ans, il y avait beaucoup moins de tatoueurs mais déjà énormément de demande. Aujourd'hui, il y a plus d’artistes que de demande. On ne doit pas être loin de 3 000 tatoueurs en Île-de-France, en comptant les salons privés et les 'scratchers', ceux qui tatouent chez eux clandestinement", estime-t-il.

"Il y a moins de rendez-vous"

Dans une petite boutique du 2e arrondissement, trois tatoueuses qui se sont associées pour travailler ensemble – ont justement voulu concilier l'image d’un shop privé et d'un espace professionnel pour elles comme pour leurs clients.

Pas de grande vitrine, contrairement à un salon classique : avant d’entrer, il faut déjà avoir rendez-vous et accéder à une cour via un digicode. La boutique est spécialisée dans la technique du handpoke : les pièces sont réalisées sans machine, point par point, à l'aide d'une longue aiguille.

Les artistes, qui travaillent depuis trois ans, ont toutes suivi un cursus artistique avant de se former seules au tatouage, en s’entraînant sur de la fausse peau, puis des proches. Elles ont toutes compté sur le bouche à oreille, en postant petit à petit de plus en plus sur Instagram, avant de se lancer en autoentrepreneuses.

Bien que le phénomène "permet de proposer des choses intéressantes et nouvelles", les tatoueuses ressentent toutefois des conséquences sur leurs agendas, liées par ailleurs à l’inflation, "surtout à Paris où la vie est particulièrement chère" : "Il y a moins de rendez-vous… Ça va faire entre 6 et 10 mois que ça ne fait que descendre". Elles constatent néanmoins une petite reprise d'activité depuis décembre.

Les artistes reconnaissent en tout cas que travailler à trois dans un même lieu aide à mieux gérer les dépenses. Pour louer ce local de 15m2, qui réunit deux tables de tatouage, elles paient 1 150 euros par mois au total. Aiguille, encres et produits d'hygiène coûtent en moyenne 350 euros par mois.

Avec l'essor des salons privés, "le prix des tattoos baisse forcément"

A "Anomaly", où trois tatoueurs travaillent, la location coûte près de 7 000 euros par trimestre au salon. Takumi note d’ailleurs l’influence de la crise du Covid et des confinements sur le développement des salons privés. "Beaucoup de tatoueurs ont franchi le pas. Pourquoi payer un pourcentage à une tierce personne alors que les clients contactent de plus en plus directement les artistes ? Je ne dirais pas que c’est déloyal, ils font ce qu’ils veulent. Mais le prix des tattoos baisse forcément quand tu compares un bail commercial et celui, par exemple, d’un appartement où tu as simplement installé du lino et un coin d’eau", explique-t-il.

Tin-Tin, lui, juge le phénomène "plus qu’important" : "Certains vieux tatoueurs qui étaient auparavant blindés de boulot n’ont plus rien. Les salons peuvent se faire contrôler, eux. Ce n’est pas le cas des tatoueurs qui bossent chez eux, sauf s’il y a une plainte. Et ils déclarent ce qu’ils veulent. C’est un peu déloyal, c’est dur de lutter. Beaucoup d’artistes se barrent des salons en gardant la clientèle glanée dans les boutiques, puis en faisant payer moins cher. Même moi, qui suis le tatoueur le plus connu de France, je tire la langue. J’ai eu jusqu’à neuf tatoueurs chez moi, maintenant on a trois-quatre permanents."

"Mais je ne vais pas me plaindre, poursuit-il. Si je commençais aujourd’hui, je tatouerais dans ma cuisine. Et franchement, la qualité des tattoos va plutôt en s’améliorant. Je suis connu pour mon style hyper réaliste, maintenant des jeunes me dégoûtent tellement ils sont forts."

Tandis que les écoles de tatouage pullulent, elles suscitent en tout cas toujours la méfiance de la profession. Quant aux boutiques, intégrer actuellement un salon en tant qu’apprenti peut se révéler presque impossible dans la capitale.

De quoi présager longtemps d’un manque de débouchés ? Takumi s’interroge : "Il y a déjà énormément de tatoueurs… On se demande si ça va continuer d’augmenter à l’avenir, ou si ça va finir par se réguler."

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