Avec "Les Gros patinent bien", un duo comique est en passe de réussir un nouveau carton plein. A base d'emballages recyclés, il propose un cabaret de carton tout en borborygmes et dialogues écrits sur des pancartes.
Depuis longtemps déjà nous sommes habitués à la transformation du carton en objets de décoration ou en mobilier. Comme d’autres artistes, Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois, utilisent toutes les variétés de ces "papiers pour ondulés". Pour leur nouveau spectacle Les Gros patinent bien, Cabaret de carton, ils magnifient ce matériau basique avec humour et délice pour raconter une odyssée immobile à travers plusieurs pays. Dès l'ouverture, la grande scène du Théâtre du Rond Point est couverte d'une multitude de cartons recyclés. Pas de décor grandiose mais beaucoup cartons découpés pour figurer un bateau, une maison, un oiseau et des pancartes bien rangées comme autant de bulles de textes d'une BD.
Un esprit cartoonesque pour une épopée picaresque
L'histoire est celle d'un Américain à l'accent shakespearien qui parle le globish, ce sabir mâtiné d'anglais que l'on croit parfois comprendre parfois - mais le plus souvent juste un mot par ci par là. Là n'est toutefois pas l’essentiel.
"C’est l’histoire d’un homme qui traverse l’Europe à la recherche d’une sirène, qu’il a pêchée par mégarde dans un lac gelé d’Islande", racontent les deux auteurs pendant la création du spectacle en résidence au Théâtre des deux rives, à Rouen (76).
L'homme tombe bien évidemment amoureux. Mais la sirène préfère lui jeter un sort. Il doit alors fuir en patins à glace, à trottinette, en avion cartonné, de l'Ecosse jusqu'en Espagne. Lors de la traversée de la Manche, il croise des femmes et des hommes en perdition sur des esquifs puis d'autres sur le cimetière marin qu’est devenue la Méditerranée. Face à ces drames, l'acteur Olivier Martin-Salvan reste assis et indifférent dans son costume trois pièces trop petit pour lui.
Toute la force comique du spectacle provient de ce décalage entre cet Hardy en fuite et un narrateur qui s'agite autour de lui en maillot de bain, le brin d'acier survolté Pierre Guillois. Avec sa silhouette de Laurel, il apporte du second degré aux cartons qu’il déplie et déploie, et sur lesquels sont inscrits les noms des pays, des accessoires ou des autochtones rencontrés.
Tout cela conduit à une sacrée performance — y compris physique — : "entre 400 et 500 emballages de récupération, refaçonnés par les artistes, sont manipulés pendant 1 h 20 de spectacle. Les cartons jouent le rôle de répliques dans le théâtre parlé traditionnel : ils peuvent simplement mentionner, ou être plus complexes, en comprenant des mécanismes à manier", confirment les deux comédiens.
Au final c’est une véritable chorégraphie qui se met en scène. Les gags s'enchainent au fil des idées farfelues du duo comique. En 2017, les mêmes, avec une autrice-comédienne en plus, Agathe L’Huillier, avaient obtenu un succès mondial et un Molière de la meilleure comédie pour Bigre, pièce toute en onomatopées et sans paroles.
Un théâtre d'écriteaux
L'idée du spectacle est partie de quelques cartons oubliés dans un coin et d'un marqueur noir utilisé pour y faire figurer les accessoires et décors. Une idée simple qui correspond à l'essence du théâtre ancien : un plateau nu, quelques objets et des comédiens pour nous faire voyager dans une histoire.
Celle-ci a pris forme une première fois en 2020 en extérieur dans les jardins du Théatre du Rond-point, quand les salles de spectacles étaient encore fermées. Olivier Martin-Salvan confie : "Nous voulions partir d'un théâtre pauvre et qui ne tienne que sur l'acteur et notre duo, notre inventivité, notre complémentarité, et surtout sur l'énormité de nos différences physiques !" Aussitôt contredit par Pierre Guillois : "Au départ, il était question d'un spectacle riche avec de nombreux décors. Et puis, soudain, il n’y avait plus d’argent. Ça arrive…Et puis nous nous sommes mis à écrire sur des cartons : « rocher », « arbre », « ruisseau », « fjord »… etc. Finalement, nous nous sommes dit que c’était plus pratique et moins onéreux de continuer ainsi… Et surtout qu’on pourrait entreprendre un spectacle avec mille et un décors !"
L'art du voyage immobile
Dans la plupart des récits initiatiques, le héros en sort grandit après les multiples épreuves traversées. Tout du moins, une fin heureuse conclut l'histoire. Ici que nenni. Le feu d'artifice de bric et de broc en carton débouche sur une conclusion inattendue. Pierre Guillois confirme : "J’aime bien que les voyages initiatiques ne servent à rien. J’aime l’idée que, dans la vie, on n’apprend finalement pas grand-chose. On emmagasine des savoirs et des expériences, mais on reste avec nos fragilités d’enfant, nos limites, nos peurs… C’est le cas du personnage joué par Olivier. Comme bien des touristes, il pourrait faire 20 fois le tour de monde, il n’en retirerait rien."
Une odyssée à voir à Noël et en famille, il cartonne déjà à Paris. Avec son mélange de langues et de borborygmes, ce spectacle pourra voyager lui aussi à travers les frontières quand elles seront rouvertes.
LES GROS PATINENT BIEN, CABARET DE CARTON
Un spectacle de et avec OLIVIER MARTIN-SALVAN ET PIERRE GUILLOIS
10 décembre 2021 – 16 janvier 2022
Du mardi au samedi, 18H30 - Relâche : les lundis, les 25 et 26 décembre et du 1er au 6 janvier