Treize jours, c’est le temps qui a permis au projet Odyssée de la chaîne YouTube Ici Japon de lever plus d’un million d’euros pour la création d'un grand musée français du jeu vidéo, au cœur du territoire seine-et-marnais.
"Le palier suivant est très ambitieux mais grâce à vous on ne s'interdit plus rien", remerciait le créateur de contenus Benoît Theveny – alias Tev le 3 octobre dernier sur la page KissKissBankBank du projet. Plus d'un million d'euros ont été récoltés en seulement treize jours, écrasant de loin l'objectif initial de 50 000 euros.
Porté par son collectif Ici Japon, "Odyssée" est vu comme étant le projet du "plus grand musée du jeu vidéo du monde" par la ville de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), qui doit l'accueillir en 2026. Fabien Goupilleau, 36 ans, conseiller municipal en charge de la communication digitale – et bientôt du jeu vidéo – de la commune de Bussy-Saint-Georges nous livre les coulisses de ce projet inédit.
Qui est à l'origine du projet ?
Fabien Goupilleau : Il est porté par Benoît Theveny et Ludovic Charles, un collectionneur privé détenteur de près de 2 200 consoles [l'une des plus grandes collections de consoles de jeux vidéo au monde, ndlr]. Celui-ci était confronté à deux options : soit revendre sa collection, soit la confier à un partenaire en créant un musée et ainsi rendre sa collection accessible à tous. Benoît Theveny a eu connaissance du projet et est entré en contact avec lui. En février dernier, Tev publie une vidéo pour expliquer donc un projet d'un musée de jeu vidéo en France et en demandant conseil à sa communauté pour des propositions de lieu.
Les deux premiers jours du financement participatif, il y a eu beaucoup de hauts et de bas car ce sont les plus importants. Mais face à l'affluence, les serveurs de KissKissBankBank ont crashé. Nous ne pouvions plus accéder la page, donc là, grosse panique. Finalement, l'accès a été rétabli et la cagnotte a atteint les 500 000 euros en deux jours supplémentaires, puis le million en treize jours. C'est un record pour l'année 2023. Nous attendons quelques centaines de milliers d'euros pour le record d'Europe en financement participatif. En termes de notoriété, cela aide beaucoup.
Comment le projet est-il arrivé aux oreilles des élus de Bussy-Saint-Georges ?
Fabien Goupilleau : De mon côté, je suis un abonné de Tev et je suis tombé le jour même sur sa vidéo. Il s'avère qu'à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), nous sommes en train de créer un "pôle ludique" de 80 000 m2 en entrée de ville au bord de l'autoroute A4, avec de la restauration, de l'hôtellerie et des activités, ainsi qu'une salle de spectacles orientées jeux vidéo et e-sport. Ce pôle ludique est en projet depuis 2017. Il a mis du temps à se déclencher, et finalement, heureusement pour le projet de musée.
"Lorsque je suis tombé sur la vidéo de Tev, je me suis dit que c'était une aubaine, un projet de fou et on a de la place"
Fabien GoupilleauConseiller municipal de Bussy-Saint-Georges (77)
La volonté de M. le Maire et la mienne était d'orienter ce pôle ludique vers les nouvelles technologies et le jeu vidéo. Lorsque je suis tombé sur la vidéo de Tev, je me suis dit que c'était une aubaine, un projet de fou et on a de la place dans ce pôle ludique, notamment pour héberger ce musée. J'ai proposé à M. le Maire [Yann Dubosc, maire LR de Bussy-Saint-Georges, ndlr] de prendre contact avec Tev en vue d'intégrer ce projet dans le pôle ludique, pour qu'il puisse s'installer à Bussy-Saint-Georges. Avec son accord, j'ai pu envoyer un mail à Tev.
Je me suis aussitôt dit : il a un million d'abonnés, il ne verra probablement pas mon mail, mais au moins, j'aurais tenté. Il m'a répondu le lendemain. Il était super interéssé. Vivant au Japon, Tev est venu nous rencontrer en France au mois de mars. Depuis février, nous travaillons chaque semaine ensemble pour faire grandir le projet.
À ce stade, était-il encore possible d'intégrer le musée à votre projet initial ?
Fabien Goupilleau : Nous avions lancé quelques mois avant un appel à manifestation d'intérêt pour trouver un promoteur pour la construction et la programmation du pôle ludique. Les promoteurs devaient nous proposer des projets. [...] Rien n'était encore signé. Je suis un passionné de jeux vidéo et je joue depuis longtemps et j'y ai travaillé pendant six ans.
"Nous nous attendions à devoir batailler un peu. Finalement, ils ont très bien accueilli l'idée, ils l'ont adorée"
Fabien GoupilleauConseiller municipal de Bussy-Saint-Georges (77)
Quelques jours après la vidéo de Tev, nous avons sélectionné le promoteur BDM. Très vite, nous avons organisé une rencontre avec eux et Tev pour inclure le projet du musée au sein du pôle ludique. Nous nous attendions à devoir batailler un peu. Finalement, ils ont très bien accueilli l'idée, ils l'ont adorée.
À partir du moment où on a annoncé publiquement le projet, que ce soit le promoteur ou Tev, ils ont reçu chaque jour des dizaines de demandes d'installation dans le village japonais qui s'intégrera autour du musée. Ils sont conscients qu'il y aura une force d'attracitivité très importante : l'autoroute A4, c'est 100 000 véhicules par jour et le RER A est à trois minutes à pied.
Proposer un musée du jeu vidéo, ce n'est pas anodin. Comment cela a été accueilli ?
Fabien Goupilleau : Nous avons quand même certains élus qui ont des a priori sur le milieu du jeu vidéo. Depuis que je suis élu en 2020, j'essaie de leur ouvrir les yeux. Les élus dans la majorité vont de 23 ans à 83 ans.
"Au bout de quelques heures de discussion, ils étaient déjà plus ouverts, et davantage depuis qu'ils voient l'engouement autour du projet"
Fabien GoupilleauConseiller municipal de Bussy-Saint-Georges (77)
C'est surtout une méconnaissance du sujet, donc il m'a fallu un peu de pédagogie pour les convaincre du bien fondé et de tout ce qu'un tel projet pouvait apporter à la ville. Au bout de quelques heures de discussion, ils étaient déjà plus ouverts, et davantage depuis qu'ils voient l'engouement autour du projet. Le potentiel économique a joué. Cela va être énorme pour tous nos commerçants et nos hôtels qui vont avoir un nouveau public arriver sur la commune.
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Un musée, c'est très difficilement rentable. Le seul qui réussi à tenir il y a quelques années était le Pixel Museum de Schiltigheim qui a dû fermer pendant la pandémie. Il n'avait également eu aucune subventions publiques. Entre temps, il n'y a pas eu d'autres initiatives en France. C'est extrêmement complexe de rentabiliser un musée malgré les subventions. C'est pour cela que Tev a eu l'idée de monter autour, un village japonais avec des boutiques et des restaurants japonais et qui vont maintenir en positif les finances du musée. Celui-ci sera à titre associatif et sous-louera une partie de ses locaux pour former le village japonais.
Justement, quel public visez-vous ?
Fabien Goupilleau : Pour le pôle ludique de manière globale, nous sommes plutôt sur un public familial, parents-enfants. L'idée est que le musée du jeu vidéo permette de diversifier tout ça avec un public adolescents et intergénérationnel. Parmi la majorité municipale, nous avons aussi des jeunes grands-parents qui ont en 50 et 60 ans qui souhaitent déjà venir au musée montrer à leurs petits-enfants sur quelles consoles ils jouaient. Également, nous avons déjà prévu d'organiser une sortie scolaire annuelle au musée et ainsi assurer des revenus au musée.
Quelle est la prochaine étape ?
Fabien Goupilleau : À ce stade, il y aura au moins 3 500 mètres carrés dédiés au musée. Si le financement participatif attend au moins les deux millions d'euros avant le 5 novembre, il passerait à 7 000 mètres carrés. Le coût de la location au promoteur pour l'association du musée sera vraiment dérisoire. Le promoteur autorisera le musée à sous-louer pour l'aider financièrement. Il est vraiment prêt à soutenir le projet, ce qui est assez rare. L'argent récolté servira surtout à la création des décors du musée. Toutes les consoles seront accessibles et testables pour les visiteurs dans des pièces immersives et décorées grandeur nature.