Affaire Théo : sept ans après, le procès de trois policiers s'ouvre ce mardi devant le tribunal de Bobigny

Un contrôle qui dégénère et qui devient le symbole des violences policières. Il y a sept ans, l'affaire Théo avait enflammé les banlieues, ému jusqu'au plus haut sommet de l'Etat. A partir de ce mardi, trois gardiens de la paix d'Aulnay-sous-Bois sont jugés devant les assises de Bobigny pour l'interpellation violente de Théodore Luhaka. Un jeune homme handicapé à vie.

Quartier de la Rose des Vents à Aulnay-sous-Bois, 2 février 2017. Théodore Luhaka rentre à pied de chez sa sœur lorsqu'il aperçoit des amis devant l’établissement culturel Le Cap. Le jeune animateur sportif de 22 ans décide de faire un détour pour aller les saluer. Il est 16h46. Quelques instants plus tard, quatre policiers de la brigade spécialisée de terrain (BST) arrivent sur le parvis pour procéder à un contrôle d’identité.

La routine au pied de cette barre d’immeubles de la cité des 3000, régulièrement en proie aux échauffourées et réputée comme étant un lieu de revente de drogue. Mais cette fois-ci, le ton monte entre les agents et les jeunes qui ont été positionnés contre le mur. L’un d’entre eux refuse le contrôle et Théodore Luhaka s’interpose. Des coups sont échangés, une bombe lacrymogène est déclenchée. Dans la mêlée, le pantalon de survêtement que le jeune homme porte au niveau du bas des fesses et qui laisse apparaître son caleçon, tombe. Pour déstabiliser et faire chuter le sportif d'1m90, un des policiers lui assène un violent coup de matraque. La pointe du bâton télescopique de défense (BTD) traverse alors le sous-vêtement de Théodore Luhaka qui s’effondre après avoir reçu une nouvelle gifle.

Menotté, il est conduit sur le côté du bâtiment, hors champ des caméras municipales de vidéo-surveillance. Puis trois minutes plus tard, il réapparaît escorté par deux policiers qui le font monter dans leur véhicule, direction le commissariat. Il est 16h54. L’interpellation a duré 8 minutes.

Une perforation péri-anale et une déchirure du sphincter

Au poste de police, le jeune homme est menotté à un banc dans le couloir. Présentant un important saignement au niveau des fesses, il fait un malaise et est transporté à l’hôpital Robert Ballanger. Son examen médical conclut à une perforation de la zone péri-anale et une déchirure du sphincter sur 10 centimètres nécessitant une opération en urgence. Il présente en outre un traumatisme crânio-facial modéré.

Rapidement entendus, les policiers affirment qu’ils n’ont pas eu conscience de la blessure de Théodore Luhaka qui ne se serait jamais plaint de douleurs, contrairement à ses affirmations. Ils sont mis en examen trois jours plus tard alors que l’affaire embrase déjà les banlieues et les esprits. Car Théo est devenu le visage des violences policières, un symbole et une affaire d'Etat. Dans les manifestations, son prénom est scandé comme ceux d’Adama Traoré ou de Zyed et Bouna. Dans les médias, les tribunes et les déclarations politiques s'enchaînent allant jusqu'à pousser François Hollande, le président de la République de l'époque, à se rendre au chevet du blessé qui est toujours hospitalisé. 

La police des polices saisie

L'enquête est confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) de Lyon. Les gardiens de la paix mis hors service sont entendus. Plusieurs témoignages sont recueillis et l'ensemble des vidéos réalisées ce jour-là sont exploitées. Dans leur rapport, rendu en octobre 2017, les inspecteurs vont reconnaître l’existence de manquements commis par trois des quatre policiers. Il leur est reproché un usage disproportionné de la force et un manquement au devoir de protection due aux personnes placées sous la garde de la police nationale.

Les enquêteurs de l'IGPN estiment notamment que les "deux violent coups d'estoc" portés avec le bâton télescopique ont été réalisés à des moments où "Théo Luhaka ne commet pas d'atteinte envers l'intégrité physique des policiers". Mais la "police des polices" considère également que les coups n'avaient pas pour but de pénétrer l’anus de Théo.

Lors de ses interrogatoires, le policier Marc-Antoine Castelain, 34 ans, admet en effet avoir porté le violent coup de matraque à l’origine de la perforation de l’anus mais il visait, dit-il, la cuisse de Théo pour lui faire plier la jambe. "La blessure occasionnée est un accident dramatique absolument involontaire car mon client n’a eu qu’un seul et unique but en donnant ce coup : aider son collègue piétiné au sol et permettre le menottage de Monsieur Luhaka en lui faisant perdre ses appuis par l’application d’un point de douleur sur sa cuisse", selon son avocat qui compte plaider l'acquittement.

Pour Maître Louis Cailliez, le policier a commis ce jour-là un geste de violence "justifié, légitime et conforme aux préconisations en matière de maîtrise d’un interpellé toujours en rébellion". Accusé de violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une infirmité permanente, Marc-Antoine Castelain encourt dix ans de réclusion criminelle. 

Un de ses collègues, Jérémie Dulin, a quant à lui admis au cours de l'instruction avoir violenté Théo Luhaka pourtant maîtrisé et menotté, "sans raison valable", "sous le coup de l’énervement". Avec Tony Hochart, il devra répondre devant le tribunal de Bobigny de violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours par personnes dépositaires de l’autorité publique avec armes et en réunion. Tous deux risquent jusqu'à sept ans de réclusion criminelle. "La première défense de mon client, c’est de reconnaître les faits. C’est de dire que oui effectivement j’ai porté un coup à ce garçon, je le regrette. J’étais énervé et j’aurais pas dû le faire, je le regrette, explique Daniel Merchat, l'avocat de Jérémie Dulin. Mais lorsque je regarde le dossier, nous allons passer les 80 % du temps sur la blessure, le coup de matraque et 20 % sur ce qui est reproché aux deux autres mis en cause. Le centre du débat c’est la blessure de Théo, il n’y a pas d’autre débat en réalité."

Des violences policières ?

Pendant les deux semaines de procès, les magistrats et les jurés auront à trancher sur la proportionnalité et la légitimité des violences commises par les policiers, dans un contexte où l’usage de la force dans le maintien de l’ordre ne cesse d'être débattu. "Il y a des claques qui ont été données, par exemple. On se demande comment des claques peuvent être un geste qu’on va légitimer, s'interroge Maitre Antoine Vey, l'avocat de Théo Luhaka. Il y a aussi le fait d’avoir conduit dans une voiture de police quelqu’un qui perdait énormément de sang. De l’avoir attaché au commissariat de police sans lui donner d’accès aux soins. On n’est pas dans le cadre d’une action policière traditionnelle. Ce n’est pas d’ailleurs le procès de la police ce procès, mais contre trois individus qui ont probablement eu un comportement non justifiable avec des conséquences irréparables." 

Car Théodore Luhaka garde des séquelles irréversibles de cette interpellation. Handicapé; en proie à des douleurs et des problèmes de continence, le jeune homme qui en 2017 venait de signer un contrat de footballeur professionnel, a dû tirer un trait sur ses rêves. "Il a eu sept années de haut et de bas. Ce qui était sa vie d’avant, il comprend petit à petit qu’elle ne va pas revenir. Aujourd’hui, il se réfugie sur d’autres terrains : la musique, essayer de retrouver un travail qui est compatible avec son handicap. Mais pour l’instant c’est un peu prématuré", explique son avocat. "Théo est quelqu’un qui a été violé. En tout cas c’est comme ça qu’il le ressent, qu’il l’a vécu. Il est humilié. Il est atteint dans sa virilité comme une victime de viol."

Une qualification qui n'a pas été retenue au terme de l'enquête, l'intentionnalité du viol n'ayant pas été prouvée, mais qui fera certainement l'objet de débats. "Ce que Théo espère, c'est de faire passer un message : que des gens qui commettent ce type d’acte n’ont rien à faire dans la police française."

Le verdict est attendu le 19 janvier.

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