Justice : au tribunal de Bobigny, le ministre de la Justice tente de défendre son bilan

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Eric Dupond-Moretti s'est rendu ce jeudi au tribunal de Bobigny pour rencontrer les magistrats et les greffiers. Objectif : tenter de désamorcer la colère qui gronde dans cette juridiction confrontée à un volume exponentiel des affaires et à un manque de personnel.

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C’est une visite qui n’était pas prévue à l’agenda du Garde des Sceaux. Un déplacement annoncé quelques heures avant au personnel du tribunal de Bobigny. Ce matin, Eric Dupond-Moretti était en opération communication et déminage dans la deuxième plus grande juridiction de France où la colère gronde depuis plus d’un an. Après plusieurs mobilisations, le président du tribunal et le procureur de Bobigny avaient notamment tiré la sonnette d’alarme le 7 décembre dernier en adressant une "note d’alerte" à la cour d’appel de Paris pour demander "une mobilisation en urgence du ministère".

Une initiative inédite qui avait fuité dans la presse, mécontentant le premier magistrat de France venu tenter de renouer le dialogue. Un exercice difficile, voire impossible, sans annonce de renfort dans l’immédiat, sans "baguette magique", expression employée par le ministre ce matin à Bobigny.

Face à une centaine de magistrats et de greffiers, Eric Dupont Moretti a d'abord tenu à défendre son bilan : la hausse "historique"  du budget de la justice de 40 % depuis 2017 ainsi que le recrutement de 700 magistrats dont 17 à Bobigny et 850 greffiers lors du premier quinquennat. Des effectifs qui devraient encore croître puisque la Chancellerie assure que 1500 magistrats et 1500 greffiers supplémentaires seront affectés d’ici à 2027. Bien en deçà pourtant des attentes selon Albertine Munoz, juge de l'application des peines et déléguée locale du Syndicat de la magistrature. "Nous sommes dans un dialogue de sourd. Cela fait plus d'un an que nous sommes mobilisés, que nous avons fait des propositions. Le ministre nous demande aujourd'hui encore d’être patients mais que fait-on en attendant ? Nous sommes déjà au point de rupture."

Le personnel "au bord de l’asphyxie"

A Bobigny, tribunal qui célèbre ses 50 ans cette année, le cœur n’est plus à la fête depuis longtemps. En sous-effectif permanent, avec des audiences surchargées qui se finissent au petit matin et des vacances grignotées par les dossiers, le personnel se dit "au bord de l’asphyxie".

Pour traiter le volume exponentiel des affaires, le président du tribunal estime qu’il faudrait 49 postes de magistrats du siège, 24 postes de magistrats du parquet et 168 fonctionnaires du greffe supplémentaires. A défaut, les retards s’accumulent. "A la chambre des préjudices corporels, nous avons dix ans de stocks de dossiers non traités. Chez le juge des enfants, ce sont 20 000 décisions qui sont en attente d’exécution. Il faut treize mois pour que les mesures d’assistance éducative soient exécutées alors qu’il s’agit d’enfants en danger", énumère Maximin Sanson, juge à la chambre des préjudices corporels.

"C’était important que le ministre entende cette réalité-là, même si nous ne nous faisions pas d’illusion sur cette rencontre. Il ne venait pas pour faire de la câlinothérapie mais plutôt pour nous sermonner", relate de son côté la juge pour enfants Emmanuelle Quinry.

Nous sommes en train de couler et ne pouvons plus répondre aux besoins des justiciables. C’est un appel au secours.

Emmanuelle Quinry, Juge pour enfants

A Bobigny, l’épuisement touche tous les corps de métier. Au greffe, 54 personnes ont demandé à partir, ne pouvant plus faire face à la pénibilité de leur quotidien. Le 21 octobre, huit d’entre eux sur les 20 affectés au tribunal pour enfants étaient en arrêt maladie. Résultat, douze audiences ont dû être annulées. 120 mineurs n’ont pas pu être jugés.

Lundi 21 novembre,  une magistrate a fait un malaise dans le tribunal. Une semaine plus tard, une audience s’est terminée à 6h50 du matin. Le juge et son greffier qui avaient commencé leur journée à 10h la veille n’ont eu que trois heures de repos avant d’enchainer sur une nouvelle audience.

Un sombre tableau dressé par le président du tribunal Peimane Ghaleh-Marzban et le procureur de Bobigny Eric Mathais dans leur courrier adressé le 7 décembre à la cour d’appel de Paris. "Nous sommes à un moment crucial de la juridiction et nous craignons, chaque jour, pour la santé de nos collègues magistrats et fonctionnaires, qui ne peuvent assumer leurs missions qu’en travaillant durant les soirées, les week-ends et les congés, engendrant une souffrance au travail."

L'inquiétude des Jeux Olympiques

Selon eux, les Jeux Olympiques bousculent davantage l’équilibre précaire de ce tribunal sous tension. "Le tribunal n’a pas les moyens de ses ambitions et des charges singulières qui sont les siennes dans la perspective des Jeux olympiques. Malgré une activité intense des audiences correctionnelles et l’augmentation croissante du service des assises, la communauté judiciaire n’a pas le sentiment de bien juger, ni de rendre une justice de qualité pour les justiciables." 

Dans la perspective des JO, la Seine-Saint-Denis connait déjà un renforcement de ses effectifs de police. L’action publique s’est intensifiée notamment au titre de la lutte contre les trafics de stupéfiants et les vendeurs à la sauvette. "Cela signifie déjà plus de gardes à vue, plus de procédures mais sans moyens supplémentaires pour la justice. Le garde des Sceaux nous a dit ce matin "les services y travaillent". Ce n’est pas une réponse, c’est tout de suite que le problème se pose", alerte Albertine Munoz.

Le ministère promet des renforts sans en préciser le chiffre mais le retard est abyssal. La France compte deux fois moins de juges et de greffiers que dans un pays européen comparable.

 

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