La maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis est menacée de disparition. Elle fait partie intégrante de l'histoire des femmes et de l'identité de la ville des Lilas. Si l'ARS Île-de-France ne prolonge pas son autorisation d'exercer qui arrive à terme le 2 juin, elle devra fermer alors que de nombreuses naissances ont lieu, comme en témoigne ce couple comblé par la naissance de leur premier enfant, un petit garçon.
C'est à la maternité des lilas que le petit Adem est né sous le regard comblé de ses parents Anna et Samir. Anna a 35 ans et Samir 37 ans.
Pour leur premier enfant, le couple a fait le choix de venir dans cet établissement, pour sa qualité de prise en charge et ses méthodes uniques. "Le rêve d'Anne était d'accoucher dans l'eau, alors tout de suite, notre choix s'est porté ici", explique Samir.
On a respecté mon choix.
Anna, jeune maman
"Quand j'ai appris que j'allais avoir un enfant, j'ai commencé à chercher dans Paris où je pourrais accoucher le plus naturellement possible", explique Anne. "Quand je suis arrivée pour accoucher, personne ne m'a parlé de péridurale, car dans mon dossier, il était écrit que mon souhait était d'accoucher naturellement. On a respecté mon choix et quand le travail a commencé l'équipe m'a aidé à supporter les contractions. Mais c'est vrai que je suis passée par des positions les plus insolites, tantôt debout, tantôt à quatre pattes, je m'étais dit que des milliers de femmes le faisaient sans péridurale, alors pourquoi pas moi ! ", assure la jeune maman.
Apprendre que cette maternité risque de fermer en juin prochain désole ce couple. "Je trouve ça vraiment triste, car des structures comme celle-ci, il n'y en a pas beaucoup. Ici, il y a une vraie prise en charge différente, moins médicalisée, mais le personnel sait faire. Je n'ai jamais été inquiétée contrairement à mon entourage, sauf Samir bien sûr, qui était préoccupé, car cette maternité est de niveau 1, donc pas équipée en cas de difficulté pour moi ou le bébé ", reconnaît Anne.
Oui, mais la petite maternité de niveau 1 (ne pouvant traiter les grossesses à risque) a acquis une solide réputation d'autant que son histoire est étroitement liée à la lutte pour les droits des femmes, notamment la contraception et l'interruption volontaire de grossesse (IVG).
Une maternité, symbole du choix des femmes
Installée depuis 1964 aux Lilas, cette maternité est une des pionnières en France de l'accouchement naturel, en tout cas le moins médicalisé possible. Elle a pu voir le jour grâce à une femme, riche et avant-gardiste, la comtesse de Charnière. Son désir est alors d'offrir aux femmes, un endroit où elles auraient le droit d'accoucher sans douleur. C'est dans cet esprit que la maternité des Lilas voit le jour.
Depuis sa création, elle suscite des contestations. Des menaces, elle en a eu souvent. Déjà en 1976, la maternité doit faire face à une première tentative de fermeture. Malgré ce contexte, les équipes continuent de lutter contre l'hyper-médicalisation des accouchements. L'établissement est sauvé grâce à une mobilisation monstre du personnel, des patients et des défenseurs de sa spécificité en matière d'avortement et de contraception.
Car la maternité des Lilas, c'est aussi un autre grand combat : les IVG, interruptions volontaires de grossesse. L’établissement a souvent été pris d'assaut par des commandos anti-IVG. En 1975, la loi Veil autorise l'avortement. Les opérations commando se calment grâce à la loi Neiertz de 1993, qui condamne l'entrave à l'IVG.
Des salariés inquiets
Aujourd'hui, pour les soignants, fermer cet établissement, c'est non seulement priver des femmes de leurs choix, mais c’est également plonger des salariés dans l'incertitude.
Fatoumata Loiseau est aide-soignante depuis plus de 32 ans à la maternité des Lilas. Elle ne compte plus le nombre d'enfants qu'elle a vu naître. Tous les jours, elle prend les transports de sa banlieue du Val-de-Marne jusqu'aux Lilas en Seine-Saint-Denis. Parfois, elle met plus d'une heure et demie pour rentrer surtout quand elle finit à 20 heures. Pour rien au monde, elle ne changerait d'endroit tellement, la façon de travailler à la maternité est inégalable à ses yeux.
C'est un endroit qui ne devrait pas disparaître du paysage médical.
Fatoumata Loiseau, aide-soignante
"C'est quand même l'endroit où les parents ont le choix et où on écoute le désir du couple. On travaille en équipe, je ne crois pas trouver une même qualité de travail dans une maternité classique ", reconnaît Fatoumata Loiseau.
La centaine des salariés a envisagé de se mobiliser. Seulement le personnel a tellement été sollicité durant cette crise sanitaire qu'il n'a pas trouvé le temps pour alerter plus haut et plus fort. "Juin, c'est demain, on se sent menotté maintenant. On est très inquiet forcément et on en discute entre nous. On se dit que ce serait quand même dommage qu'on ne soit pas repris par une structure et que c'est un endroit qui ne devrait pas disparaître du paysage médical " défend-elle.
Des finances en berne et des locaux obsolètes
Seulement, depuis plus de dix ans, loin des logiques de rentabilité, la structure n’a cessé d’accumuler les difficultés. Son déficit s’élève à plusieurs millions d’euros et les locaux ne correspondent plus aux normes. Malgré de nombreuses promesses.
En 2012, François Hollande, en pleine campagne présidentielle, promettait au pied des murs en brique de la vieille maternité d’en rebâtir une nouvelle, "qui puisse avoir le même esprit dans un autre lieu et avec des financements pérennisés".
Des espoirs, il y en a eu aussi. La maternité était même prête à déménager, quand en 2015, un projet de l'adosser à une extension de la clinique Floréal à Bagnolet avait été validé par l’ARS, l’Agence régionale de santé. Finalement, il sera retoqué deux ans plus tard. "Floréal aurait pu nous sauver", avance Myriam Budan, la directrice de la maternité des Lilas, "mais la clinique vient d'être absorbée par le groupe Almaviva Santé, nous avons espéré que ce dernier serait dans le même état d'esprit que Floréal et qu’il nous reprendrait ", avance-t-elle.
Je ne peux imaginer qu'on ne nous vienne pas en aide.
Myriam Budan, directrice maternité des Lilas
Myriam Budan est arrivée il y a un an pour redresser l'établissement. Dans sa poche, des solutions mais encore faut-il que l'ARS Île-de-France accepte de prolonger leur autorisation d'exercer qui arrive à terme le 2 juin prochain. D'autant que trois repreneurs sont intéressés. Le groupe Almaviva, le group Avec , anciennement Docte Gestio, déjà propriétaire de la clinique Vauban à Livry-Gargan, et le groupe Sos, en sachant que le deuxième est le plus intéressé, selon la directrice.
"Il faut que l'ARS nous dise vers quel groupe, il serait judicieux d'avancer. Je ne peux imaginer qu'on ne nous vienne pas en aide. Je défends ce lieu à 100 %, car la maternité des Lilas est unique", explique-t-elle, avant d'ajouter " Ça doit se décider avant le mois de juin, car il faut absolument que je puisse rassurer les salariés mais aussi les futures mamans que nous prenons en charge actuellement et celles qui nous appellent. La Seine-Saint-Denis ne peut pas se passer de cette maternité surtout dans ce département qui souffre énormément de désert médical ", rappelle-t-elle.
Elle souligne aussi l'importance du planning familial très fréquenté, également menacé, avec un sursis de fermeture repoussé à mars 2023. "Chaque année, plus de 1.300 avortements sont pratiqués aux Lilas, pour la Seine-Saint-Denis, c’est très important ", conclut-elle.
Maintenir la maternité des Lilas ouverte, ferait le plus grand bonheur d'Anne qui finalement n'a pas accouché dans l'eau.
"En fait, juste avant le début du travail, j'avais pris une longue douche alors du coup, je n'avais plus trop envie d'aller dans l'eau. J'ai préféré vivre chaque instant dans la position qui me soulageait le mieux, et j'ai été tellement bien entourée que j'avais oublié l'envie d'aller dans l'eau ". Un rêve qu'elle souhaitait pourtant pouvoir réaliser et qui l'avait conduit jusqu'à cette maternité. Pour la prochaine fois, la rassure Samir. Le couple espère que cette maternité pourra être sauvée.
Pour 2021, 1107 accouchements y ont été réalisés soit en moyenne entre 3 et 4 naissances par jour.
De nombreuses personnalités se mobilisent pour venir en aide à la maternité et n'hésitent pas à apporter leurs soutiens au Collectif des Usagers de la Maternité des Lilas . C'est le cas de la comédienne Karine Viard qui raconte ses deux accouchements aux Lilas, et comment la prise en charge a été formidable surtout pour son deuxième accouchement très compliqué pour elle et sa fille.