Comme Nora, chaque jour des milliers de personnes qui vivent dans la rue, tentent de contacter le 115 pour obtenir un lit pour la nuit. Bien plus que les années précédentes, le service est saturé, en particulier en Seine-Saint-Denis. Les sans-abris peuvent parfois attendre plusieurs semaines avant d'avoir une place à l'hôtel.
C'est à la force des bras que, chaque soir, Nora, 57 ans, rejoint son abri de fortune pour la nuit. Avec l'arrivée du froid, elle nous raconte avoir quitté la rue pour s'installer dans ce bâtiment abandonné en plein coeur d'une cité de Bobigny. Divorcée, elle n'a plus aucun contact avec ses deux enfants. Fille unique, ses parents sont décédés. Elle s'est retrouvée à la rue il y a un an et demi. Auparavant elle travaillait puis a connu une période de chômage. Elle touche actuellement 600€ par mois - une somme insuffisante pour se loger. Elle est donc devenue une des milliers de femme que l'on définit comme "isolée".
"Ben voilà vous êtes chez moi pour la nuit. Je dors là." confie-t-elle en rangeant ses affaires pour nous accueillir dans cette modeste pièce avec un lit. Dans ce squat, le mercure avoisine les zéro degrés, de nuit comme de jour. Depuis des mois, Nora tente d'appeler le 115 pour obtenir un hébergement d'urgence. En vain.
"A chaque fois que j'appelle, ça raccroche et je reçois toujours le même message : un hébergement n'a pas pu être trouvé pour ce soir. Veuillez rappeler demain si nécessaire." Un message qu'elle connait par coeur. Des larmes de détresse apparaissent lorsqu'elle précise : "On essaie quand même, même si on y croit pas."
Le calvaire pour trouver une place d'urgence
Sur la plateforme du 115 de la Seine-Saint-Denis, 2 000 appels sont reçus chaque jour.
"Vous avez dormi dans l'hôpital ou à coté de l'hôpital ?" Guillaume est écoutant pour le 115, via l'association Inter Logement 93, située à Montreuil (93). A l'autre bout du fil, une femme lui confirme dormir "à côté de l'hôpital". Donc dehors, dans la rue. En ce moment les températures ressenties sont proches des -2° C.
Ces appels à l'aide trouvent très rarement des solutions pour le soir même. Seul 5% des demandeurs obtiennent une place pour la nuit. Dépité, Guillaume confie : "On a de plus en plus d'appels ; et ce qui nous désole de plus en plus, c'est la certitude que l'on ne va pas avoir de réponse à apporter pour le soir même."
Les associations tirent la sonnette d'alarme. Avec seulement 12 500 places d'accueil d'urgence, elles craignent de ne pouvoir gérer l'augmentation du nombre de sans-abris dans le 93. Seulement 1 700 ont été pérennisées comme places d'urgence.
Philippe Avez, le directeur général d'Inter Logement 93, est très inquiet car il voit arriver l'an prochain la coupe du monde de Rugby et en 2024 les Jeux Olympiques : "Le tourisme, les événements mondiaux qui vont se décliner dans les prochains mois dans notre département risquent d'aggraver encore la situation et de diminuer le nombre de places d'hôtels dont nous allons disposer pour les mois qui viennent." Si rien n'est fait, le nombre de places disponibles dans les hôtels va donc se réduire comme peau de chagrin. Son département, le plus précaire, compte aussi le plus de personnes dans le besoin.
Pour alerter les autorités, il a mis en ligne un calendrier de l'avent des sans-abris. Chaque jour, la situation d'une personne comme Nora y est racontée.
Record historique des personnes à la rue en Seine-Saint-Denis
On compte en moyenne pour ce mois de novembre 386 demandes de mise à l’abri non pourvues par jour dans le département, contre 280 personnes l’année dernière.
Différentes études réalisées par Inter Logement 93 montrent que de nombreuses personnes à la rue n’appellent plus le 115 : 71% selon une étude réalisée en juin 2022. Parce que le temps d’attente est trop long ou bien parce qu’elles savent, par expérience, que leurs chances d’avoir un toit pour la nuit sont minimes.
Des associations démunies
Alors, en attendant de trouver un lit pour la nuit, certains, comme Nora, se rendent en accueil de jour. "La Marmite", située à Bondy, est un lieu convivial pour trouver un semblant de vie normale. Laver son linge ou encore prendre une douche, des petits gestes simples du quotidien, même si la dureté de la rue n'est pas loin. Dans le miroir, après s'être coiffée, Nora se retourne fièrement et confie : "Ici je n'ai plus l'impression d'être une marginale. Je me sens entourée, plus seule et bien avec les autres."
Mais les locaux ne sont ouverts que 8 heures par jour 5 jours par semains. Chaque soir, le directeur de l'association "La Marmite", Aschwin Ramenah se sent lui aussi démuni : "On ferme à 17h45 et c'est sûr que ce n'est pas facile à cette heure-là de dire à une femme avec des enfants, vous allez devoir aller dehors maintenant et on ne peut pas grand chose d'autre pour vous."
Lundi dernier, selon Inter Logement 93, le 115 a enregistré 739 demandes de mise à l'abri, un record comprenant : 278 mineurs, dont 100 enfants de moins de 4 ans et 45 femmes enceintes. Combien de mises à l’abri ont pu être faites ce jour-là : 0 !