Face à un "record historique de personnes à la rue en Seine-Saint-Denis", l’association Interlogement93, qui gère le 115, lance ce jeudi un "calendrier de l’attente". Avec, chaque jour, "des situations dramatiques dévoilées" pour tirer la sonnette d’alarme.
Un jour, une situation d’urgence. Interlogement93, qui fait face à "une augmentation toujours croissante du nombre de personnes laissées sans réponse" au 115, publiera quotidiennement ce mois-ci "une nouvelle situation de demande non pourvue". Ce "calendrier de l’attente", à retrouver sur le compte Twitter de l’association, vise à rappeler à Olivier Klein, le ministre délégué à la Ville et au Logement, que "derrière les chiffres", "ce sont des gens qui ne veulent pas mourir à la rue qui appellent" le 115.
"S’il vous plaît, trouvez une place au moins pour mon fils qui ne peut pas être hébergé par un copain ce soir", alerte par exemple "Monsieur F.", un homme qui "dort dans la rue depuis trois mois" et qui "choisit la cage d'escalier dans laquelle il passera la nuit en fonction du lieu dans lequel il arrive à faire héberger son fils, lorsque c’est possible, grâce à des copains de l’école". "Son fils est malade et en attente d'une opération lourde", raconte l’association.
"Ces témoignages ont été reçus au 115 et en présentiel dans des centres d'accueil de jour. Ce sont des situations de grande vulnérabilité, qui touchent toutes les catégories de public. Il y a des familles, des couples sans enfant, des problématiques de santé, de vieillesse, de très jeune âge… Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire du 115 d’avoir un nombre aussi important de personnes auxquelles on n’a aucune réponse à apporter, malgré ces priorités absolues", déplore Maxence Delaporte, directeur général adjoint d’Interlogement93.
"Les données ne représentent que la face émergée de l’iceberg"
L’association a compté en moyenne en novembre "386 demandes de mise à l’abri non pourvues (DNP) par jour dans le département, contre 280 personnes l’année dernière". Des "chiffres lissés sur une semaine", note Maxence Delaporte, selon qui "les données ne représentent que la face émergée de l’iceberg".
D’après une étude réalisée en juin 2021 et citée par l’association, 71% des personnes à la rue "n’appellent plus le 115 parce que le temps d’attente est trop long ou parce qu’elles savent, par expérience, que leurs chances d’avoir un toit pour la nuit sont minimes".
Pour tenter d’avoir "une vision plus objective de la réalité", Interlogement93 a mis en place lundi "une opération de renfort des équipes du 115". "L’idée était de mettre tous les moyens pour décrocher le téléphone pour l'intégralité des appels et se rendre compte du volume global", explique Maxence Delaporte. Bilan : 739 demandes de mises à l’abri enregistrées, dont 45 femmes enceintes et 278 mineurs, 100 d'entre eux ayant moins de quatre ans. "Ce jour-là, aucune personne n’a pu être mise à l’abri", indique le directeur général adjoint.
"On n’a pas vraiment de solution à leur proposer"
"En période hivernale, c’est encore plus compliqué que d’habitude" déplore également Aschwin Ramenah, directeur général de La Marmite, une association qui gère un centre d'accueil de jour à Bondy (Seine-Saint-Denis). Ouvert en journée, le lieu accueille chaque année 1300 personnes en grande précarité.
"Les chiffres ont beaucoup augmenté depuis la crise sanitaire, ça commence à se stabiliser à cette fréquence, explique Aschwin Ramenah. Ce sont des familles, des personnes isolées… On fournit des prestations de première nécessité avec des douches, une buanderie, un accompagnement social et de 70 à 90 repas par jour." L’association aide aussi à l’insertion professionnelle.
"Énormément de personnes viennent pour solliciter un hébergement, on ne peut pas faire grand-chose à part les orienter vers le 115. Et malheureusement on sait très bien que les places sont très rares. On n’a pas vraiment de solution à leur proposer, c’est difficile de leur dire", déplore-t-il.
"L’Etat a gelé les moyens"
Pour expliquer l'origine de cette "situation intenable", Maxence Delaporte cite "une conjonction de plusieurs facteurs". "A l’été 2021, le gouvernement a décidé de mettre fin à la 'gestion au thermomètre' du parc d’hébergement. Depuis, on doit faire à moyens constants, avec un gel des créations de nouvelles places et un parc de mise à l’abri qui a même tendance à baisser avec la perte de places d’hôtel à l’approche de la coupe du monde de rugby en 2023 et des JO de 2024", détaille-t-il.
"Chaque année, il y a une masse de nouvelles personnes qui tombent dans la précarité, ou qui arrivent sur le territoire français. La précarité est un flux en augmentation constante. Et malgré les effets de la crise sanitaire et de la crise économique, l’Etat a gelé les moyens pour des questions de budget et des questions liées à la politique migratoire. Il n’y a plus de 'Plan Hiver' pour renforcer les places d'hébergement d'urgence, on gèle seulement les expulsions locatives", poursuit Maxence Delaporte.
"A court terme, on demande au gouvernement de mettre à disposition plus de place de mise à l’abri de toute urgence, tout ce qui peut être disponible. A moyen et long terme, il faut construire des logements sociaux pour avoir des réponses durables. Si on ne fait rien, on va à la catastrophe", alerte-t-il.
Au-delà du numéro d'appel d'urgence, Interlogement93 gère plus globalement le Service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) des personnes dépourvues de logements en Seine-Saint-Denis, avec 12 000 places d'hôtel, 5000 places d'hébergement pérenne et 5000 logements temporaires. A noter que l’association veut mettre en place le 21 janvier prochain une grande opération de dénombrement des personnes sans abri, en collaboration avec la Métropole du Grand Paris et des collectivités. Un dispositif sur le même principe que la Nuit de la Solidarité dans la capitale.