Les habitants d'Amiens les connaissent bien : les gilets orange des bénévoles des Maraudes citoyennes amiénoises sont facilement repérables les mercredis soir, place Gambetta. Le point de ralliement de tous ceux, sans abris, précaires, en quête d'un repas chaud et d'un mot gentil.
"Nous savons qu'avec la fin du mois, il y aura du monde à la distribution alimentaire du mercredi soir. Certaines personnes, sans domicile fixe, n'ont pas mangé depuis deux trois jours. Ils ont faim, alors parfois, on leur sert jusqu’à trois assiettes", nous explique la présidente des Maraudes citoyennes amiénoises, Martine Bourgeois.
Martine, bénévole au sein de la structure depuis sa création il y a cinq ans, en est devenue la présidente il y a deux ans. Retraitée du ministère des Finances publiques, avec sa voix grave de fumeuse, elle balaye son passé d'un revers de main : "je ne veux plus en parler, c'est derrière moi. J'ai 63 ans aujourd'hui, et ma seconde famille ce sont eux, tous les délaissés, les déclassés du système. Personne n'est à l'abri d'un accident de la vie et du cortège de conséquences parfois désastreuses qui peuvent en découler".
Un plat chaud assaisonné de beaucoup d'humanité
Mue par un désir profond d'apporter du mieux être à ces êtres en souffrance, Martine Bourgeois est à la tête d'une vingtaine de bénévoles dont elle souligne l'engagement total et le dévouement. "C’est nécessaire vous savez, car la plupart travaillent. Il y a tous les âges. Mais il faut donner de son temps, cuisiner les repas chauds chez soi, puis les distribuer chaque mercredi soir et ce, quelle que soit la météo".
Nous sommes présents sur place de 19h à 22h et en général, on offre une cinquantaine de repas par soirée. À Amiens, nous ne sommes pas les seuls bien sûr à assurer des maraudes, mais nous sommes uniques par notre volonté de faire de ce moment un vrai moment de partage, de confidences et de rires".
D'ailleurs, Martine Bourgeois n'oublie jamais un anniversaire, fût-ce celui d'un sans-abri. "Ce sont des choses qu'ils ne vivent plus, alors je leur prévois un gâteau, une bougie et un petit cadeau".
La montée en puissance des Maraudes citoyennes amiénoises
À l’origine, en 2019, les Maraudes citoyennes sont le fait d'une poignée de bénévoles qui décident d'apporter des repas chauds aux hommes et aux femmes poussés dans la rue par les aléas de la vie. "Mais à force de poster nos appels aux dons sur les réseaux, il y a eu un tel afflux de denrées alimentaires et de dons en argent, qu'il est devenu nécessaire de se déclarer en préfecture pour se constituer en association". Une structure dont le mot d'ordre figure au dos des gilets orange revêtus lors des maraudes : "la fin de la faim".
Et une structure bien rodée désormais. "Grâce à des dons, on dispose de chariots pour le transport de nos plats chauds, d'un four à micro-ondes et de deux cafetières. Et jusqu'à 20h30, nous disposons d'électricité grâce à la générosité d'un commerce du centre-ville qui nous autorise à nous brancher chez eux". Mais la présidente des Maraudes regrette que la ville ne prévoie pas un branchement pérenne pour lui permettre de garder au chaud les repas, plus de 200 par mois distribués aux plus précaires. "Par conséquent, à partir de 20h30, on est obligé de travailler dans le noir !".
"Il faut préciser que les dons en argent des particuliers font l'objet d'un reçu qui ouvre droit à défiscalisation. Quant aux dons alimentaires, que je stocke à domicile dans des armoires métalliques pour une conservation optimale, nous en avons besoin chaque semaine".
Aujourd'hui, les Maraudes comptent une vingtaine de bénévoles. "Un chiffre suffisant pour le moment", assure Martine. "On fonctionne par roulement, notamment pour préparer les repas, faire cuire viandes, légumes et pâtes. Et pour les thermos de café et de chocolat. On fait tout ça chacun chez soi. Je donne à chacun deux kilos de denrées pour les plats et le soir venu, les mercredis, on rapporte le tout sur place".
On les connaît tous et je ne raterais ça pour rien au monde.
Martine Bourgeois, présidente des Maraudes citoyennes amiénoises
Chaque mercredi soir, l'arrivée des gilets orange place Gambetta est très attendue par les plus démunis. "Je les connais tous, ils sont une centaine de sans-abri environ. Les hommes sont plus enclins à faire appel à nous. Pour ceux qui n'osent pas venir, nous avons mis au point un système de binômes qui circulent dans les rues d'Amiens pour une maraude expresse avec café, chocolat repas chauds et gâteaux. Nous allons à leur rencontre, c'est plus simple pour eux".
Martine connaît bien désormais ce petit monde de la rue : "ils ont un grand besoin de parler, de se confier. C'est un moment d'échange privilégié pour eux, sans jugement, dans un climat de bienveillance. Ils sont comme une seconde famille pour nous".
Avec le retour des températures hivernales, l'association veille aussi à distribuer des sacs de couchage, "grâce à des dons d'Emmaüs", précise Martine. "Et récemment, on a distribué 18 bonnets à nos bénéficiaires". Les Maraudes citoyennes qui auraient grand besoin aussi de lingettes, car "ils n'ont que ça pour se laver dans la rue. On est aussi en quête de mouchoirs en papier".
Enfin, la plupart des sans-abri étant accompagnés par des animaux domestiques, chiens et parfois chats, Martine Bourgeois lance un appel au don de croquettes. "Je leur fournis un petit sac chaque semaine, mais en ce moment, je suis à court".
"C'est très rare qu'il y ait un problème, type bagarre ou violence"
"En cinq ans de bénévolat, je n'ai connu qu'une altercation". Dans la rue, certains ont développé des addictions occasionnelles, et les jeunes sont majoritaires, mais Martine l'affirme, "les problèmes sont très rares. De toute façon, nous n'avons aucun couteau dans notre vaisselle et au moindre souci, ils sont prévenus, on remballe".
Ce rendez-vous hebdomadaire, chacun y tient, bénévoles et bénéficiaires. Donc pas question de gâcher la fête. Et justement, à l'approche des fêtes de Noël, l'association lance sa traditionnelle opération "Les boîtes solidaires". Le principe est simple, dans une boîte à chaussures, ou un tote bag, "glissez un mot doux, un produit d'hygiène, un truc bon, un bonnet ou des gants et enfin un loisir, type mot fléchés, coloriages ou livre". L'an passé, 200 boîtes solidaires ont été distribuées à ceux qui n'auront pas la chance de passer les fêtes à l'abri et entourés.
"Le plus beau cadeau pour notre association", conclut Martine Bourgeois, "serait que la ville nous mette à disposition un local chauffé pour le repas du 25 décembre et celui que nous offrons à nos bénéficiaires, le 31 décembre jusqu’à minuit".