Témoignage. "Pendant que ma fille était au collège, je ne vivais plus, tellement j’avais peur pour elle", raconte Chantal, maman de Dounia, une adolescente victime de harcèlement

Publié le Écrit par Rachida Bettioui

Dounia, 13 ans, scolarisée dans un collège en Seine-Saint-Denis a été harcelée par son ex-meilleure amie. Un calvaire pour toute la famille. Elle est aujourd'hui sortie de cet enfer. Elle nous a raconté son histoire. Comme elle, un jeune sur 5 est victime de harcèlement selon une étude.

"Je n’aurais jamais cru un jour être la cible de ma meilleure amie", raconte Dounia, 13 ans. Encore maintenant, elle n’arrive pas à comprendre, comment cela a pu se produire.

La vie de collégienne de Dounia a basculé, l’année dernière, alors qu’elle arrive, nouvelle élève, en classe de cinquième dans un collège privé, au Raincy. "J’ai tout de suite sympathisé avec cette fille qui avait plein d’amies. Elle m’a pris sous son aile, et j’ai suivi, car elle avait un truc fort chez elle, on va dire", admet Dounia. Seulement, sa nouvelle amie est plutôt intimidante avec les autres filles du collège. Dounia finit par suivre l’attitude de la jeune fille quand elle-même deviendra sa victime.

Comme tous les adolescents, elles discutent ensemble sur les réseaux sociaux. Dounia est tellement confiante, qu’elle va, même jusqu’à confier ses codes d’accès à celle qui est devenue sa meilleure amie. Au collège, elles deviennent les filles qui font peur. Dounia, à la recherche d’identité, se fait remarquer, et est rapidement cataloguée comme un élément perturbateur par certains enseignants.

Je ne reconnaissais plus ma fille. Son langage changeait et elle me parlait de plus en plus mal

Chantal, maman de Dounia 13 ans

Elle est sous l’emprise de sa meilleure amie qui n’hésite pas à critiquer les autres filles de la classe discrètes et assidues. Dounia devient complice indirectement en restant avec son amie. D’ailleurs, quand elle sera victime à son tour, peu de personnes n’accorderont de l’importance à ces confidences. Résultat, Dounia devient difficile. Chantal, sa mère, découvre une autre facette de Dounia et un nouveau comportement aux antipodes de son éducation, ce qu’elle était loin d’imaginer en l’inscrivant dans ce collège privé.

"Je ne reconnaissais plus ma fille"

Quand, sa maman, Chantal, assistante familiale thérapeutique et famille d'accueil, décide d’inscrire Dounia dans ce collège privé, elle croyait l’avoir mise à l’abri. Scolarisée dans un collège privé en 5ème au Raincy, Dounia arrive de son collège public à quelques kilomètres. La famille a fait le choix de retirer leur fille du public, car le niveau scolaire et les apprentissages ne convenaient plus à Dounia. "Je n'arrivais plus à suivre, tellement la classe était bruyante et indisciplinée. Les professeurs passaient leur temps à faire de la discipline et cela me perturbait pour suivre les cours", explique Dounia.

Inquiets, ses parents décident de l'inscrire l'année suivante dans le privé. Le rythme devient plus dense pour la jeune fille qui se lève une heure plus tôt et rentre une heure plus tard."Je me réveillais à 6 heures du matin et je ne rentrais pas avant 19h30. Je n'avais plus le temps pour faire mes devoirs et je ne partageais plus rien avec ma famille", décrit Dounia. Au-delà du rythme, sa maman, s'aperçoit que sa fille est de plus en plus refermée et devient de plus en plus agressive verbalement.

Au début, Chantal mettra cela sur le compte de la fatigue. "J’ai vu que Dounia semblait fatiguée, mais j’ai mis d’abord cela sur l’aspect logistique", raconte la maman. Dounia ne parle plus le soir en rentrant du collège et passe son temps sur son téléphone. Elle devient la cible de certains professeurs qui trouvent son comportement dissipé. "Je ne reconnaissais plus ma fille. Son langage changeait et elle me parlait de plus en plus mal. L'ambiance à la maison devenait difficile pour tout le monde, et je devais continuer à travailler et tout faire pour que tout tourne correctement à la maison. C'était très, très difficile", se souvient-elle. L’aspect vestimentaire de Dounia change aussi. Elle, qui était coquette, se camoufle sous des grands pulls et porte toujours une capuche sur la tête. La famille s’interroge.

"Tu es une BDH", balancée sur les réseaux sociaux

Quelque temps plus tard, sa fille aînée l’alerte sur un échange qu'elle a lu sur un réseau social où Dounia demande à une personne d'arrêter de l'insulter. Elle découvre aussi qu’elle parle de son mal-être et de scarification. Elle pousse sa fille à lui parler et elle apprend que sa meilleure amie l’insulte et partage des commentaires sur elle : "D est une BDH (bandeuse d’hommes)". Un message envoyé par sa meilleure amie et beaucoup partagée. Dounia est hors d’elle. En plus de sa colère, elle a peur d’en parler.

Quand je suis arrivée à la rentrée en 5ème, je ne connaissais personne et tout de suite, ces filles sont venues vers moi et m'ont prise dans leur bande, mais j'ai fait le mauvais choix

Dounia, collégienne en classe de 4ème

Elle décide de régler ses comptes à distance et seule. Au collège, beaucoup d’élèves relaient les commentaires. "Je n'ai pas compris pourquoi du jour au lendemain, elle m'a prise pour cible. Puis, j'ai compris qu'elle était amoureuse d'un garçon avec qui je m'entendais, mais c'était juste un ami", raconte Dounia.

Mais sa meilleure amie ne l'entend pas ainsi et décide de donner en pâture Dounia. La jeune fille se retrouve isolée et voit que petit à petit son cercle d’amies au collège se réduit... "Quand je suis arrivée à la rentrée en 5ème, je ne connaissais personne et tout de suite, ces filles sont venues vers moi et m'ont prise dans leur bande, mais j'ai fait le mauvais choix", reconnaît aujourd'hui la jeune fille. Pour Dounia, il ne s'agit pas de harcèlement scolaire parce que les faits se sont passés, à l’extérieur et sur des réseaux sociaux. Pour elle, il s’agit juste d’un échange vif qui a mal tourné. Pour Chantal, sa fille refuse d'accepter le statut de victime. Pourtant, il s'agit bien de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement.

Une équipe pédagogique absente

Personne dans la sphère pédagogique de son collège n'a remarqué ce que Dounia subissait. Pour se défendre, Dounia fait la forte tête. Elle tente d’en parler, mais, ayant la réputation d’être chahuteuse et d’être en colère contre son ex-meilleure amie, on minimise les faits. Dounia, en colère, s’agite en classe et passe son temps à se faire remarquer. Pour l'adolescente, c'était une manière de se protéger et de survivre aux insultes et aux brimades de ses anciennes amies. "Pour ne plus être exclue, je commettais des bêtises pour faire rire tout le monde, tout le temps en classe. Je sais que ce n'était pas bien", avoue la jeune fille. Les sanctions pleuvent et les heures de retenues s’enchaînent.

Dounia change de comportement, et devient de plus en plus agressive. La goutte d’eau, une sanction d'un professeur qu’elle juge lourde et injustifiée, qui la met en retenue pendant plusieurs semaines, tous les mercredis après-midi et qui se moquait sans cesse d’elle en classe. Dounia se confie à sa grande sœur qui avertit leur maman.

Elle rencontre le chef d’établissement à qui elle confie les brimades que Dounia subit par cette camarade, mais aussi l’attitude de certains professeurs. La sanction des retenues les mercredis après-midi est levée, mais aucun suivi ne sera fait ensuite. Personne n’a mesuré les conséquences psychologiques subies par Dounia.

L'isolement de Dounia

La jeune fille continue à être la cible de son ex-meilleure amie et de sa bande." Je venais voir d’autres copines, mais comme mon ex-meilleure amie était avec elles, elle m’insultait et me disait de dégager."

Peu à peu, le cercle des camarades de Dounia se restreint. "J’étais avec deux ou trois autres filles que je connaissais dans d’autres classes, mais je sentais que petit à petit, elles allaient, peut-être finir par me lâcher", raconte Dounia.

Sa professeure principale conseille aux parents d'accompagner leur fille chez une psychologue. Celle-ci découvre les brimades dont elle est victime par son ancienne amie de classe, mais aussi par certains professeurs, qui minimisaient les faits.

Entre-temps, la maman découvre, qu’au sein de cet établissement, beaucoup d’élèves qui ont été exclus du public, ont échoué ici, et certains ont des histoires plus difficiles que d’autres."Je suis famille d’accueil, en plus de ma profession. Dounia est notre petite fille, qu’on a adoptée à l’âge de deux mois. Elle a toujours grandi, entourée d’enfants qu’on a recueillis. Et à l’école, elle a toujours été vers des enfants qui étaient en famille d’accueil ou en difficultés familiales. Seulement, à douze ans, on n’est pas préparé à comprendre la psychologie d’autres enfants en difficulté", rappelle Chantal.

"Quand je suis arrivée à la rentrée en 5ème, je ne connaissais personne et tout de suite, ces filles sont venues vers moi et m'ont prise dans leur bande, mais j'ai fait le mauvais choix en étant avec elles", reconnaît aujourd'hui la jeune fille. Dounia est passée de la case harceleuse à la case harcelée, car elle n’a pas vu le danger.

La jeune fille finit son année de cinquième difficilement et développe une phobie scolaire. Un jour, elle rentre le soir et dit à sa mère qu'elle ne veut plus aller en cours. Une peur envahit Dounia. L'année se termine très difficilement. Aujourd’hui, elle se reconstruit et se concentre sur sa scolarité qu’elle suit, chez elle, à distance, près de Gagny, en Seine-Saint-Denis.

Une reconstruction sociale

Tout l'été, Chantal se démène pour trouver une solution pour la rentrée. Elle découvre l'école à distance. Dounia suit son année de 4ème à distance et à la maison, par le biais de l’EFD (École Française Digitale). "Je suis de nouveau heureuse et je suis enfin complètement les cours", dit Dounia, au plus grand bonheur de sa mère. "Ma fille revit. Elle échange avec des personnes scolarisées partout en France et au-delà, certains vivent sur un bateau. Même, si ce sont des relations virtuelles, ce sont de nouvelles rencontres différentes et Dounia est heureuse."

Dounia est devenue très prudente avec les réseaux sociaux. Elle communique très peu et se contente de rester au courant. "Tous les soirs, Dounia me remet son portable et elle ne reste plus rivée sur son écran, comme avant, jusqu’à point d’heure. Je la sens mieux et beaucoup plus reposée", rajoute, soulagée, Chantal.

Mais, il reste une autre crainte pour Dounia, celle de refaire confiance "en vrai" aux gens. "J'ai vraiment peur maintenant de me faire encore humilier ou insulter. Ou qu'on essaie de me manipuler. L'école à distance et les relations à distance, c'est parfait pour moi pour l'instant", souffle-t-elle.

Dounia adore dessiner. Sa mère espère que Dounia se sociabilise davantage, et qu'elle réapprenne à faire confiance aux autres jeunes de son âge. "J'aime beaucoup le conservatoire de ma ville. Peut-être que j'irai et je sais qu'il y a des cours de dessin" avance Dounia.

Pour elle, comme pour sa mère, la journée du 9 novembre dédiée au harcèlement scolaire à l’école est politique. "Il faut reprendre l’éducation des parents. Moi, j’ai bien vu que j’étais seule, même si j’ai été reçue par le chef d’établissement et que je suis très respectueuse des institutions et du métier d'enseignant", regrette Chantal. "J’ai l’impression qu’ils ne prennent pas en compte ce que la rivalité entre des ados peut engendrer comme risques. J’ai failli perdre ma fille, qui se serait peut-être fait du mal, un jour" avoue, horrifiée, Chantal.

La tragique histoire de Lucas, parle beaucoup à cette mère qui n’arrive pas à comprendre comment des enfants peuvent se faire autant souffrir. "J’ai pensé à cette fille qui s’en est prise à Dounia en passant d’une amitié à une haine terrible. J’ai parlé aux parents aussi pour comprendre et eux-mêmes tombaient des nues. Il faut avouer qu’ils sont forts les gamins pour naviguer sur les réseaux sociaux, tout en nous laissant, nous, parents, ignorants", regrette Chantal.

Pourquoi Dounia a suivi ces filles ? Cela reste un mystère pour Chantal. Sur les réseaux sociaux, Dounia parlait de sa recherche d’identité. Pour Dounia, cette journée de sensibilisation au harcèlement scolaire à l’école, ce n’est pas suffisant. "Moi, je connaissais plein de filles dans mon collège qui étaient harcelées. On les traitait sur leurs physiques ou sur le fait qu'elles étaient timides et discrètes. J’ai commencé à leur parler, lorsque, moi-même, j’étais isolée. Toutes ont répondu qu’elles n’osent pas parler, surtout aux adultes du collège. De toute façon, ils ne voyaient rien ou ne voulaient rien voir dans mon collège, mais peut-être qu'ailleurs, c'est différent", murmure Dounia.

Selon une enquête de l’Ifop, pour l’association Marion la main tendue et Head & Shoulders, un élève sur cinq est victime de harcèlement scolaire.

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