« C’est une déchirure. Cela me fait très mal de partir », confie, comme de nombreuses familles, une femme évacuée avant Noël de la tour Guyenne à Sarcelles

Les quelque 200 résidents de cette tour de 17 étages ont été forcés d’évacuer leur logement. Face aux risques jugés "graves et imminents", le préfet et le maire ont pris un arrêté de péril, au grand dam des habitants, entre colère et résignation.

Une valise dans une main, et un radiateur électrique sous le bras. Il est à peine 7 heures ce lundi matin lorsque tous les résidents de la tour Guyenne quittent définitivement leurs appartements. Accueillie sous les barnums installés dans le centre commercial qui se trouve à proximité, le temps de pouvoir poser quelques questions sur sa situation, Lydie Gnazalé est fixée sur son sort. Comme pour les quelque 200 autres occupants de la tour, il est prévu qu’elle soit relogée dans un hôtel à Pierrelaye (91), à 30 km de là. Cet éloignement, c’est un choc pour cette femme de 48 ans : comment se rendre, sans véhicule, dans une ville qu’elle ne connaît pas et où elle ne connaît personne ? « C’est une déchirure. Cela me fait très mal. Je me dis que j’ai travaillé autant pour rien. Aujourd’hui on m’arrache tout, on veut me prendre mon bien », confie-t-elle très émue. Patiemment, cette ancienne femme de ménage, qui a aussi longtemps travaillé en tant que nourrice, s’est endettée pour acheter un appartement bien à elle, au 16ème et avant dernier étage de la tour Guyenne. Depuis son appartement, la vue est magnifique, sur Paris, la tour Eiffel au loin. Sa fierté.

Mais en seulement cinq jours, elle a dû rassembler 11 ans d’une vie dans des cartons et des sacs. Un déménagement impossible pour cette femme qui vit désormais seule. En partie paralysée du côté droit par un AVC, Lydie a dû arrêter son travail pour invalidité. Elle a pu compter sur la solidarité de deux amis de son fils. Inquiétude supplémentaire, une fois relogée à l’hôtel, cela deviendra très difficile pour elle de poursuivre ses séances de kinésithérapie à Sarcelles. Des massages qui sont gages de sa mobilité, elle qui marche à l’aide d’une béquille.

Une décision accélérée juste avant Noël

Les habitants ont été prévenus la semaine dernière par la mairie de Sarcelles et la préfecture du Val-d’Oise, suite à un nouveau rapport d'expertise en date du 7 décembre qui faisait état d'un "danger grave et imminent pour les occupants et les tiers". Une nouvelle qui n’en est pas vraiment une : cela fait déjà plusieurs années que la copropriété est à la dérive.

Avec 67 logements répartis sur 17 étages, la tour Guyenne est l'une des quatre tours d'habitations de l'ensemble des Flanades, un complexe urbain construit en 1972 au centre du Grand Ensemble de Sarcelles. Elle ne compte aujourd’hui que sept propriétaires occupants, qui se retrouvent étranglés par des charges à 600 euros par mois. La tour a été plusieurs fois signalée pour la présence de marchands de sommeil dans ses murs. En vain, jusqu’à présent…

Des occupants sans bail

En dessous de l’appartement de Lydie Gnazalé, vit un jeune homme en apprentissage. A 33 ans, Ladji Traoré a repris des études et prépare un CAP en pâtisserie dans une école à Bobigny (93). Quand son « propriétaire » l’a appelé au début du week-end pour lui dire de partir immédiatement, Ladji s’est effondré. « Ça m’a traumatisé car je ne sais pas où aller. »

Sans famille en France, ce jeune réfugié, qui a fui la guerre au Mali, loue son logement 490€ par mois ; mais son logeur ne lui a pas fait signer de bail, à lui comme aux autres personnes avec qui il partage l’appartement. Une pratique qui est totalement illégale. Et qui n’est pas sans conséquence grave pour lui, puisqu’à la différence des autres occupants de la tour, il n’aurait pas droit au relogement à l’hôtel comme promis par l’état et la mairie. Heureusement, après un réexamen de son dossier dans la matinée, une chambre lui est finalement proposée pour une durée de six mois.

La vie de famille et d’enfants est en jeu

A quelques jours de Noël, le maire (PS) de la Ville, Patrick Haddad, est tout à fait « conscient que ce n’est pas simple de faire des cartons comme ça en cinq jours. »

Je pense que c’est mieux que de mourir dans un incendie. Même si le pourcentage de chance pour qu’il y ait un incendie n’est que de 1 sur 10. Cela fait beaucoup. Cela s’appelle la roulette russe et nous, on ne joue pas à la roulette russe avec la vie des gens. Donc on les met en sécurité.

Patrick Haddad, maire (PS) de Sarcelles (95)

En effet, près de 58 enfants, dont 43 mineurs, résident dans cette copropriété qui a fait l’objet de nombreux signalements de la part des pompiers et des bailleurs (Séqens et CDC Habitat). Car, selon la préfecture du Val d’Oise, depuis février 2022, il n’y a plus de chauffage central collectif. Par ailleurs, les VMC qui assuraient auparavant une bonne ventilation sont défaillantes et plusieurs portes coupe-feu sont hors service.  Alors, face aux grands froids, les habitants se sont équipés de chauffage d’appoint, parfois avec des fils dénudés à même la prise selon la mairie. Le risque d’incendie devient alors maximal en cette période hivernale.

Une longue procédure à venir


Après avoir sollicité à plusieurs reprises l’administrateur de la tour, le tribunal administratif a mandaté un expert dont les conclusions sont sans équivoque : la tour est dangereuse pour ses occupants et nécessite des travaux de mise en sécurité urgents. Or, la copropriété est largement endettée (à hauteur de plus d’un million d’Euros) et a été placée sous administration. L’administrateur n’a manifestement pas les moyens d’engager ces travaux. Pour la mairie et la préfecture, l’évacuation s’est imposée.

Les occupants titulaires d'un titre de propriété ou d'un bail à leur nom peuvent bénéficier de six mois d'hébergement temporaire en attendant de trouver un nouveau logement. Cette évacuation a été accélérée par les récents incendies mortels survenus dans des bâtiments dégradés à Vaulx-en-Velin (dix morts), près de Lyon, et Stains (trois morts), en Seine-Saint-Denis.

Après son évacuation, la tour Guyenne sera "recyclée" en étant reprise par un bailleur social, qui bénéficiera d'une aide financière de l'ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) pour la réhabilitation. Aucun des propriétaires occupants, comme Lydie Gnazalé, et aucun des locataires, comme Ladji Traoré, ne pourront revenir dans cette « tour infernale », comme certains la qualifient depuis plusieurs années. Une fois leurs valises posées dans la précarité temporaire d’une chambre d’hôtel, restera le long chemin pour trouver un logement pérenne.

Didier Morel avec Tania Watine, Marion Lompageu et Maïla Mendy

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