"L'abbé Pierre, c’est un cas d’école, ça n’arrive quasiment jamais" : des lieux débaptisés suite aux accusations contre le prêtre

Suite aux accusations de viols et d'agressions sexuelles visant le prêtre, la Ville de Paris souhaite rebaptiser un jardin, tandis que la mairie d’Alfortville veut renommer un square et remplacer une statue. Selon le professeur émérite de géographie Jean Rieucau, cette vague d’annonces relève d’un "cas nouveau".

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Face aux nouvelles révélations qui visent l’abbé Pierre, la fondation éponyme va être rebaptisée. Rues, écoles, parcs… Et alors que l’AFP décompte en France 150 voies ou lieux-dits portant le nom du prêtre, de nombreuses communes veulent rayer le patronyme du fondateur d'Emmaüs de l’espace public.

À Paris, la mairie a annoncé son souhait de débaptiser les Jardins Grands Moulins Abbé-Pierre, situés dans le 13e arrondissement - un changement qui doit encore être approuvé lors d'un Conseil de Paris. Alors que le nom du prêtre reste visible un peu partout autour de l’espace vert, les Parisiens qui travaillent à proximité semblent partagés.

"Avec toutes les révélations, pas certain que son nom ait la même légitimité qu'avant. Voir son nom sur un panneau, ça ne me dérangeait pas hier, ça me dérange aujourd'hui", réagit Laurence. "C'est compliqué. Je crois à tout ce qui a été dit, mais il est décédé, c'est impossible pour lui de se défendre. Malgré tout je suis pour la cause féministe. Pour le nom des lieux publics, qu’on les enlève ou qu’on les laisse, ça ne me dérange pas", estime de son côté Vincent.

"Plutôt pour, je comprends pour les victimes, pour le message que ça véhicule, pour ce que ça représente, répond Victoria. Mais en même temps je trouve ça un peu drastique, parce qu'autour de l'abbé Pierre et de son nom, il y avait plein de personnes, de bénévoles…"

"On ne peut que débaptiser ce lieu, sinon il restera toujours l'idée qu'on continue d'honorer le bonhomme"

La mairie d’Alfortville, elle, veut rebaptiser son square Abbé-Pierre et retirer le buste du prêtre qui s’y trouve, pour ensuite renommer l’espace vert en mémoire de Joséphine Baker, en installant une statue de l’artiste et résistante. Une décision confirmée par le cabinet du maire, qui indique que ce choix fait suite à "un échange avec la Fondation Abbé-Pierre après l’annonce de son 'débaptême'", et dans le cadre d’une "politique de féminisation du patrimoine".

"La proposition doit être validée et officialisée lors d’un conseil municipal, le 26 septembre, avant la pose d’une nouvelle plaque", précise le cabinet. Le buste, lui, devrait être confié à la Fondation Abbé-Pierre.

"Ce n’est pas le premier scandale qui touche l'Eglise, la parole se libère. Tous ces lieux ont été nommés ainsi pour honorer l'abbé Pierre mais aussi son action, comme la création de la communauté Emmaüs. Le mouvement autour, c'est une belle œuvre", réagit Raffi, un habitant rencontré dans le square.

"Après, je pense qu'on ne peut que débaptiser ce lieu, sinon il restera toujours l'idée qu'on continue d'honorer le bonhomme. Et pourtant j'avais beaucoup d'admiration pour lui, c'était l'une des personnalités les plus populaires en France pendant des années", poursuit l’habitant, en marchant vers la rue Paul Vaillant Couturier, où l’on trouve également une plaque en mémoire de l’abbé Pierre sur une maison : le religieux y a passé les dernières années de sa vie.

"C’est très tabou, et les gens sont attachés aux noms des rues"

Selon Jean Rieucau, professeur émérite de géographie à l'Université Lyon 2, ces nombreuses annonces relèvent d’un "cas nouveau". "On n’a pas eu de 'débaptisation' de ce type depuis #MeToo. L'abbé Pierre, c’est un cas d’école, ça n’arrive quasiment jamais, surtout pour les rues. C’est très tabou, et les gens sont attachés aux noms des rues", explique ce spécialiste de l'odonymie, autrement dit l’étude du nom des espaces publics.

"Parfois, on contextualise l’histoire autour du personnage concerné tout en gardant le nom du lieu. Et contrairement aux rues, il arrive qu’on rebaptise les écoles. À Paris, il y a par exemple dans le 16e arrondissement une avenue Bugeaud, du nom du maréchal qui a combattu la révolte d'Abdelkader en Algérie et qui a enfumé presque 700 enfants, vieillards et femmes. Anne Hidalgo refuse de la débaptiser, en évoquant un acquis de mémoire. Par contre à Marseille, une école Bugeaud a été débaptisée, tout en conservant la rue Bugeaud à proximité de l’établissement", poursuit-il.

Comment expliquer ces décalages ? "Bugeaud, c’est le 19e siècle, répond Jean Rieucau. La télé algérienne dénonce souvent le maintien de son avenue à Paris, et on y trouve des autocollants pointant du doigt le criminel de guerre. La société est parcourue de polémiques et de contestations. Mais c’est loin historiquement, alors que les gens se raccrochent à l’abbé Pierre, avec un besoin d'identification. Des gilets jaunes brandissaient son nom. C’est très récent."

"Incarner le nom des rues", une tendance qui montre ses limites

Le professeur rappelle que changer le nom d’une rue relève d’une décision des municipalités : "C’est le conseil municipal, avec de grands enjeux et de grosses engueulades entre la majorité et l’opposition. Puis c’est validé ou invalidé par le préfet. Des historiens peuvent instruire les dossiers, apporter un éclairage, mais n’ont pas de pouvoir décisionnel."

Il note d’ailleurs que le cas de l’abbé Pierre "montre les limites de la tendance qui consiste à de plus en plus incarner le nom des rues depuis une quinzaine d’années, avec des personnalités qui peuvent être contestées". "On met de plus en plus des noms d’hommes et de femmes, de héros et de contre-héros", analyse-t-il.

Jean Rieucau estime enfin qu’"il s’agit d’un mauvais coup pour l’Église catholique". "Elle a perdu beaucoup de noms de rues à Paris et en France. Mais, justement, elle revenait par le biais du caritatif en arrivant à se donner une autre image : sœur Emmanuelle, Mère Teresa, l’abbé Pierre…", raconte-t-il. Selon le professeur, le cas du fondateur d'Emmaüs est aussi compliqué "car il s’agit à la fois d’un nom, d’une incarnation, et d’une marque".

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