Le procureur Eric Maillaud évoque ses rapports avec la presse dans l'affaire de la tuerie de Chevaline en septembre 2012.
Comment résister à la pression lors d'une telle affaire ?
"C'est toujours assez compliqué, il faut prendre son temps, il faut prendre du recul, ne pas intervenir à chaud trop vite et essayer de se limiter à ce que l'on souhaite dire, au message que l'on souhaite faire passer, aux informations objectives que l'on souhaite donner. Essayer de les réexpliquer lorsque des questions sont posées. Essayer peut-être de les dire différemment pour être le plus clair possible. Mais tenter, dans la mesure du possible, de ne pas dévier d'un minimum de règles qu'on a pu se fixer."Et l'ampleur médiatique internationale de l'affaire de la tuerie de Chevaline ?
"C'est vraiment très compliqué. Les journalistes locaux on les connait et on peut même, et dans le cadre de cette affaire c'est ce que j'ai essayé de faire, leur accorder des interviews à part, non pas pour en dire plus sur le fond mais sur la forme pour donner une impression de proximité qui leur permettait de mieux travailler. On a des contacts avec des journalistes nationaux qu'on ne peut voir qu'une seule fois(...) et aussi des journalistes étrangers, dont je sais très bien que je ne les reverrai plus jamais et avec parfois des pratiques médiatiques, et on sait très bien que les pratiques médiatiques outre-manche sont différentes(...)."Tout est allé très vite, comment gérer les éventuelles erreurs et fuites ?
"Je crois qu'il faut en fait renoncer à gérer. La seule chose que l'on peut faire, c'est lorsqu'on revient dans son bureau, se dire "j'ai dit ce que je voulais dire, comme je voulais le dire et avec la précision que je souhaitais donner. Et le reste on est obligé de laisser faire. On peut, de temps en temps, intervenir grâce aux journalistes locaux ou à l'AFP pour essayer de rectifier mais à l'heure d'internet, on sait très bien que les rectifications ne seront jamais lues."La difficulté c'est le manque de recul ?
"C'est compliqué, il faut être prudent. Et dans l'affaire de cette tuerie il faut penser, mais c'est vrai pour toutes les affaires d'homicide de manière générale, à avoir toujours présent à l'esprit les victimes. Je crois qu'on ne se rend pas compte à quel point les victimes sont traumatisées par ce qui peut être dit parce que l'homme ou la femme décédés, c'est le mari, le compagnon, l'épouse, la compagne de quelqu'un... ils ont parfois des enfants qui eux baignent dans l'information, dans l'internet et qui sont parfois extrêmement choqués, blessés par ce qui peut être dit".L'interêt de communiquer vient de qui, des journalistes, de la justice ?
"Ça ne vient quasiment jamais d'initiative de l'institution judiciaire, si on peut ne pas communiquer on ne le fait pas, non pas parce qu'on a peur mais parce qu'on a autre chose à faire.Sur cette tuerie les journalistes sont arrivés d'autant plus vite qu'il y avait, hasard de calendrier politique, une réunion entre le premier ministre anglais et le président de la République à Evian, prévue 48h plus tard. L'explosion a été absolument immédiate car les journalistes étaient sur place. Donc là on est bien obligés de faire face à la demande de communication pour essayer d'apporter l'information la plus claire possible."Vous êtes formés à ça en amont ?
"On est sensibilisés, vous l'avez entendu ce matin, on a parlé de formation donnée par l'école de la magistrature. Les ministres ont souhaité depuis plusieurs années que tous les procureurs suivent des formations obligatoires, médiatrainings ou autres. Il n'empêche que ce n'est pas notre métier donc on est sensibilisés. On regarde nos petits camarades à la télévision, on se dit "tiens, il a été bon, il n'a pas été bon, il a été génial" et on essaye à partir de sa personnalité de se forger un peu une doctrine de communication".Propos recueillis à Angers, le 18 avril 2013, par Fabienne Béranger