"Moi, moche et méchant" : l'interview exclusive du directeur artistique Eric Guillon

Il est d'origine nantaise mais vit à Los Angeles. Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant son univers graphique a fait le tour du monde. A quelques heures de la sortie en salles du deuxième volet du film "Moi, moche et méchant", rencontre avec un de ses artisans, le très discret Eric Guillon !

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L'histoire est connue. Jusqu'à ce qu'un jeune geek prétentieux dérobe la pyramide de Gizeh, Gru était connu et reconnu comme étant le plus grand super-méchant de l'humanité ! Humilié, ridiculisé, ringardisé, Gru relève la tête et saisit l'occasion pour ressortir de ses cartons un rêve de jeunesse : voler la Lune ! Plus fort que la pyramide, plus fort que tout, Gru et son armée d'assistants, les célèbres Minions, n'ont plus qu'à se mettre au travail et récupérer ce fameux titre de méchant...

Sorti en 2010, le film d'animation "Moi moche et méchant" a rencontré un succès mondial, pour ne pas dire interplanétaire... Ses 540 millions de dollars de recettes le hissent de fait à la dixième place des films d'animation les plus lucratifs de l'histoire aux Etats-Unis. Et rien qu'en France, ce sont près de 3 millions de bambins accompagnés de leurs parents qui l'ont vu et parfois revu...

Et l'histoire continue ! Le 26 juin, le deuxième volet de ce beau bébé des studios Universal sera à l'affiche des salles obscures françaises avec un Gru rangé des voitures ou presque, heureux en tout cas de jouer les papas poule, jusqu'au moment où une organisation ultra-secrète vient frapper à sa porte et lui proposer de lutter contre le mal. Gru luttant contre le mal ? Voyez la bande annonce, vous allez tout de suite comprendre...

Parmi les noms inscrits au générique apparaît celui d'un Nantais d'origine, mais oui, Eric Guillon, directeur artistique, qui malgré une quantité astronomique de travail et un aller-retour Los Angeles Paris encore dans les jambes, a gentiment accepté de répondre à nos questions.

Vendredi 7 juin, 20h00 à Nantes, 11h00 à Los Angeles, c'est l'heure de notre rendrez-vous via Skype, l'image et le son en un clic, c'est la magie d'internet. Allez, on se connecte. Bonjour Eric, bonjour Eric, un petit réglage de l'enregistrement côté français, un décrochage rapide des dernières recherches graphiques qui tapissent le mur côté américain et c'est parti...

Je crois savoir que vous travaillez sur plusieurs nouveaux projets. Pouvons-nous en savoir un peu plus ?

Eric Guillon. Effectivement, je travaille sur trois nouveaux films mais je ne peux absolument pas en parler, ni donner le titre, ni le sujet. Secret défense !

Tout de même, on entend parler de-ci de-là d'un film consacré aux Minions pour 2014.

E.G. Il y a effectivement celui-ci qui est bien avancé. Les deux autres sont deux sujets totalement originaux mais je ne peux pas en dire plus...

Même sous la torture ?

E.G. !

Votre visage, votre nom même, ne sont pas connus des Ligériens, ni plus généralement des Français. Pourtant, vos créations ont été vues par des millions de personnes à travers le monde. Comment vit-on ce succès quasi-planétaire ?

E.G. Très bien ! En fait, je n'ai pas du tout ce sentiment de succès planétaire. Le fait d'enchaîner les films ne nous laisse pas vraiment le temps de regarder en arrière et de nous dire : "ah oui formidable, quel succès". Un jour, je suis allé au parc Universal avec mes enfants, il y avait des Minions partout. Là, c'est vrai que ça m'a fait quelque chose mais en dehors de ça, je ne m'en rends pas vraiment compte...

Vous occupez le poste très important de directeur artistique sur "Moi, moche et méchant" mais aussi sur "Le Lorax". Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste précisément ce travail ?

E.G. Mon rôle est de mettre en images le script, de donner une ligne graphique au film, en passant par une recherche sur les personnages, les véhicules, les univers... C'est un travail qui se fait en collaboration avec les réalisateurs et les scénaristes. J'interviens en amont, ce qui permet de faire comme un ping-pong entre l'écriture et le visuel. Je propose, ils choisissent...

Eric Guillon nous explique la naissance des Minions, ces personnages jaunes en forme de capsules de Kinder...

En voyant les Minions, on pense aux Shadocks mais aussi aux  Schtroumpfs ou aux Lapins crétins. Existe-t-il une recette miracle pour créer des héros universels ?

E.G. Les Minions sont des personnages extrêmement simples, faciles à identifier, que les enfants peuvent rapidement dessiner. Après, il y a la qualité de l'animation qui entre en jeu et puis leur voix qui est celle de Pierre Coffin (coréalisateur, ndlr). Il a créé un véritable langage pour ces personnages. Enfin, il y a la mise en scène, c'est à dire cette forme de bêtise, de gentillesse et d'attachement qui les caractérise. Tout est complémentaire ! Imaginez les Minions sans la voix et sans l'animation, je ne sais pas si l'impact aurait été aussi étonnant. De la même façon, imaginez les Minions sans Gru...

De toutes vos créations, le véhicule de Gru semble être primordial. Chris Renaud, le coréalisateur américain, a déclaré lors d'une interview que le monde de Gru était en quelque sorte né et avait grandi à partir de cette voiture. Vous confirmez ?

E.G. Le premier dessin du véhicule était dans un style graphique gothique qui lui donnait un côté "old school" un peu particulier. C'est à la fois un véhicule puissant mais qu'on ne peut pas prendre au sérieux. Il a un côté second degré, décalé. On y croit sans vraiment y croire et c'est ce que j'aime dans mon travail : embarquer les gens dans l'histoire mais en même temps leur dire que tout ça n'est pas vrai. Les réalisateurs et producteurs ont eu effectivement un vrai coup de cœur pour ce véhicule qui apportait un côté rétro au personnage.

L'esthétique de "Moi, moche et méchant" est véritablement singulière, à la fois subtile et sophistiquée, drôle et inventive, avec une petite touche rétrofuturiste… Qu'est-ce qui guide votre travail ?

E.G. Je cherche avant tout à mettre en place une situation. Le décor, le look du personnage... viennent après. Le plus important est de savoir ce qu'on veut raconter, quelle est la petite histoire derrière ce dessin. Je ne suis pas tellement dans le dessin artistique, c'est à dire faire le beau dessin pour le beau dessin. C'est plutôt l'aspect narratif qui me guide...

Le dessin au service de l'histoire ?

E.G. Oui, vraiment, le dessin au service de l'histoire. Si j'avais du faire un autre métier, je pense que j'aurais fait des dessins pour la presse, j'adore le travail de Voutch ou Sempé. Pour moi, c'est une sorte d'idéal. En une planche, on résume énormément de choses. On raconte un film. C'est le but à atteindre !

Quelles sont vos influences ?

E.G. Sempé, Voutch, Franquin... En Europe on a la chance d'avoir des auteurs extraordinaires comme Blain également dont je suis un grand grand fan, Manu Larcenet dont j'aime beaucoup l'humour, Sfar...

Et la BD américaine ?

E.G. Je ne lis pas tellement de comics, je préfère la BD européenne. Par contre j'adore les comics strips comme Calvin & Hobbes.

Pierre Coffin, Bruno Chauffard, vous-même... les Français impliqués dans "Moi, moche et méchant" comme dans le film d'animation en général sont nombreux. Existerait-il une "french touch" appréciée et recherchée de l'autre côté de l'Atlantique ?

E.G. Je pense qu'il y a de bonnes écoles en France, comme les Gobelins ou Supinfocom. Il y a aussi une culture visuelle forte. Et puis, il faut quand même savoir que le film est réalisé en France au studio Illumination Mac Guff à Paris et qu'il y a donc, de fait, beaucoup de Français qui travaillent sur le film. C'est certain qu'il y a un savoir faire français, il manque juste l'aspect finances que les Américains apportent en même temps qu'un savoir faire industriel. Tous les talents les intéressent, d'où qu'ils viennent, de France, d'Italie ou d'Espagne. L'important pour eux, c'est ce que vous pouvez apporter...

Que dessiniez-vous dans les marges de vos cahiers lorsque vous étiez jeune ? 

E.G. Un peu de tout. En fait, j'ai toujours dessiné. J'adorais créer des mondes, des univers où on pouvait s'imaginer vivre, avec plein de détails, de choses qui se passent, des dessins souvent complexes avec un petit côté Shadock d'ailleurs.

Eric Guillon nous détaille son parcours professionnel

La galerie Arludik à Paris propose jusqu'au au 22 juin une exposition intitulée « L'Art de Moi, moche et méchant ».  Vous y étiez pour l'inauguration au début du mois de juin. Pensez-vous que, comme la BD, le dessin d'animation a sa place aux côtés de la peinture dans les galeries, les musées et salles de ventes ?

E.G. Pourquoi pas. Même si ça a pu me surprendre parce que ce ne sont pas des dessins destinés à être vus, l'exposition a au moins le mérite de montrer au grand public le travail qui est développé derrière "Moi, moche et méchant". Il y a toute une démarche derrière un film qu'on ne voit pas et qui peut finalement intéresser les gens. C'est vraiment une très belle initiative. Il en faudrait plus parce que même dans la galerie on ne voit pas grand chose de ce qui a pu être réalisé. Il existe une masse de dessins absolument extraordinaire. Bon aujourd'hui, il y a quand même les blogs qui permettent de montrer tout ça...

Comme le vôtre ?

E.G. Oui mais je ne l'ai pas alimenté depuis longtemps, je ne suis pas très studieux de ce côté là, il va falloir que je me repenche dessus... 

Et les dessins de films d'animation dans les musées ou les salles de vente ?

E.G. Je rêve moi-même d'acheter certains dessins, pas les miens bien sûr, mais ceux d'autres dessinateurs. Alors oui pourquoi pas...

Quel est pour vous le plus grand film d'animation de tous les temps ?

E.G. Je ne donnerai pas le nom d'un film mais plutôt le nom d'un auteur : Miyazaki, l'auteur absolu sur le plan de l'écriture, de la réalisation, de l'aspect visuel. J'ai également un grand faible pour le travail de Tim Burton sur "L'Etrange Noël de monsieur Jack". Et chez Disney, j'aime beaucoup "Les 101 Dalmatiens"...

Pas d'oeuvres ou d'auteurs français ?

E.G. Il y a bien "Le Roi et l'Oiseau" que j'ai beaucoup aimé, "Persepolis" de Marjane satrapi, très chouette sur le plan narratif et visuel, "Les Triplettes de Belleville" de Sylvain Chomet... mais sinon je ne vois pas d'œuvre majeure dans le cinéma d'animation français.

"Moi, moche et méchant 2" sort le 26 juin en France. Vous ne partiez pas cette fois de zéro mais le travail était-il pour autant plus facile ?

E.G. Loin de là ! Il a fallu faire la synthèse de ce qui a marché dans le premier, pour le garder, et amener du neuf. Ce fut en fait un exercice délicat avec surtout un nouveau personnage, Lucie, une amie de Gru, qui n'a pas été évidente à mettre en place. Il a fallu aussi trouver un nouveau méchant, de nouveaux univers tout aussi surprenants. Le résultat est je pense plutôt bien mais c'était du travail, beaucoup de travail... et un vrai challenge...

Rendez-vous le 26 juin dans toutes les bonnes salles, merci Eric Guillon et à très bientôt pour la suite de vos aventures...


Interview réalisée le 7 juin 2013 par Eric Guillaud

A découvrir le blog d'Eric Guillon et le site de la galerie Arludik

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