Nantes : rencontre avec Yoann et Vehlmann à l'occasion de la sortie de la 54e aventure de Spirou et Fantasio

Le nouvel album de Spirou et Fantasio, "Le groom de Sniper Alley", est disponible depuis quelques jours, une aventure 100% nantaise avec Yoann au dessin et Fabien Vehlmann au scénario. Au menu, de l'aventure bien sûr mais aussi de l'humour, un trésor, un dictateur et un pays en guerre.

En 76 ans de bons et loyaux services, le groom Spirou est passé entre les mains d'une bonne vingtaine d'auteurs parmi lesquels son créateur Rob Vel, mais aussi Franquin, Jijé, Fournier, Tome, Janry, Morvan, Munuera...

Des noms prestigieux pour un personnage qui l'est tout autant. Chacune de ses aventures est un événement national, voire international, mais aussi régional. Depuis 4 ans, en effet, Spirou est nantais. Le dessinateur Yoann et le scénariste Fabien Vehlmann ont été chargés d'en assurer la destinée. Ensemble, ils ont déjà signé "Alerte aux Zorkons" en 2010, "La Face cachée du Z" en 2011 et "Dans les griffes de la Vipère" en 2013. Ils sont aujourd'hui de retour avec "Le Groom de Sniper Alley".

Heureux mais conscients du lourd héritage, Yoann et Fabien Vehlmann impriment leur marque sur la série en respectant son esprit initial. Comment fait-on pour y parvenir, c'est l'une des nombreuses questions que nous voulions leur poser. Direction La Cigale, brasserie historique du centre de Nantes, pour une rencontre informelle avec ces deux auteurs très sympathiques. Garçon, un café. Interview... 

Le nouvel album est sorti il y a maintenant quelques jours, quels sont les premiers retours ?

Fabien Vehlmann.  Ils sont très bons. Les gens ont aimé et nous le font savoir. C'est une bonne chose d'autant qu'au début de sa prépublication dans le journal Spirou, les réactions sur les forums étaient parfois plus critiques.
Yoann. Il faut dire que Dupuis (l'éditeur, ndlr) venait de changer de logiciel de mise en page à l'imprimerie et les couleurs avaient été massacrées, sursaturées. C'était horrible. Alors forcément, les premiers retours à ce moment-là étaient plutôt du genre "ah mais qu'est ce que c'est que ce truc, c'est horrible..."

Donc c'est le meilleur de vos albums ?

Yoann. Non, pas forcément, on les aime tous...
Fabien. C'est le meilleur à ce jour mais la vraie question est le public qu'on vise. La difficulté de la mission qui nous a été confiée par Dupuis est à la fois de satisfaire les gardiens du temple et d'amener les enfants à se réintéresser à la série. On le voit bien, les gamins ne connaissent plus Spirou, ils connaissent beaucoup le Petit Spirou, éventuellement le marsupilami, mais pas Spirou en tant que tel. Il faut donc trouver un équilibre, s'adresser autant aux adultes qu'aux enfants. Et sur ce point nous avons, me semble-t-il, trouvé un bon équilibre dans cet album.

Quel est votre histoire préférée parmi les 54 albums de la série?

Fabien. "Le Nid des marsupilamis" de Franquin et "Spirou à New York" de Tome et Janry, voilà mon diptyque préféré pour des raisons complètement différentes. Le Nid des marsupilamis parce que c'est complètement fou d'avoir imaginé une aventure de Spirou et Fantasio dans laquelle les deux héros n'apparaissent quasiment pas, c'est le contre exemple absolu de toutes les règles de dramaturgie classique et ça reste un album génial. Et "Spirou à New York" parce que c'est un mélange d'action et d'humour exceptionnel.

Yoann. Pour ma part, j'hésite entre "Panade à Champignac" et "QRN sur Bretzelburg" qui sont deux albums très différents, Panade étant vraiment un album d'humour, et "QRN sur Bretzelburg" un récit d'aventure avec beaucoup d'émotion.
Fabien. On pourrait aussi ajouter "L'Ankou" de Fournier pour avoir un échantillon complet. J'ai été très marqué par ce côté fantastique et politique qu'il a mis en avant.

Quel a été le déclic de cette nouvelle aventure ? 

Fabien. L'album précédent, "Dans les griffes de la Vipère", a rassuré les gardiens du temple parce qu'il contenait une critique politique. Mais ça reste un Spirou assez classique et je ne pense pas que les enfants l'ai adoré. C'était somme toute assez sérieux. Donc, tout en gardant un fond politique, adulte, je voulais trouver pour cette nouvelle aventure une thématique qui permettrait aux enfants de trouver un peu plus leur place. Il se trouve que cette vague idée qu'on avait au départ d'utiliser le contexte d'un pays en guerre du côté du Moyen-Orient permettait de mélanger deux types de narration qu'on aime bien, le pastiche de film de guerre façon MASH ou Les Rois du désert, avec une charge caustique très forte, et le film d'archéologie comme Indiana Jones.

C'est effectivement une histoire à la Indiana Jones dans un pays en guerre, l'Aswana, pris entre les Aljâfistes d'un côté (des ennemis invisibles qui ont tout des islamistes) et les forces alliées de l'autre. On pense à l'Irak bien sûr. Le reflet de la vraie vie est-il un des ingrédients qui font le succès de Spirou ?

Fabien. On pense à l'Irak, oui, à la Libye aussi.
Yoann. Je ne sais pas si ça fait le succès de la série mais, en tout cas, ça fait partie de son ADN. Spirou est un personnage qui est toujours en prise avec son époque. Et si on doit refléter cette époque à l'heure d'aujourd'hui, elle est malheureusement teintée de ce fond de conflit.

`Un fond de conflit et de terrorisme avec ces Aljâfistes qu'on imagine aisément islamistes...

Fabien. On essaie de ne pas trop parler de religion, on parle de factions rivales. Et on montre surtout que plus personne ne sait qui est avec qui, qui tire sur qui. C'est le propre d'une guerre comme celle qui se déroule actuellement en Syrie. Au début, on pouvait dire qu'il y avait les méchants de Bachar el-Assad d'un côté et les gentils rebelles. Et puis, on s'est rendu compte qu'il y avait des islamistes du côté des gentils rebelles...

Après, dans la série, il y a tout de même des albums qui ne sont pas en prise directe avec la réalité et qui font rêver, comme Le Nid des marsupilamis ou Le Voyageur du Mésozoïque de Franquin. On aime bien passer de l'un à l'autre en fonction des albums. On ne s'interdira pas de faire des albums plus légers.

L'un des autres ingrédients du succès est peut-être la modernité. Votre éditeur dit de vous que vous avez "une véritable modernité". Comment se concrétise-t-elle selon vous dans vos récits et plus précisément dans ce dernier tome ?

Yoann. Pour ma part, ça va se traduire a travers toute une culture de la bande dessinée que j'ai digérée, qui va de la BD franco belge au manga en passant par le comics. La modernité est là. La manière que j'ai de raconter une histoire de Spirou, de la mettre en scène n'est pas du tout la même que celle de Franquin ou de Fournier.
Fabien. L'un des défis de la série, au delà de réunir à la fois un lectorat adulte et jeunesse, est de coller à l'époque. Dans ce sens, chaque repreneur a inscrit Spirou dans l'époque qui était la sienne. Le Spirou de Franquin est vraiment des années 60, celui de Fournier appartient aux années 70 et celui de Tome et Janry aux années 80. Ce qui veut dire au passage qu'il y a un anachronisme absolu avec ce personnage né en 1938, encore vivant, toujours jeune. C'est un défi qui m'excite assez, assumer que Spirou est un héros de BD et jouer avec les codes, trouver une astuce à chaque fois pour lui coller son costume de groom par exemple. On sait bien qu'il n'est pas groom et que son costume a encombré tous les repreneurs, Franquin compris. Il a été groom au tout début mais c'est tout. Le costume, c'est juste un clin d'oeil aux lecteurs.

Graphiquement, comment fait-on pour à la fois garder un crayon dans ce qu'on appelle l'école de Marcinelle et apporter un peu de fraîcheur ?

Yoann. Question difficile. J'ai comme avantage et défaut de pouvoir dessiner Spirou à peu près n'importe comment. Ultramoderne, classique... Dans le one shot que nous avions fait Fabien et moi avant de reprendre la série ("Les Géants pétrifiés", ndlr), j'avais fait un Spirou qui se différenciait complètement de la série classique, un personnage assez moderne, plus anguleux, plus nerveux, plus contrasté. Et quand on a repris la série, l'éditeur nous a demandé de rester sur un Spirou classique pour ne pas effrayer les lecteurs. Je n'ai pas eu de problèmes de ce côté là. J'ai été biberonné à Franquin et à l'école de Marcinelle. J'aime cette série et la lit depuis que je suis tout petit. Le fait que je reprenne aujourd'hui la série ne sort pas de nulle part. Il y a une filiation qui se fait !

Même si on peut l'adapter, tenter des choses qui plaisent plus ou moins selon les albums, on aurait du mal à emmener le personnage trop loin de sa base arrière

Fabien. Comme le dit Yoann, nous avons été biberonnés à la série. Même si on peut l'adapter, tenter des choses qui plaisent plus ou moins selon les albums, on aurait du mal à emmener le personnage trop loin de sa base arrière. Nous sommes suffisamment amateurs de la série pour essayer de ne pas trop l'abîmer.

On sent que les personnages de Spirou et Fantasio évoluent beaucoup depuis l'album "Dans les griffes de la vipère". C'est une remise à jour nécessaire ? On vous l'a demandé ?

Yoann. Non, personne ne nous l'a demandé.
Fabien. Plus ça va, plus on prend nos aises dans la série et plus on installe les personnages et leurs univers. Mais les ajouts qu'on peut faire ne viennent pas de nulle part. Imaginer par exemple que Fantasio est aujourd'hui un amateur de nouvelles technologies, un geek, parait logique puisqu'il a toujours été avant-gardiste, bricoleur... On ne fait que le resituer dans son époque.
Yoann. Reprendre un personnage comme Spirou est compliqué, la série compte plus de 50 épisodes, il faut avoir des nouvelles idées à chaque fois, ne pas se répéter. Avec le temps, Spirou et Fantasio ont fini par devenir jumeaux. Ils vivaient ensemble, aimaient les mêmes trucs... Nous, nous voulons creuser les personnalités, jouer sur les contrastes, mettre en évidence leurs différences...

Les éditions Dupuis ont renouvelé votre contrat pour 5 ans et 5 nouvelles aventures. C'est une reconnaissance pour vous ou le début des ennuis ?

Fabien.  ouiiii champagne !!
Yoann. Je vois ça plutôt comme une reconnaissance. on aurait dû resigner pour trois ans, Dupuis nous a proposé finalement cinq ans. C'est bien pour nous, ça va nous permettre de développer l'univers avec une vision à plus long terme de la série. Et puis on a un heureux événement : le retour dans la série d'un personnage qui est tout jaune et qui fait houba houba. Le marsupilami sera au centre du prochain album.
Fabien. Le marsu a eu sa vie propre, sa série de bande dessinée, son film. Il a une grande importance pour l'éditeur mais les aventures de Spirou et Fantasio restent les aventures de Spirou et Fantasio. Il ne sera pas présent en permanence dans la série.

Est-ce que vous arrivez encore à vous amuser ?

Fabien. Oui bien sûr, sinon nous n'aurions pas resigné. J'ai le sentiment qu'on a plus de plaisir maintenant qu'au début, mais c'est quand même assez lourd. Spirou est une marque importante pour les éditions Dupuis, il y a donc beaucoup de questions qui se posent à chaque album, questions qu'on n'a pas quand on travaille sur ses propres personnages.
Yoann. La partie la plus joyeuse dans l'affaire est de travailler sur les albums. Après il y a toutes les coulisses, les problèmes de ci, les problèmes de ça, les contraintes de production. Il faut réaliser un album par an mais aussi les couvertures, les histoires courtes, les posters pour le journal Spirou.

Et la présence de Gaston dans les dernières pages, c'est un message subliminal ?

Yoann. C'est un clin d'oeil. Comme le marsu, Gaston est revenu dans le giron du groupe Média participations (auquel appartiennent les éditions Dupuis, ndlr). Ça nous permet de remettre en place l'univers créé par Franquin. Gaston et Spirou faisaient partie de la même rédaction à l'époque. L'idée est donc de le faire apparaître comme ça brièvement. On renoue avec un truc de l'enfance. On a l'impression de réparer quelque chose de cassé, quasiment une injustice.

Sur quoi travaillez vous actuellement ?

Fabien. À fond sur le tome 55. Sans se mettre trop de pression toutefois même s'il doit sortir l'année prochaine. C'est très important. La présence du marsu dans ses pages fait qu'il sera très attendu.
Yoann. J'ai découpé les quatre premières planches et commencé à crayonner la première. Je prépare aussi une peinture pour une vente aux enchères chez Christie's New York, une illustration de Spirou...

`Merci Fabien, merci Yoann

Interview réalisée le 4 décembre 2014, retrouvez l'actu de la BD sur notre blog dédié Le Meilleur de la BD et la chronique de l'album "Le groom de Sniper Alley" ici

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