Coronavirus. En attendant le déconfinement, les libraires s'organisent entre crainte et espoir...

Le Premier ministre Edouard Philippe l'a annoncé mardi 28 avril, tous les commerces hormis les cafés restaurants pourront rouvrir dès le 11 mai. Les libraires n'ont pas attendu cette date pour se réorganiser et proposer des alternatives mais l'avenir reste incertain pour certains...

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On commence à s'en rendre compte, le déconfinement sera finalement plus compliqué à mettre en place que le confinement en lui-même. Dans les magasins notamment, il sera nécessaire de respecter un protocole très strict et de maintenir les fameux gestes barrière, pas toujours compatibles avec le commerce ! Comment en effet imaginer acheter un pull sans l'essayer, un livre sans le feuilleter ?

Chez les libraires justement, le plaisir d'acheter va de pair avec le plaisir de fureter, de découvrir, de toucher. Tous les amoureux du livre vous le diront, la lecture commence par un séjour plus ou moins prolongé dans les rayons de nos librairies préférées, à musarder entre les collections, entre les genres, à consulter le résumé sur la quatrième de couverture, à feuilleter les premières pages, à sentir l'odeur de l'encre, à demander conseil...

Mais comment faire avec le coronavirus et les mesures de distanciation sociale bien évidemment nécessaires ? C'est l'une des questions que se posent aujourd'hui les libraires. Mais ce n'est pas la seule. Pour certains, la période de déconfinement s'annonce très compliquée. Pour d'autres, elle sera l'occasion de pérenniser de nouvelles pratiques et peut-être de fidéliser de nouveaux clients.

Au sein du café librairie associatif Les Boucaniers, inauguré quelques jours avant le début du confinement au cœur du quartier de la création sur l'île de Nantes, il a fallu se réorganiser très vite, explique Maël Nonet, fondateur de la maison d'édition Rouquemoute. "En quatre jours, nous avons créé notre boutique en ligne, un énorme boulot, rentré 250 références, et mis en place un service de vente à emporter ".

Pour le client, rien de plus simple, il passe commande et règle directement sur la boutique en ligne ici puis récupère ses livres sur le pas de la porte de la librairie dans une des trois plages horaires prédéfinies, les lundi, mercredi et vendredi matin de 10h à 12h, et bien entendu en respectant les gestes barrière.

Les gens répondent présents, connaissent notre situation, soutiennent par l'achat

Les retours ? "Les gens étaient plutôt demandeurs d'un tel service, nous l'avons constaté par le nombre de commentaires sur Facebook, nous avons enregistré une trentaine de commandes en une semaine, des paniers plutôt conséquents, entre 50 et 60 euros, c'est souvent 2, 3, 4 ou 5 livres achetés. Les gens répondent présents, connaissent notre situation, soutiennent par l'achat".

Et après le 11 mai ?  " Pour l'activité du bar associatif, on ne sait pas. Du côté de la librairie, on va réaménager les horaires d'ouverture et respecter des règles de bon sens. Mais impossible d'empêcher les gens de toucher les livres, impossible également de laver ces livres. Une chose est sûre,  nous allons optimiser le service de vente à emporter qui a permis de faire connaître notre lieu à un nouveau public. C'est un investissement sur un futur plus heureux!"
À La Luciole à Angers, une librairie indépendante spécialisée jeunesse, Anne-Cécile Boursicot a également mis en place un système de commande mais aussi de conseil par mail ou téléphone. "C'est délicat de savoir sans voir, alors j'affine en fonction des âges, des goûts...".

Mis en place le 25 avril, ce service, nous confie-t-elle, était particulièrement attendu : "Devant la longueur du confinement, on s'est organisé en respectant les gestes barrière. Les clients sont heureux de venir chercher leurs livres, pour eux mais aussi en soutien à la librairie".

"Pour l'après 11 mai, j'attends les instructions nationales, les préconisations. Le magasin est assez grand, avec deux étages mais il y a des passages étroits. On pourrait accepter une à deux personnes, fournir des gants à l'entrée. Dans tous les cas, ce sera difficile de dire : entrez mais ne touchez à rien!"
C'est l'une des plus grandes librairies BD de la région, sinon la plus grande, Bulle au Mans, 250 m2, 40000 ouvrages en stock, une toute nouvelle salle d'exposition, 12 employés... et un chiffre d'affaires qui tourne autour de 200 000 euros par mois.

Enfin ça, c'était avant ! Avant le confinement. Depuis, la librairie est bien entendue fermée et les employés au chômage partiel. Le patron du lieu, Samuel Chauveau, très inquiet pour la survie de la librairie, tente de sauver ce qui peut l'être encore.

Même si c'est "un petit pansement sur une énorme plaie" comme il dit, la mise en place d'un drive lui a permis d'enregistrer 180 commandes et de faire rentrer 15 000 euros en une dizaine de jours.  "Nous étions déjà dans un équilibre précaire avant, il ne fallait surtout pas un grain de sable. Mais là, ce n'est même plus un grain de sable..."

nous allons préparer la rentrée avec peut-être une nouvelle manière de voir les choses

"Après le 11 mai, nous allons tout faire pour que les gens reviennent, les fidèles et les autres, mais comment ? À raison d'une personne pour 10 m2 ? Nous aurons besoin de tout le monde mais nous ne pourrons pas recevoir tout le monde. Nous avons beaucoup d'interrogations pour le moment, et pas toujours les réponses. Nous allons préparer la rentrée avec peut-être une nouvelle manière de voir les choses"
À L'Encre bleue, une librairie généraliste de Pornic, Yann Laigle a lancé avant même le début du confinement un service de livraison et ça roule plutôt pas mal.

"Bien sûr, on est loin du chiffre d'affaires habituel...", nous confie-t-il, "mais j'assure 30 livraisons par jour sur tout le pays de Retz, de Saint-Brévin à Vue, en passant même par Saint-Nazaire, pour un ou plusieurs livres, parfois même pour un simple livre de poche. Les gens sont ravis de garder un lien avec la librairie et moi ça me fait plaisir".

des clients généreux qui commandent plus que d'habitude

Installé depuis quatre ans à Pornic, propriétaire d'une deuxième librairie consacrée à la BD depuis un an, quatre employés en tout, dont trois aujourd'hui au chômage partiel, Yann Laigle garde espoir avec une bonne surprise : l'apparition d'une nouvelle clientèle.

"On a d'un côté la clientèle habituelle, des clients parfois généreux qui commandent plus que d'habitude, mais aussi une nouvelle clientèle qui se détourne aujourd'hui d'Amazon".

Pour le 11 mai, pas de soucis, "on ouvrira en respectant les consignes, nous avec des masques et gants, du gel à disposition des clients, en limitant peut-être le nombre de personnes dans la librairie qui est biscornue".
A Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Matthieu et Marie ont très récemment ouvert Les Oiseaux voyageurs, une librairie généraliste indépendante de 75 m2. Et l'optimisme est de rigueur :

"C'est un moment difficile pour tout le monde mais on essaie de voir le bon côté des choses...", explique Matthieu, "Un mois et demi dans la vie ce n'est pas grand chose. On a bénéficié des aides de l'Etat, on espère simplement qu'il n'y aura pas de deuxième vague".

Ici, comme à L'Encre bleue à Pornic, il a été décidé de garder la librairie en activité dès l'annonce du confinement en proposant aux clients d'effectuer des livraisons dans leurs boîtes aux lettres.

Ils ont également noué des partenariats avec la Biocoop locale et des maraîchers bio du coin : les clients peuvent récupérer leurs livres en allant chercher leurs courses ou leurs légumes. Et depuis peu, ils peuvent aussi remettre les commandes devant la librairie.

Puisque nous sommes une toute jeune librairie indépendante...", précise Marie, "nous n'avons pas encore de site internet. Néanmoins, nous envoyons régulièrement des Newsletter à notre base de contacts, sur lesquelles nous proposons nos meilleures suggestions de lectures".

"On est certes une très jeune librairie mais nous sommes issus du territoire..." poursuit Matthieu, "nous avons lancé un projet de financement participatif pour l'ouverture de la librairie soutenu par 170 personnes et avons donc pu bénéficier d'un bon réseau associatif, amical et familial. Notre clientèle a joué le jeu, nous avons pour notre part tenu notre rôle de libraire de proximité"

Depuis quelques jours, Matthieu et Marie ont l'impression qu'on tourne un peu la page avec moins de livraisons. "On est passé de 10 livraisons par jour à 3. Les gens attendent le déconfinement, se disent que maintenant tout peut attendre". 

Pour la réouverture, Matthieu et Marie sont confiants et même enthousiastes : "On attend les consignes, les directives, de l'ALIP, Association des Libraires des Pays de la Loire".  

Drive, livraisons, dépôts... mais aussi bons d'achat

Plusieurs librairies ont fait le choix des bons d'achat, L'Odyssée à Vallet, Librairie 85000 à La Roche-sur-Yon, M'Lire à Laval. L'idée est simple, pas de drive, pas de livraison, mais des bons qui seront utilisables dès la réouverture du magasin et permettent d'ores et déjà à la librairie de se maintenir à flot.

Un site pour soutenir les librairies

Si vous n'en pouvez plus de relire pour la vingtième fois Harry Potter à l'école des sorciers ou Le petit prince, voici le site qu'il vous faut consulter d'urgence, Jesoutiensmalibrairie répertorie toutes les actions proposées par les libraires en France, 783 actions à ce jour, depuis les commandes de livres jusqu'aux bons d'achat à utiliser dès la réouverture, en passant par les cagnottes, les livraisons...
Le site est dû à l'initiative d'une jeune Parisienne, Adèle Fabre, soucieuse de promouvoir la lecture et d'aider les libraires durement touchés par la crise sanitaire. Le Syndicat de la librairie française a récemment lancé un appel pour la création d'un fonds de soutien aux libraires qui "dans quelques semaines ou quelques mois... feront face à un mur d'endettement infranchissable"

Parions plutôt sur le fait que les Français auront, après cet épisode douloureux, une immense envie de lire...
 
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