Les lieux de culte devraient de nouveau accueillir du public sous peu. Comment cela va-t il se passer à Nantes ? c'est ce que nous avons demandé aux représentants régionaux des trois principales religions.
La décision vient d'en haut. De la plus haute juridiction administrative du pays. Et à ce titre, ne peut être contestée.
Le Conseil d'Etat a ordonné au gouvernement de lever l'interdiction de réunion dans les lieux de culte. Sous huit jours, mosquées, synagogues, temples et églises pourraient donc être parés à rouvrir au public.
Extrait de la décision contentieuse du 18 mai :
Il juge donc que l’interdiction générale et absolue présente un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière
"La vie passe avant tout "
Bachir Boukhzer m'appelle depuis sa voiture. Pas simple pour lui de trouver un moment pour commenter cette décision du Conseil d'Etat.Depuis le 16 mars, le recteur de la Mosquée Assalam, la plus grande mosquée de Nantes n'a guère arrêté.
Son ministère, il l'exerce à la Mosquée auprès des bénévoles qui cousent des masques, ou préparent quelques 300 repas chaque jour, mais aussi dans les familles où il se rend fréquemment pour aider les plus fragiles."On fait du mieux qu'on peut, mais cette pandémie a révélé des situations dramatiques. Nous avons découvert des conditions de vie très difficiles. Il faut rassurer les malades hospitalisés ou à domicile, soutenir les femmes seules, les gens qui travaillent au jour le jour et qui, d'un seul coup se sont retrouvés sans revenu..."
Au moment où nous échangeons, Bachir Boukhzer est en train de faire la tournée des lieux où seront distribués ce mardi soir 1 000 repas préparés par des bénévoles, au sein des différentes mosquées nantaises ou par des familles.
Laylat Al-Qadr est, dans la religion musulmane un moment très important car c'est au cours de cette nuit-là que le Coran aurait été révélé au prophète Mahommet par l'ange Gabriel.
Cette célébration se manifeste par des actions solidaires, des dons.
À Nantes, les fidèles musulmans distribueront un repas complet et chaud "aux oubliés", aux migrants, à ceux qu'on ne voit pas.
"Nous apportons une aide alimentaire mais pas seulement, indique Rachid Boukhzer, il faut aussi sensibiliser les gens, leur dire qu'il faut qu'ils se protègent, ainsi ils protègeront les autres. Il faut à tout prix contenir une deuxième vague. La vie passe avant tout".
Pour le recteur, dans ce quotidien chargé, tourné vers l'autre, la décision du Conseil d'Etat semble aussi anecdotique que ma question... ce qu'il en pense ?
"Vous savez, pour les musulmans cela ne va pas changer grand-chose. La fête de l'Aïd-El-Fitr, qui célèbre la fin du ramadan aura lieu le 24 mai, donc avant que les mosquées ne soient rouvertes.
Et puis, à titre personnel, je ne peux pas, me réjouir de la réouverture des lieux de culte tant que des gens sont encore vulnérables par rapport à cette épidémie. Dans notre religion, le Coran parle de l'obligation du moment. C'est un impératif.
Notre priorité c'est d'aider, de sensibiliser, de soutenir nos semblables. Alors pour moi, rouvrir les lieux de culte n'a pas grand sens quand on sait que le virus est toujours là. Qu'est-ce qu'une célébration par rapport à la protection de la vie ?"
Pas de précipitation
Ariel Bendavid, le rabbin de la communauté juive de la région pays de la loire, est sur la même ligne que son homologue musulman."Quand bien même nous pourrions rouvrir la synagogue pour les offices, nous nous ne le ferions pas si nous estimions qu'il y avait le moindre risque, le moindre danger, pour nos fidèles. Nous avons espoir que le déconfinement se passe bien, mais nous attendons de voir comment évolue la situation. Nous comptions rouvrir la synagogue pour La fête de Shavou'ot, le 29 mai au soir, mais de toute façon nous attendrons les consignes de la préfécture avec laquelle nous sommes en constante relation".
"Du reste, précise Ariel Bendavid, les fidèles ne nous pressent pas, ils savent que la priorité reste la sécurité sanitaire de tous".
Pour le rabbin du consistoire israëlite régional, "l'essentiel est de maintenir le lien".
C'est d'ailleurs ce qu'a fait la communauté juive durant toute la période du confinement.
"On doit de toute façon s'adapter. C'est ça ou rien, alors on prend tous ces outils de communication et on en tire le meilleur. Pour Yom ha shoa, par exemple, (ndlr : le jour du souvenir de la Shoa, qui commémore le génocide perpétré par les nazis), nous étions en diret de la synagogue, vide bien sûr, pour une retransmission vidéo."
"Certains moments sont, cela étant, plus compliqués à vivre que d'autres", concède Ariel Bendavid. C'est le cas de Chabbat. Cette fête communautaire et familiale, de partage, qui se vit du vendredi soir au samedi soir. Un rituel dont se languissent certains fidèles.
"D'ordinaire, nous nous retrouvons lors de trois offices en commun, vendredi soir, samedi matin et samedi soir, ce sont des rendez-vous réguliers, hebdomadaires, ils sont très importants notamment pour les personnes isolées. Beaucoup de personnes me disent qu'ils ont hâte que cela reprennent car ça commence à leur manquer...bien sûr nous rétablirons Chabbat dès que cela sera possible".
Un vade-mecum en préparation
Des nos trois interlocuteurs, le père François Renaud, administrateur du Diocèse de Loire-Atlantique, est le plus enthousiaste à la perspective d'une réouverture des lieux de culte.Il faut dire que la conférence des Evèques de France, ainsi que de nombreuses associations catholiques ont largement pesé sur cette décision.
"Nous sommes contents, car nous l'attendions. Et nous sommes satisfaits que le Conseil d'Etat ait fait valoir les mêmes argument que nous, précise t-il, maintenant, il faut attendre le décret du gouvernement pour savoir concrètement comment cela va se passer. C'est encore un peu flou car on ne connait rien du cadre dans lequel cela pourra s'organiser".Quatre questions sur la levée de l'interdiction de réunion dans les lieux de culte, ordonnée par le Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat a publié lundi soir une ordonnance pour demander au gouvernement d'autoriser les rassemblements dans les lieux de culte, interdits même après le début du déconfinement, le 11 mai.
L'église catholique travaille d'ores et déjà à l'élaboration d'un vade-mecum sur les mesures à mettre en place : le nombre de places mises à disposition dans les églises au moment des messes, préciser les sens de circulation dans les églises, définir les conditions de la communion dans le respect des règles sanitaires et des gestes barrière.
Alors que deux grandes fêtes chrétiennes s'annoncent, le père Renaud ne se fait cependant pas d'illusions.
"Jeudi 21 mai prochain, c'est l'Ascension, je ne pense pas que nous ne pourrons organiser un rassemblement à cette occasion. Nous allons retransmettre par vidéo et radio la célébration d'une messe à huis clos ainsi que nous l'avons fait pour Pâques, avec l’accord de la Préfecture. Mais pour la Pentecôte, qui interviendra le 31 mai, j'espère que toutes les interdictions seront levées et que l'on pourra célébrer une messe avec quelques fidèles. En tout cas on aura peut-être un peu de recul pour l'organiser".
Comme pour les autres religions, le diocèse a tout fait pour maintenir un lien de proximité avec les fidèles et avec les "petits" comme le dit le père Renaud.
"Beaucoup de chrétiens se sont investis au centre d'accueil Covid des migrants à Saint-Aignan-de-Grandlieu. Il y a eu une belle implication" indique-t-il.
Malgré la distance physique, les préoccupations des uns et des autres, les convictions et la pratique religieuse n'ont pas été émoussées. "Souvent les gens m'ont dit, lors de ces diffusions de messes, on priait avec vous, mais pas seulement, on se sentait en communion" indique le prêtre qui ajoute "d'autres m'ont même confié n'avoir jamais vécu la semaine sainte avec une telle intensité".