Guerre en Ukraine : une solidarité inédite envers les réfugiés qui "doit s'appliquer à toutes les personnes qui cherchent un refuge" implorent les associations caritatives

L'élan de solidarité envers la population ukrainienne est, de l'aveu même des associations d'aide humanitaire, inédit. Mais qu'en est-il pour les autres réfugiés ? ceux qui viennent de pays plus lointains, qui eux aussi fuient la guerre. Les militants associatifs craignent que la mobilisation actuelle ne se fasse aux dépens d'autres personnes en quête de refuge.

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La semaine dernière, des sacs de dons sont parvenus à l'Autre Cantine à Nantes. Deux d'entre eux portaient une étiquette "Pour l'Ukraine".

Un détail. Mais qui a frappé Juna Mila. "Ici, raconte cette bénévole, on n'aide pas les gens en fonction de leur nationalité. Depuis des années, on milite pour l'hébergement des personnes qui arrivent à Nantes et qui sont à la rue".

Si elle se réjouit de constater que la population française se mobilise comme jamais pour l'Ukraine, elle est aussi un peu triste...

C'est vrai que l'élan vers les Ukrainiens est magnifique, sublime

Juna Mila, L'Autre Cantine

Quand on voit l'Etat, les particuliers, les entreprises qui mettent en place toute une organisation en faveur de ces réfugiés, c'est formidable mais on a l'impression que les autres situations passent au second plan et ça, c'est dur ".

"Le discours ambiant est à deux vitesses"

En ce moment, Juna accompagne trois familles, dont une avec un bébé, qui dorment à la rue. "J'ai alerté la mairie, le département, personne ne me rappelle et ces familles sont laissées sans solution. Je ne peux pas m'empêcher de me dire que si ils étaient Ukrainiens, on leur aurait vraisemblablement déjà trouvé un hébergement ".

Ce qui la marque aussi, c'est le vocabulaire employé pour définir les populations exilées.

" Pour l'Ukraine on parle de réfugiés, alors que d'autres personnes, somaliennes, érythréennes ou soudanaises, qui elles aussi fuient les dictatures ou des conflits armés, sont qualifiées de migrants...le discours ambiant est à deux vitesses " 

Selon que l'on soit blanc...ou pas

Ce constat de terrain, Julien Long le partage depuis l'Institut des Convergences Migrations, un institut du CNRS pour lequel il travaille en tant que chercheur associé.

"Les discours politiques ne sont pas les mêmes si l'on les analyse depuis le mois d'aout dernier. Emmanuel Macron avait, par exemple, fait part de son inquiétude de voir arriver un flux massif d'Afghans en France après la prise du pouvoir par les talibans. Aujourd'hui l'état s'organise pour accueillir au mieux les Ukrainiens. Cela interpelle".

Doctorant en histoire et en sociologie à l'Université de Nantes, spécialiste des   migrations juvéniles, Julien Long n'est pas étonné face à la différence d'attitude des Européens dans l'accueil des étrangers.

a pose la question des frontières et du racisme systémique, que des chercheurs* ont déjà expliqué, dans le traitement des migrations. On ouvre les frontières pour certains et on les referme pour d'autres en fonction de l'origine ethno-raciale mais aussi de notre passé colonial ".

"Certaines populations sont bienvenues...d'autres pas"

C'est vrai qu'en ce moment, il n'est guère question de l'espace Schengen. Ni de "flux migratoires", de "submersion", ou encore de "grand remplacement".

"Pourtant, après les printemps arabes, notamment en Tunisie, les contrôles aux frontières s'étaient renforcés entre la France et l'Italie. On remarque qu'une frontière peut être finalement assez flexible. Elle n'est pas un mur mais davantage une digue qui régule et qualifie ceux qui entrent sur le territoire On évoque l'accueil, la mobilité gratuite pour les Ukrainiens à bord des trains de la SNCF. C'est très explicite : certaines populations sont bienvenues...d'autres pas."

Et puis l'on se sent plus proche, sociologiquement et culturellement parlant, de certaines populations. L'Ukraine ne fait pas partie de l'Europe mais elle jouxte la Pologne qui elle, y adhère.

"Et pourtant, les ex-coloniaux, les exilés qui viennent des Suds sont sur notre territoire depuis au moins la première guerre mondiale, ils nous sont proches puisqu'ils ont connu la colonisation, ont combattu pour défendre la France. Mais le passé a du mal à passer. Et on va apprécier "l'autre" de manière variable, en fonction de son histoire, de sa culture, de sa religion, de sa couleur, de sa capacité supposée à s'intégrer".

Comment expliquer la réactivité des citoyens et la mise en place, si rapide, des actions solidaires à l'égard des Ukrainiens ?

C'est assez fréquent dans l'histoire. L'acte humanitaire est rattaché à l'action de l'État. Une logique compassionnelle s'est mise en place dès lors que l'État s'est impliqué aux côtés de l'Ukraine, qu'il s'est positionné

Julien Long, doctorant au centre de recherche Histoire Internationale et Atlantique, Université de Nantes

En clair, l'adhésion du public est en quelques sorte légitimée, facilitée par les décisions politiques de son gouvernement.

Et d'ailleurs, l'accueil s'organise au niveau de la métropole

Les 24 communes de l'agglomération nantaise ont écrit une lettre à Gérald Darmanin pour lui faire savoir qu'elles étaient prêtes à mettre en place des dispositifs d'accueil et d'hébergement pour les Ukrainiens.

"C'est l'heure de la mobilisation générale et c'est une excellente nouvelle, commente Christophe Jouin, élu nantais et co-fondateur de l'Autre cantine. Quand on voit que tout le monde s'y met y compris l'OFPRA, la SNCF, c'est formidable. mais ça rend aussi inquiet et triste pour les autres personnes qui sont sur nos territoires et qui n'ont pas accès à des logements, des papiers...ces autres personnes viennent aussi de pays en guerre." 

Cette solidarité, si elle est sincère doit être inconditionnelle et doit s'appliquer à toutes les personnes qui cherchent un refuge

Christophe Jouin, élu nantais

Vaille que vaille, les bénévoles de l'Autre Cantine continuent de se mobiliser pour fournir le minimum vital aux personnes qui sont sans toit. "Le soir, nous distribuons 200 à 250 repas et entre 5 et 10 personnes passent quotidiennement à l'accueil de jour" raconte Juna Mila qui ajoute, " ce qui nous fait peur, c'est que le 31 mars ce sera la fin de la trêve hivernale et que certains lieux d'hébergement vont fermer...on sait déjà que la situation sera très tendue pour tous ceux qui ne viennent pas d'Ukraine".

*Les autres chercheurs auxquels Julien Long fait référence dans l'article

-François GemenneSpécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, enseignant à Sciences-Po et à la Sorbonne.

-Michel Agier, Directeur d'études à l'EHESS. Anthropologue, directeur de recherche de classe exceptionnelle à l’Institut de recherche pour le développement et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Ses recherches portent sur les relations entre la mondialisation humaine, les conditions et lieux de l’exil, et la formation de nouveaux contextes urbains.

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