Depuis 30 ans, les salariés entendent parler de la fermeture de la centrale à charbon de Cordemais en Loire-Atlantique. Mais pour éviter les coupures de courant cet hiver, la centrale tourne aujourd’hui à plein régime. L'occasion de revoir le documentaire "Cordemais, le charbon en sursis", pour comprendre la complexité du dossier entre transition écologique, rentabilité économique et maintien de l’emploi.
Cordemais, c’est l’histoire d’une centrale électrique située en bord de Loire qui, à 51 ans passés, ne veut pas prendre sa retraite.
Alors que le gouvernement a décidé d’assouplir le recours au charbon pour la production d’électricité cet hiver, les salariés imaginent relancer le projet Écocombust, qu'ils croyaient enterré au moment du tournage du documentaire de Nicolas Combalbert, diffusé une première fois sur France 3 Pays de la Loire il y a un an.
Cordemais, un ogre qui ne dort jamais
Cette centrale veille et éclaire l’estuaire de la Loire depuis 1970, ses fumées et ses lumières en font un ogre qui ne dort jamais.
Si elle a pu faire la fierté d’une région à l’époque des Trente Glorieuses, la centrale à charbon de Cordemais a dès sa naissance été contestée, d'abord lors du virage du tout-nucléaire décidée dès sa mise en service, puis pour des raisons écologiques. Alors, quel avenir peut donc s’écrire pour cette centrale ? Pour les salariés, il porte le nom d'Ecocombust.
Je suis rentré à l’âge de 17 ans, j’en ai 32, ça fait 15 ans que j’entends dire que ça va fermer
Un agent de la centrale
Bretagne et Pays de la Loire dépendants du charbon de Cordemais pour quelques années encore
La puissance de 1 200 mégawatts de la centrale permet de pallier les faiblesses d’approvisionnement dans l’ouest, territoire éloigné et en bout de réseau des centrales nucléaires les plus proches.
Seulement voilà, depuis la COP 21 de Paris, l’exigence écologique, la nécessité de corriger le bilan carbone de nos industries scellent le sort des quatre dernières centrales thermiques de France et signifient leur fermeture.
Le minerai utilisé à Cordemais est extrait en Pologne, en Afrique du Sud et en Colombie. Il parcourt des milliers de kilomètres.
Deux millions de tonnes de charbon par an sont brûlés par la centrale et à la sortie autant de dioxyde de carbone ! Le bilan n'est pas vertueux même si deux centrales à charbon ne pèsent pas lourd dans les émissions de CO2 en France.
Malgré de lourds investissements de dépollution effectuée par EDF (350 millions d’euros) le territoire se prépare donc à subir les conséquences de cette décision.
Les salariés, les habitants de cette commune rurale de 3 800 âmes vivent eux entre révolte et résignation en attendant une fermeture qui ne vient pas !
Quel avenir pour cette centrale ?
Faudra-t-il pour ses 400 ouvriers, déménager et laisser Cordemais derrière soi, une commune devenue fantôme comme tant d’autres qui ont lié leur destin au charbon ? Trouveront ils une voie qui préserverait l’emploi et l’activité ?
Pour son enquête, Nicolas Combalbert s’est approché au plus près des salariés, des élus locaux pour sonder les âmes, les cœurs de ces hommes et femmes très attachés à leur centrale.
Ils défendent depuis 2017 une alternative au charbon : le projet Écocombust qui utilise la biomasse issue des déchets de bois en substitution du charbon. Une vraie innovation, une première mondiale !
Une fois construite, la centrale pourrait brûler 200 000 tonnes de pellets par an pour un bilan carbone neutre et devenir une véritable vitrine de la transition écologique française.
L’objectif est de sauvegarder 1 000 emplois. Pour défendre ce dossier du "charbon vert", il faut franchir l’étape politique, budgétaire et industrielle.
Bref, il faut convaincre tous azimuts. EDF à l’origine de l’expérience soutient dans un premier temps le projet voulu par les salariés comme l’état ainsi que le partenaire industriel Suez.
À Cordemais, l’espoir renaît alors pour le projet Écocombust. Espoir douché, car durant le tournage du film, les salariés de la centrale apprennent l'abandon du projet, considéré comme trop coûteux par Bercy. Le partenaire industriel Suez se retire.
Il faut trouver 100 millions d’euros ! EDF très endettée par la gestion et l’entretien de son parc nucléaire, refuse et l’état ne vient pas mettre les 40 millions nécessaires. La fermeture de la centrale est alors confirmée pour 2026.
On nous parle pognon, moi, je parle de service public. Lorsque les gens appuient sur l’interrupteur, c’est ça le service public. On a emmené nos familles dans un projet écologique, viable.
Un agent de la centrale
Cordemais à la croisée des chemins
La commune peut-elle se réinventer sans sa centrale ? Cordemais vit de la manne que lui procure EFF (12 millions d’euros de taxe pour la communauté de communes).
EDF et son charbon font vivre une kyrielle d’entreprises, transport fluvial, nettoyage industriel, commerce de proximité et financent les infrastructures.
Si la fermeture intervenait, ce serait 30 % des recettes qui n’entreraient plus dans les caisses de la commune. Si l’Ouest dépend de l’électricité de Cordemais, la Loire-Atlantique en dépend aussi, avec plus de 2 000 emplois, dont 700 directs et 1 500 indirects.
Une nouvelle chance pour Écocombust ?
Et pourtant depuis l'été 2021, après le tournage et la diffusion du documentaire, la centrale de Cordemais n’a jamais été autant sollicitée. Elle tourne à plein pour compenser la baisse de production des centrales au gaz dont les prix flambent.
En annonçant une augmentation du nombre d'heures autorisées par EDF pour la production d'électricité à partir du charbon , la CGT veut croire à une nouvelle chance pour la centrale et pour le projet Écocombust.
Il est vrai que le contexte a changé. La COP 26 n’a pas été couronnée de succès, on connaît une envolée des prix du gaz russe, la question de la souveraineté énergétique revient au premier plan.
Pour les salariés, pas de retour en arrière, même si le principe de réalité s’impose aux pouvoirs publics, personne ne défend le charbon comme une énergie d'avenir. Il serait préférable selon eux de booster le projet de transformation de la centrale à charbon à l’énergie bois d’autant plus que le démantèlement de la centrale demanderait 15 ans de travail.
Emmanuel Faure avait reçu en janvier 2022 dans "Ça se passe ici" le délégué syndical Gwénaël Pagne et le réalisateur Nicolas Combalbert à l'occasion de la première diffusion de "Cordemais, le charbon en sursis".
► "Cordemais, le charbon en sursis", un documentaire de Nicolas Combalbert, à voir jeudi 12 janvier à 23h40 sur France 3 Pays de la Loire
► À voir en replay sur france.tv dans notre collection La France en Vrai
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