Bronzer, d'accord, mais bronzer idiots, jamais ! Et quitte à alourdir un peu les valises, voici une sélection affreusement subjective mais rigoureusement assumée et indispensable de bandes dessinées à dévorer sous le soleil exactement...
1. Les routiers sont sympas !
On commence par un roadtrip sur les routes de France avec cet album paru aux éditions Gallimard. Hey Djo!, un titre qui vous met immédiatement en tête pour au moins le temps de la lecture le standard rock repris par Jimi Hendrix, les Byrds ou encore Johnny Hallyday. Mais rien à voir, Marzena Sowa, autrice par ailleurs de la très belle série Marzi, et Geoffrey Delinte racontent ici l'histoire d'un petit garçon, Djo, et de son père dont le métier de routier l'amène à être souvent absent du foyer. Ils ne se connaissent pas, ou mal, jusqu'au jour où ils sont amenés à partager la cabine du camion.
Djo découvre alors la vie de routier - et nous aussi par la même occasion - avec les moments de solitude, les rencontres sur le bord de la route, la légendaire solidarité entre gens du métier, le sentiment de liberté, mais aussi la peur des braqueurs de camions. Djo! est un album pétri d'humanité et d'humour autour d'un métier rarement représenté dans la bande dessinée contemporaine, c'est aussi un récit intimiste à portée universelle qui explore les relations père-fils. Magnifique !
Hey Djo!, de Marzena Sowa et Geoffrey Delinte. Gallimard. 22€
2. Le travail en question
Quelle est la place du travail aujourd'hui dans notre vie ? Partant de cette interrogation que chacun de nous s'est légitimement posée un jour ou l'autre, Fabien Toulmé attrape son sac à dos, enfile ses baskets et repend la direction de l'aéroport le plus proche pour un nouveau voyage, cette fois au cœur du monde du travail. Avec au menu trois étapes, les États-Unis, la Corée du Sud et les Comores, trois pays, trois cultures, trois approches différentes du travail et à l'arrivée un reportage passionnant qui entend dépasser l'approche strictement didactique grâce au recueil de témoignages de gens ordinaires et à l'éclairage d'une sociologue spécialiste du travail, Dominique Méda.
Entre la grande démission américaine, quarante millions de travailleurs auraient tout plaqué pour vivre une nouvelle vie depuis 2020, le surtravail coréen qui tue régulièrement, et une expérimentation comorienne qui tente de faire coexister l'environnement, l'humain et la rentabilité, Fabien Toulmé nous propose une belle base de réflexion sur le monde du travail et la valeur que nous lui accordons. Avec Ce n'est pas toi que j'attendais, L'Odyssée d'Hakim ou encore En lutte, Fabien Toulmé s'installe doucement mais surement comme l'un des auteurs majeurs de ces dernières années avec des thèmes forts, un désir renouvelé de raconter l'humain et toujours avec ce graphisme singulier qu'il rapproche lui-même du synthétisme.
Et travailler et vivre, Les Reflets du monde, de Fabien Toulmé. Delcourt. 25,95€
3. Pedrosa libéré
Les Equinoxes, Portugal, L'Âge d'or... Cyril Pédrosa nous illumine de son talent depuis 25 ans maintenant, d'abord comme dessinateur et coloriste, puis comme auteur complet, cherchant à chaque fois à nous surprendre à travers une exploration narrative et graphique incessante. Il nous revient ici avec un ouvrage qui relève plus du livre d'art que de la bande dessinée. Comme son titre le sous-entend, Journal d'une bataille est un journal intime mais aussi le résultat d'une expérience artistique menée entre juin 2022 et décembre 2023.
Durant 18 mois, l'auteur a accepté de quitter sa zone de confort, si tant est qu'il en ait eu une, pour se jeter dans le vide, coucher sur des grands rouleaux de papier blanc des dessins improvisés illustrant une bataille intérieure et dialoguant avec des textes. Le résultat a donné lieu à une exposition à Saint-Gatien du 26 avril au 29 juin et à ce livre paru aux éditions Dupuis. Un voyage au pays des émotions.
Journal d'une bataille, de Cyril Pedrosa. Dupuis. 45€
4. Une vie de cauchemars
160 000. C'est le nombre à peine croyable d'enfants victimes de violences sexuelles chaque année en France. Un enfant sur dix, une agression toutes les 3 minutes. Voilà pour les chiffres, effarants et froids, issus d'une récente enquête de la CIIVISE (Commission indépendante sur l'Inceste et les Violences sexuelles faites aux enfants). Mais derrière ces chiffres, il y a des êtres humains, des enfants aux vies à jamais brisées, traumatisés dans leur chair et leur âme. Avec souvent l'impossibilité d'en parler, de se confier, de dénoncer les faits, d'autant que, souvent, ces violences sexuelles relèvent de l'inceste.
Avec L'Homme en noir, les Italiens Giovanni Di Gregorio et Grégory Panaccione, dont on a pu mesurer l'immensité du talent depuis une quinzaine d'années, racontent ici le quotidien d'un enfant, Matteo, confronté à de violents cauchemars dans lesquels il est poursuivi par un géant noir. Un excès d'imagination ? Non, l'expression d'un traumatisme dont on apprendra l'origine précise dans les dernières pages. Un sujet grave mais une approche pudique et sensible magnifiquement mise en images, l'album alternant avec intelligence les pages colorées d'un quotidien qui aurait pu être joyeux et plein d'innocence, et les pages en noir et gris d'une réalité bien sombre...
L'homme en noir, de Giovanni di Gregorio et Grégory Panaccione. Delcourt. 19,99€
5. Au coeur de l'Ovalie
Larroque et Castelnau, deux villages situés entre Toulouse et Montauban, séparés par la Garonne mais réunis par un pont. Ici, on est loin du tumulte de la capitale mais au cœur de l'Ovalie. Nous sommes en mai 1967. Alors que Montauban vient de remporter pour la toute première fois le championnat de France de rugby face à Bègles et ramène le bouclier de Brennus à la maison, Larroque et Castelnau se rêvent en haut de l'affiche. Régionale ! Mais sur leurs terrains respectifs, situés à quelques mètres l'un de l'autre, les résultats ne sont guère brillants malgré le soutien total de la population, à commerncer par le curé de Castelnau et le patron de la briqueterie du coin, les entraineurs...
Derrière la passion du ballon ovale, les auteurs ont surtout voulu raconter une époque, les années 60, et plus précisément dans les premières pages de ce qui sera à terme une trilogie, l'année 1967. Le monde change, le pays connaît une forte croissance économique qui offre un peu plus d'insouciance à la population française, même si la guerre se poursuit sous d'autres horizons et que la société française porte déjà en elle les germes de Mai 68. Les Vents ovales est une comédie avec une très belle galerie de personnages, notamment féminins, illustrant assez bien la place de la femme dans la société, le poids de l'autorité et les aspirations légitimes de la jeunesse. Léger mais pas dénué d'intérêt. Parfait pour l'été !
Les Vents ovales, de Horne, Mermilliod et Tripp. Dupuis. 26€
6. Petits meurtres entre amis
Des personnages anthropomorphes, un dessin à la Macherot, des ambiances à la Trondheim, une histoire d'amis de jeunesse qui traversent la France pour se retrouver le temps d'un week-end, parler de tout, rire d'un rien. Tout indiquait une belle comédie et patatras ! Un tueur en série vient jouer les indélicats et semer le trouble. Au point que chacun se mette à douter de son voisin, de son copain, de soi.
David de Thuin, qui nous avait déjà enthousiasmé avec Le Roi des bourdons paru en 2019 chez Glénat, signe ici un magnifique album principalement réalisé sur tablette dans lequel il explore le sentiment d'amitié parfois contrarié par la distance et le temps. Un thriller habilement réalisé, magnifiquement rythmé et habité par des personnages attachants, même si l'un d'entre eux cache sa véritable personnalité...
Autreville, de David de Thuin. Sarbacane. 22€
7. Toujours dans la course
Il n'y a pas d'âge pour lire et aimer les aventures de Michel Vaillant. Depuis 67 ans maintenant, ce personnage légendaire imaginé par Jean Graton pour le journal Tintin nous invite sur le siège passager de bolides toujours plus rapides pour des aventures sur tous les circuits de la planète. Le clan Vaillant, le pilote américain Steve Warson, l'ennemi juré Bob Cramer, la championne de moto Julie Wood... C'est tout un univers qui a été créé et animé d'abord par Jean Graton seul, puis avec le studio Graton. Son propre fils devient le scénariste de la série en 1994 et accompagne la nouvelle équipe mise en place en 2012 pour une série rebaptisée Michel Vaillant Saison 2.
Plus réaliste, plus moderne, plus sensible aux problématiques actuelles, cette Saison 2 livre ici sa treizième aventure avec un Steve Warson menacé par une tueuse et un Michel Vaillant inquieté par la récidive du cancer de sa femme Françoise mais toujours dans la course...
Rédemption, Michel vaillant tome 13, de Lapière, Bourgne et Eillam. Dupuis. 16,50€
8. Dans la peau d'un architecte
"Tu vois les agences avec tables de ping-pong et baby-foot ? Oublie". Oui, Enzo peut oublier, car ici, dans le cabinet d'architecture Xavier Nolan où il a été pris comme stagiaire, on ne fait que bosser, jour et nuit. Pas le temps pour le batifolage, d'autant que le cabinet s'est lancé dans un concours, son avenir en dépend, celui d'Enzo aussi. En attendant, il doit subir le harcèlement de son boss, les collègues pas toujours sympathiques et les nuits blanches au boulot... avec finalement pas grand-chose en perspective !
Architecte italien, installé à Paris depuis 10 ans, Danicollaterale s'est bien évidemment inspiré de son expérience pour écrire et dessiner cet album qui embarque le lecteur - et c'est plutôt original - dans les coulisses d'un cabinet d'architecture international. Original dans le propos, Je suis charette l'est aussi dans la narration, le graphisme et les couleurs. Un album surprenant et divertissant !
Je suis charette, Vie d'architecte, de Danicollaterale. Delcourt. 29,95€
9. En lutte !
Un mois de grève et pas une avancée ! Dans cette usine située quelque part en Italie, comme un peu partout d'ailleurs, les factures à payer, les gosses à nourrir, finissent toujours par avoir raison des grévistes les plus coriaces, d'autant que l'époque n'est plus franchement à l'unité face aux patrons. L'individualisme est de plus en plus la norme et Hannibal le vieux syndicaliste aura beau le regretter, il ne pourra rien y changer...
Dans cette comédie dramatique, les deux auteurs italiens, Emiliano Pagani et Vincenzo Bizzarri, illustrent avec force et observation la déliquescence de la légendaire solidarité ouvrière, la disparition de la conscience de classe au profit de l'individualisme dans une société malgré tout de plus en plus dure, de plus en plus fracturée, où les pauvres s'opposent aux plus pauvres, les immigrés d'hier aux immigrés d'aujourd'hui, les ouvriers aux profs et même les enfants aux parents... Et si nous étions tous ennemis de nous-même ?
Les Ennemis du peuple, de Pagani et Bizzarri. Glénat. 22,50€
10. Mourir pour du charbon
D'un monde ouvrier à l'autre, Le Jour d'avant nous embarque cette fois pour les bassins miniers du nord de la France. Un paysage fait de terrils et de chevelaments au milieu duquel s'échinent les fameuses gueules noires. De cette vie, personne a priori ne peut en rêver, personne sauf Joseph, Jojo pour les intimes. Fils de paysan, promis à un avenir dans la mécanique, Joseph choisit finalement de devenir mineur à 20 ans. Il le restera jusqu'à sa mort le 27 décembre 1974, tué avec 41 autres mineurs dans ce qui reste comme la plus importante catastrophe minière d'après-guerre.
Partant d'une tragédie bien réelle qui hante aujourd'hui encore la mémoire collective, le roman de Sorj Chalandon et cette très belle adaptation en bande dessinée signée Dutter et Géliot s'offrent à nous comme une fiction, une histoire de famille écrasée par le chagrin et rongée par le désir de vengeance de ce qu'elle considère comme un crime du patronat et non comme une fatalité.
Le Jour d'avant, de Dutter et Géliot, d'après l'œuvre de Sorj Chalandon. Steinkis. 26€
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