L'album précédent nous l'avait laissé pour mort. Un cauchemar pour ses nombreux fans et peut-être bien pour lui-même. Mais Spirou est finalement de retour pour une nouvelle aventure toujours emmenée par le trio composé de Benjamin Abitan et Sophie Guerrive au scénario et du Nantais Olivier Schwartz au dessin…
C'est bien simple, les héros ne meurent jamais ! Corto Maltese, Lucky Luke, Astérix et Obélix, Gaston Lagaffe, Blake et Mortimer et tant d'autres ont survécu à leurs créateurs. Alors pourquoi pas Spirou ?
Né en 1938 dans les pages du journal éponyme, Spirou est passé de mains en mains jusqu'à nos jours pour vivre des aventures un peu folles et un peu partout sur la planète. Spirou, c'est 86 ans d'histoire(s), 57 albums, des personnages secondaires mythiques et une bonne vingtaine de dessinateurs et de scénaristes pour l'animer et nous le rendre vivant, au moins dans le cœur de plusieurs générations de lecteurs.
La mort de Spirou
Alors, le faire mourir bêtement après tout ça dans une cinquante-sixième aventure n'avait pas vraiment de sens. Mais était-il réellement mort ? Interrogé au moment de la sortie de l'album baptisé La mort de Spirou en 2022, le dessinateur Olivier Schwartz avait eu cette réponse :
"Oui, on le fait mourir, on fait table rase du passé. Il faut peut-être repartir sur de nouvelles bases. Mais bon, il n'est pas vraiment mort. Qui pourrait croire ça ?"
Autant dire qu'on avait de grandes chances de le retrouver ! Mais dans quel état ?
C'est ce que nous permet de découvrir ce cinquante-septième volet, La Mémoire du futur, une histoire qui se déroule en 1958 et 2024 avec un Spirou et un Fantasio qui ne sont pas tout à fait les vrais, pas tout à fait des faux, plongés dans un environnement plus ou moins réel, plus ou moins virtuel, une ville sous-marine baptisée Korallion. Bref, une histoire à en perdre un peu la tête. Olivier Schwartz, le Nantais de l'équipe, qui a lui bien la tête sur les épaules, nous a accueillis dans son atelier pour nous apporter quelques éclaircissements. Avec une première question : Spirou est-il finalement mort ou non ?
"En fait, il n'est pas mort du tout. Il s'agirait plutôt d'une sorte de rêve".
Spirou, il en rêvait...
Olivier Schwartz est le dessinateur d'une quarantaine d'albums et notamment de trois titres de la collection hors série baptisée Une aventure de Spirou et Fantasio par... En 2022, lorsque le tandem constitué de Yoann et Vehlmann fait part de son intention de passer la main après avoir réalisé cinq albums de la série mère, Olivier est choisi par les éditions Dupuis pour reprendre le dessin avec à ses côtés un autre Nantais, Alex Doucet, pour les couleurs, un Parisien, Benjamin Abitan, et une Marseillaise, Sophie Guerrive, pour le scénario.
Et il l'a fait !
Pour Olivier, reprendre les aventures de Spirou était un rêve : "C'est difficile de ne pas avoir un plaisir incroyable à reprendre ces icônes de la bande dessinée au même titre que Lucky Luke, les Schtroumpfs ou Astérix…", nous confiait-il à l'époque. "Spirou est quand même très très très très connu. Et j'étais vraiment radieux pendant les premiers mois de travail sur l'album. De savoir que j'ai en charge cette série, c'est énorme, c'est vrai, j'avoue, c'est presque un accomplissement. Après ça, comme disait Thierry Roland, on pourrait presque mourir. Enfin, je ne me le souhaite pas".
De savoir que j'ai en charge cette série, c'est énorme, c'est vrai, j'avoue, c'est presque un accomplissement. Après ça, comme disait Thierry Roland, on pourrait presque mourir.
Olivier SchwartzDessinateur des aventures de Spirou et Fantasio
Fort heureusement pour lui, et pour nous, Olivier est encore bien vivant et toujours aussi heureux d'animer les aventures de ce tandem mythique.
"Oui… C'est toujours le cas ! C'est toujours un plaisir d'animer les aventures de Spirou et Fantasio, c'est rigolo comme tout, ces petits personnages adorables, avec Spip qui désamorce… Et puis, j'ai le droit de changer des petits textes, d'ajouter mon grain de sel, c'est très agréable".
Avec le temps, les aventures de Spirou et Fantasio auraient pu terminer aux oubliettes ou rejoindre le musée le plus proche pour ne plus en sortir, offrant aux futurs historiens de la BD une poignée d'aventures figées à jamais. Mais la maison d'édition et les différents auteurs qui se sont succédé à leur chevet ont toujours fait en sorte de coller à l'époque tant au niveau du scénario que du graphisme. Et c'est encore le cas aujourd'hui avec des thématiques proches de nos préoccupations, à commencer par l'écologie, le tourisme de masse, les intelligences artificielles ou les réalités virtuelles.
On peut aller dans le futur, dans le passé, il y a de la science-fiction, tout est permis dans Spirou, pratiquement !
Olivier SchwartzDessinateur des aventures de Spirou et Fantasio
"Toute la série parle du réel, du contemporain. Maintenant, personnellement, si on avait de l'aventure pure sans jamais mentionner ces sujets, ces thèmes, ça ne me gênerait pas".
"Ce que j'aime là-dedans, c'est la fraîcheur des personnages, leur univers limite un peu poétique. C'est plutôt joyeux, c'est détendant et en même temps, il y a de l'aventure. J'aime bien ce côté-là, ce mélange entre humour et aventure. On peut aller dans le futur, dans le passé, il y a de la science-fiction, tout est permis dans Spirou, pratiquement."
Une ligne claire en mode fouillis
Modernes dans le fond, les aventures de Spirou et Fantasio le furent aussi tout au long de ces années dans la forme et aujourd'hui encore avec le graphisme singulier d'Olivier, influencé par l'école de Marcinelle et surtout la ligne claire.
La ligne claire, c'est de faire un tri et de faire vraiment un gros travail presque intellectuel pour simplifier, même si je suis plutôt du genre ligne "fouillis".
Olivier SchwartzDessinateur des aventures de Spirou et Fantasio
"Plutôt la ligne claire, oui, même si je mets des ombres, je déroge beaucoup au dogme qui a été créé par Hergé, même si lui-même au début de sa carrière était bien plus souple par rapport à cette structure qu'il a créée petit à petit. Oui, je m'inscris un peu dans la ligne claire, mais c'est difficile à définir. Il y a plein d'ébauches, de lignes, de ratures et finalement, la ligne claire, c'est de faire un tri et de faire vraiment un gros travail presque intellectuel pour simplifier, même si je suis plutôt du genre ligne "fouillis", c'est-à-dire que j'en mets beaucoup, c'est un peu trop dense parfois".
Impossible de parler de Spirou aujourd'hui sans parler de l'album hors série "La gorgone bleue" et de ses représentations polémiques de noirs, une polémique qui a agité récemment les réseaux sociaux et alimenté tous les médias de France et de Belgique.
À partir du moment où tu dessines des personnages réels, c'est nécessaire de faire un tri dans ces représentations et plus le temps passe, plus c'est quelque chose de sensible, on le voit.
Olivier SchwartzDessinateur des aventures de Spirou et Fantasio
Spirou et la gorgone bleue
"Je suis navré pour eux (Yann et Dany, les auteurs de la BD "Spirou et la gorgone bleue", ndlr), je trouve que c'est terrible. J'ai déjà subi des choses comme ça après la sortie d'un album et ça fait très mal. Donc moi, je compatis énormément à ce qu'ils vivent parce que ça court toujours".
"Maintenant… évidemment qu'à partir du moment où tu dessines des personnages réels, c'est nécessaire de faire un tri dans ces représentations et plus le temps passe, plus c'est quelque chose de sensible, on le voit. Je ne dis pas qu'il faut s'autocensurer complètement, mais il faut faire attention à ne pas blesser, ça, c'est évident".
"Il y a une couverture qui a été stigmatisée dans l'affaire de "La Gorgone Bleue", un album qui a été cité, c'est "Tembo Tabou" de Franquin et Roba. On voit sur la couverture des petits hommes, ce sont des Pygmées, je crois, ce sont des noirs et ils ont des grosses bouches rouges, ils sont dans la représentation qu'on pourrait dire aujourd'hui raciste, effectivement. Sauf que c'est Franquin et Franquin, on le connaît, il n'est pas du tout raciste, il subit peut-être les images qui circulent à l'époque, les représentations et il ne fait pas très attention parce que l'opinion s'en fiche de ça à l'époque".
"Néanmoins, il y met tellement de bonté et de bienveillance que ces petits personnages sont attachants et mignons et gentils, tu sens l'amour qu'il a pour ces personnages. Donc, là, moi, jamais, je n'ai senti, même en reprenant les albums après, ce côté dégueulasse".
"Alors, je ne suis pas en train de dire non plus que le bouquin de Dany et Yann manque de bienveillance et de bonté envers des populations différentes, noires. Pas du tout, je ne l'ai pas lu, je ne l'ai même pas entre les mains et c'est bien difficile aujourd'hui de s'en procurer un. J'ai aperçu deux-trois images. Effectivement, ces images pourraient choquer quelqu'un effectivement".
Tu disais que tu avais déjà vécu ce genre de chose...
"Oui, ça m'est arrivé pour "Le Groom vert-de-gris" il y avait justement des attaques sur un supposé antisémitisme ou négationnisme, enfin des choses comme ça, alors qu'on a été défendu par le grand-rabbin de France, qui a dit à quel point il aimait l'album. C'était mon premier album dans la cour des grands, ça m'a fait vraiment beaucoup de mal à l'époque. Mais c'est quelque chose qui peut arriver, parce qu'on n'est pas maître de ce qu'on a produit. Il y a un moment où ça nous échappe, il appartient au public. Et c'est au public aussi de le juger !"
Prochain épisode ?
"Sophie Guerrive fera le prochain album, seule, elle est en train de terminer le scénario. Moi, je n'ai pas commencé à dessiner. J'en sais un peu, mais pas tant que ça".
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