C'est une espèce invasive qui est en train de devenir endémique. L'écrevisse de Louisiane s'adapte parfaitement au réchauffement climatique. En Loire-Atlantique, dans le lac de Grand Lieu, l'espèce pullule. Et, en ce moment, avec les pluies abondantes, elle prend ses aises, jusqu'à traverser les routes.
Ces temps derniers, dans les zones les plus humides de Loire-Atlantique, il n'est pas rare de croiser des écrevisses sur les routes. Parfois par bancs entiers. Les conditions climatiques de cet hiver lui ont été très favorables. Avec les orages et les inondations, le crustacé n'hésite pas à se déplacer.
"Ça faisait crac, crac, crac, sous les pneus" dit une automobiliste qui a roulé sur une colonie d'écrevisses, près de chez elle.
Une espèce invasive
"L'année 2024 est une année avec beaucoup d'écrevisses, constate David Lefort, pêcheur professionnel sur le lac de Grand Lieu. On a eu un hiver très doux, très pluvieux et qui correspond bien aux espèces invasives comme la jussie (une plante aquatique), les écrevisses. On voit aussi des silures, qu'on ne voyait pas avant."
Le pêcheur se souvient qu'en 2007, il y avait eu déjà une forte augmentation de la présence de ce crustacé introduit en Europe dans les années 70, pour de l'élevage en aquaculture, en Espagne. L'espèce qui s'adapte très facilement à des conditions environnementales diverses, s'est, depuis, installée durablement dans plusieurs pays dont la France.
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La forte présence de cette espèce inquiète David. Il pense qu'au moins 40 tonnes seront pêchées cette année.
"Ce n'est pas bon pour le milieu, constate David. Elle est très agressive. Pour les poissons qui sont pêchés en même temps qu'elle, le temps de survie est très court."
Le pêcheur montre une carpe prise dans une de ses nasses et qui a été tuée par les écrevisses.
"C'est un poisson qui n'est pas commercialisable", précise David.
"On a une forte demande pour les restaurants"
Le bon côté des choses, c'est que David en a fait un produit qu'il vend à ses clients restaurateurs.
"On a une forte demande pour les restaurants gastronomiques. C'est un super produit."
Ce que confirme Ludovic Pouzelgues, le chef étoilé du restaurant "Lulu Rouget" à Nantes qui lui achète régulièrement les écrevisses pêchées dans le lac de Grand Lieu. Les plus grosses sont prisées des restaurateurs.
"C'est un produit qui a une texture qui est très particulière, dit le cuisinier. Qu'on ne trouve pas sur des langoustines ou du homard. C'est très charnu et ça a un côté un peu viandard qui est très intéressant. On a un produit qui est top niveau ! David vient de les pêcher, on va les cuisiner. Ce soir, c'est dans les assiettes."
Le chef cuisinier va les préparer en le faisant revenir dans un beurre d'écrevisse confectionné avec les têtes des crustacés, il y ajoutera un sabayon beurré au thym. Le tout accompagné avec des cerises de Vertou, donc locales, tout comme les écrevisses qui n'ont désormais de Louisiane que leurs lointaines origines.
Une espèce extrêmement abondante
L'espèce invasive a colonisé l'ensemble du territoire. Marais breton, Brière... En Pays de la Loire, elle est partout. Elle est presque devenue endémique.
"On ne voit pas ce qui pourrait effectivement la faire disparaître, constate Jean-Marc Gillier, directeur de la réserve naturelle du lac de Grand Lieu. Il y a beaucoup de prédateurs qui se sont adaptés à cette écrevisse, mais ça reste une espèce qui est extrêmement abondante."
La quantité inhabituelle présente cette saison 2024 n'est pas vraiment expliquée. Mais les pluies de la fin d'automne, puis de cet hiver ont fait monter très tôt le niveau du lac de Grand Lieu.
"C'est extrêmement favorable", explique Jean-Marc Gillier qui rappelle aussi les effets du changement climatique. Les hivers très doux sont aussi propices au développement de l'écrevisse.
"Des zones entières de végétation ont disparu"
Cela fait le bonheur des restaurateurs, mais pas seulement. La spatule, oiseau des zones humides, apprécie également le crustacé.
En revanche, l'espèce fait de gros dégâts sur la végétation, déjà impactée par d'autres problématiques comme la qualité de l'eau.
"Des zones entières de végétation ont disparu, déplore le directeur de la réserve naturelle. On l'observe sur les herbiers de nénuphars dans certains secteurs, sur les marais. L'écrevisse vient rajouter un facteur de pression sur ces végétations qui sont déjà très fragilisées."
La pêche ne réglera pas le problème, les petites écrevisses n'étant pas piégées par les nasses et ce sont les plus nombreuses.
En France, seuls quelques lacs alpins sont encore épargnés.
►Le reportage de Céline Dupeyrat, Samuel Collin et Matteo Gaudin.
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