Créer des outils de déconfinement efficaces, c'est ce dont rêvent tous les gouvernements engagés dans la lutte contre le covid-19. Parmi ces outils, les logiciels de traçage ont la cote mais une entreprise nantaise veut mettre son expertise à la disposition d'un projet différent : le BaroCovid.
Comment surveiller l'évolution de l'épidémie dans le déconfinement en cours en étant au plus près de la réalité ? L'idéal serait sans doute de tester (régulièrement) chaque habitant du territoire. Impossible à ce jour.
L'autre idée, c'est d'utiliser la capacité de cette population à transmettre individuellement des informations sur son propre état de santé via ce que 75 à 80 % des personnes possèdent : un smartphone.
Le projet StopCovid défendu par le ministre de la Santé Olivier Véran et le secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O a pour ambition de remplir cette mission.
Lutte contre la pandémie... et surveillance excessive
Mais il repose sur un principe qui soulève des questions éthiques.L'application, si l'utilisateur le veut bien, utilise la fonction Bluetooth du smartphone. Lorsque deux personnes se croisent d'assez près pendant une certaine durée, le téléphone portable de chacun enregistre les références de l’autre dans son historique.
Si l'une de ces personnes est testée positive au Covid-19, l'autre et plus largement tous ceux qui auront été en contact avec elle seront automatiquement alertées. Pas de géolocalisation certes, mais une utilisation de la vie sociale de tout un chacun. Positif ou non au Covid-19.
On est en droit de trouver cela inquiétant.
A noter d'ailleurs que selon une sondage Harris Interactive pour l'Observatoire Data Publica, 59% des français sont favorables à la mise en place de l’application STOPCOVID mais 54% n’ont pas confiance dans l’utilisation qui pourra être faite des données (le sondage est téléchargeable sur le site de Data Publica).
Un questionnaire rempli quotidiennement par les volontaires
La jeune entreprise nantaise Félix Santé en association avec la fondation CovidIA travaille actuellement à une solution différente.La fondation CovidIA (comme Covid Intelligence Artificielle) est composée de dix scientifiques et médecins, anesthésistes, microbiologistes, mathématiciens dont le Professeur Xavier Deparis épidémiologiste, et ancien patron du SSTRN (Service de médecine du travail à Nantes). Il avait déjà eu l'occasion de croiser l'équipe de Félix Santé par le passé d'où cette nouvelle association.
Dans ce projet, plus question de traçage des données sociales (des rencontres) des participants mais un questionnaire rempli quotidiennement par les volontaires et qui permettrait de voir en temps réel l'évolution de l'épidémie.
"Il s’agit, selon la fiche du projet, de permettre à chaque personne volontaire âgée de 6 ans et plus, possédant soit un ordinateur soit un smartphone d’accéder à un site Internet et de déclarer tous les jours, à l’aide d’un questionnaire simple à utiliser :
- s’il a été malade ou pas, et si oui, s’il a consulté ou effectué un test diagnostique du COVID-19 et donner son résultat.
- s’il a été contact d’un cas déclaré.
Il suffira de moins d’une minute tous les jours pour répondre au questionnaire."
Mais pour être utilisable, cette base de donnée doit évidemment être alimentée par le plus grand nombre. "Si on n'a que 1 000 participants, ce sera un flop, reconnaît le Pr Deparis. Sur les Pays de la Loire, par exemple, il faudrait 30 000 participants."
BaroCovid
Selon, ses concepteurs, cet outil baptisé BaroCovid sera en capacité de présenter automatiquement "les résultats selon des critères de temps (courbes de tendance) et de lieu (par villes, départements, régions) et de population (tranches d’âges, caractéristiques socio-professionnelles, etc.).L'intérêt, par exemple, sera de pouvoir donner l'alerte si un secteur présente trop de cas symptomatiques de Covid-19. Or, selon le Pr Deparis, les outils actuels ne permettent pas d'assurer un suivi épidémiologique assez fin.
"On est très hospitalo-centrés en France" regrette-t-il. Donc, tout ce qui ne passe pas par les hôpitaux est invisible. Le projet prévoit, outre les données fournies par les volontaires, de s'appuyer sur les médecins généralistes et les infirmiers libéraux.
Aujourd'hui, ce type de réseau existe en France avec Sentiweb pour l'observation de la grippe ou de la varicelle, mais selon Xavier Deparis, il repose sur la contribution de trop peu de généralistes inégalement répartis sur le territoire et ne donne pas une photographie assez fine de la situation.
Le projet BaroCovid, s'il bénéficie de suffisament de communication pour attirer des volontaires en grand nombre, répondrait à ce besoin d'outil efficace pour une surveillance épidémiologique fine et réactive. "On va tenter de modéliser l'évolution de l'épidémie à deux ou trois semaines (durée de l'incubation du Covid-19), on pourra ainsi prédire si un département va passer dans le rouge." explique le Pr Deparis.
Qui y aura accès ? Les cartes et graphiques seront publiques mais pas les données plus précises qui, elles, seront réservées à des organismes montrant patte blanche et seront surveillées par le conseil scientifique de CovidIA. Il faudra justifier d'une vraie démarche de santé publique. Et il ne devrait pas être possible de remonter plus haut que le code postal, la tranche d'âge et le sexe du contributeur.
Précision non négligeable, le serveur abritant les données sera celui de Félix Santé et il est en France.
"On veut contribuer à une intiative scientifique, explique Gwendal Bareaud, le Président et co-fondateur de Félix Santé. Il n'y aura pas de pub (sur le site).Ça ne favorisera pas tel ou tel labo. Pas de partage de données avec Google ou d'autres. Un hébergement des données sur un serveur HDS (certifié Herbergement de Données de Santé, serveur très sécurisé)."
"Il n'y a pas d'idée de traçage" confirme Xavier Deparis.
BaroCovid est pratiquement finalisé, le questionnaire est prêt, le logiciel aussi, reste à préciser le cadrage juridique et à trouver les financements.
"Notre objectif n'est pas de faire de l'argent"
Car pour être efficace, l'outil devra bénéficier en amont de sa sortie et tout au long de son utilisation d'une communication, par définition, très large. Et ça coûte cher. C'est d'ailleurs le principal poste de budget : 250 000 des 350 000 € estimés.Les concepteurs sont d'ailleurs en recherche de partenaires, collectivités, entreprises...
"Notre objectif est d'aider assure Gwendal Bareaud, pas de faire de l'argent."
L'équipe espère lancer le site le plus tôt possible, peut-être avant la fin mai. Et après l'épisode Covid-19 ? "Le panel de participants pourra être sollicité pour d'autres évaluations" imagine le Pr Deparis.
Toujours sur la base du volontariat bien sûr.
Félix Santé
L'entreprise a été lancée en 2016 et réunit quatre associés aujourd'hui.Basée à la "Connecting Place", au sein de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Nantes Saint-Nazaire, Félix Santé s'est fait une place dans le secteur de la santé en mettant au point un logiciel permettant aux praticiens de rester en contact avec leurs patients.
Ceux-ci renseignent régulièrement un questionnaire. Le praticien a paramétré l'outil pour être alerté en fonction des informations entrées par le patient.
Le patient peut aussi trouver sur le site des informations, animations destinées à l'aider dans la maîtrise de sa pathologie.
Il peut être adapté et utilisé dans de nombreux domaines comme l'asthme, le diabète, l'oncologie, l'obésité, la pédiatrie...
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