BD. Le Dernier Atlas : le projet fleuve de quatre auteurs nantais aux éditions Dupuis

Ils sont quatre, quatre Nantais, des auteurs confirmés dans le milieu de la bande dessinée. Ils ont décidé de s'associer autour d'un projet à grande échelle. Trois volumes, six cents pages, un polar tendance SF, ou l'inverse, avec des vrais morceaux de robots géants à l'intérieur. Rencontre...

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Fabien Vehlmann, Gwen de Bonneval, Hervé Tanquerelle, Fred Blanchard. Si vous vous intéressez un minimum à la bande dessinée, alors ces quatre noms vous parlent forcément.

Le premier est le scénariste actuel des aventures de Spirou et Fantasio, mais aussi de la série Seuls adaptée au cinéma en 2017. Le deuxième a signé Adam et Elle ou plus récemment Polaris ou la nuit de Circé. Le troisième a réalisé le dessin et écrit le scénario de Groenland Vertigo, le dessin de Professeur Bell ou de La Communauté. Enfin le dernier, directeur du label Série B des éditions Delcourt, est aussi designer pour la BD et le cinéma, associé à une multitude de projets parmi lesquels Renaissance

Et il fallait bien des auteurs de poids pour porter ce nouveau projet. Le Dernier Atlas, c'est d'abord plusieurs centaines de tonnes d'acier, un robot géant comme vous n'en avez jamais vu, élaboré aux chantiers de Saint-Nazaire pour la reconstruction de la France et peut-être pour d'autres missions moins avouables.

Mais c'est aussi un scénario exigeant, un mélange savamment dosé de polar et d'uchronie qui nous emmène des rues de Nantes au parc de Tassili en Algérie, en passant par la ville de Darukhana en Inde, une bande dessinée de divertissement enrichie par une volonté affichée de poser un regard lucide sur notre monde et son passé, notamment sur la guerre d'Algérie.
L'histoire débute en Algérie justement où des scientifiques assistent médusés à des phénomènes étranges. Des oiseaux se rassemblent par milliers dans le parc de Tassili et des insectes présentent d'étranges mutations. De l'autre côté de la Méditerranée, à Nantes, Ismaël Tayeb, escroc d'envergure, gère son business de machines à sous trafiquées lorsque Dieu le père, le grand boss, revient subitement d'exil, provoquant une secousse sismique dans le milieu de la pègre nantaise.

Mais le boss a une mission pour Tayeb : trouver une pile nucléaire. Et ça tombe bien, Tayeb sait où la trouver. Sur le denier Atlas existant, un robot géant embourbé depuis des années dans un quartier de Darukhana, ville portuaire indienne. Son plan : tout simplement voler le robot.
Imaginé il y a maintenant plus de huit ans, Le Dernier Atlas aurait dû être publié dans les pages du Professeur Cyclope, un périodique de bande dessinée numérique fondé à Nantes et aujourd'hui disparu.

"Quand il était encore en gestation dans la tête de Fabien Vehlmann, on s'est dit que ça ferait une belle série pour Professeur Cyclope, mais il ne se voyait pas écrire le scénario tout seul, il a donc demandé à Gwen de Bonneval de l'aider". De son côté le dessinateur Hervé Tanquerelle ne se voyait pas lui non plus dessiner en solo. Le nom du dessinateur éditeur designer Fred Blanchard s'est imposé. Comme une évidence !
 
"Pour Fred, le plus gros du travail a été de créer le robot...", explique Hervé Tanquerelle, "Il l'a conçu dans son intégralité, c'est à dire jusqu'aux pièces intérieures. Là, il y avait un travail particulièrement sérieux et complexe à faire pour que tout ça soit crédible. Parce que ce n'était pas tant faire lui faire un joli et sympathique design, il fallait aussi lui donner une crédibilité, lui donner un aspect qui permette aux lecteurs d'y croire, ce qui n'est pas simple en soi de croire à un robot géant de 40 mètres. Fred a une culture et une expérience qui fait qu'il a un rapport particulier avec ces vieilles machines des années 50/60"

"Au final, son robot est assez subjuguant. On a l'impression qu'il a pensé chaque boulon. Il dit lui-même qu'il sait où sont les toilettes, Il ne les a pas dessinées encore mais il sait très bien où elles se trouvent dans le robot. En plus de tout ça, il a supervisé mon découpage. Il a une approche assez cinématographique et j'avais besoin de ça"
.

"Il a également pensé les immeubles de l'après-guerre en France et en Algérie puisque les robots sont censés les avoir reconstruits...", complète Gwen. "Et puis il a aussi imaginé la créature du désert et tous les logos".
De la place Royale au Hangar à Bananes en passant par la place Graslin, les lecteurs reconnaîtront sans difficulté la ville de Nantes. Un choix pratique et logique selon Gwen de Bonneval : "On pouvait transposer avec les robots géants ce qui s'était fait ici avec les chantiers navals. Nantes a en plus avec Jules Verne une dimension science-fictionnesque. Et puis, c'est là où on habite... Finalement, il y avait assez peu d'intérêt à dérouler l'histoire ailleurs". 

"Et en plus, pour la petite histoire..."
, ajoute Hervé, "mon grand père était électricien sur les chantiers de Nantes. Il y a plein de choses comme ça qui se recoupaient et faisaient que c'était plus intéressant et plus amusant de le faire ici". 

L'histoire se déroule à Nantes donc mais pas seulement. Le Dernier Atlas nous fait pas mal voyager. En Inde et en Algérie, pays d'où est originaire la famille du protagoniste principal Ismaël Tayeb. Le Dernier Atlas, c'est aussi un regard sur notre époque, sur notre passé et notamment sur la guerre d'Algérie, thème particulièrement cher à Fabien Vehlmann.
"Oui, je cherchais un biais par lequel aborder la guerre d'Algérie. Mon père était militaire, pilote de chasse, et a participé en tant que tel à la guerre d'Algérie. Il s'est avéré qu'utiliser cette histoire de robot géant permettait un pas de côté pour aborder le sujet sans être trop crispé sur les chiffres ou sur des événements dont on ne connaît toujours pas les tenants et aboutissants sauf à être historien. Et encore. On voit qu'eux-mêmes ont encore beaucoup de mal à se mettre d'accord sur le chiffrage des victimes. Un exemple parmi d'autres, c'est celui des camps de regroupement qu'on va évoquer dans le deuxième tome. Michel Rocard à l'époque avait fait état de peut-être 200 000 morts lors de ces déplacements de population, ce qui est énorme. Mais on n'est pas sûr à 100% de ces chiffres..."

"Après..."
, poursuit Fabien, "la guerre d'Algérie nous concerne tous plus ou moins, de près ou de loin,  parce que le père d'Hervé à été appelé à ce moment là, parce que le grand père de Gwen était l'aide de camp de De Gaulle...".

"Oui...", poursuit Gwen, "au moment de son retour, du "je vous ai compris", il était là à ses côtés. Dans mon histoire personnelle, forcément, ça a un échos particulier". 
Si La guerre d'Algérie apparaît en filigrane dans ce premier volet, elle sera plus présente par la suite, assure Fabien Vehlmann, avec un décalage de 15 ans, les événements comme on appelait cette guerre à l'époque ne commençant ici qu'en 1968. Polar, récit d'aventure et donc uchronie, Le Dernier Atlas mélange les genres pour mieux nous surprendre.

"À partir du moment où on est dans une uchronie, et qu'on l'assume, ça permet d'aborder le sujet avec un peu plus de distance, encore qu'il a fallu quelques années pour que je me convaincs que ce n'était pas là une somme sur la guerre d'Algérie, que je devais tout dire dessus, mais simplement m'en servir comme d'un élément parmi d'autres. Et puis, l'uchronie est une façon de tendre la main au lecteur ou à la lectrice, de lui dire : venez c'est chouette, c'est du divertissement, mais on aborde le sujet. Ce qui m'importe, c'est qu'on puisse aujourd'hui reparler de ce sujet sans les tensions qui accompagnent habituellement les débats. Je ne sais pas si on y arrivera avec une oeuvre de fiction mais ç'est un outil parmi d'autres".
Côté dessin, Hervé Tanquerelle offre ici une approche beaucoup plus réaliste que dans ses albums précédents. Une transition qui s'est faite sans douleur ?

"Sans douleur, je ne peux pas dire, disons que c'est une évolution ou une autre direction de mon travail. L'album Les Faux visages (réalisé avec David B, ndlr) était une première étape vers un dessin plus réaliste, ensuite il y a eu Groenland Vertigo, sous influence hergéenne, avec déjà des décords traités d'une manière réaliste. Et là du coup, j'ai poussé le curseur encore plus loin puisque les personnages sont traités eux aussi d'une manière réaliste. Mais ce n'est pas simple en effet, c'est une école assez exigente qui demande beaucoup de documentation. On ne peut pas tricher, on ne peut pas déformer les lignes, du coup c'est quelque chose qui n'est pas venu naturellement, il a fallu que je me plie à une certaine rigueur".
Le Dernier Atlas est aujourd'hui disponible en album, il l'a été avant ça en fascicules, dix au total, envoyés périodiquement à un millier de passionnés via les librairies, une démarche originale voulue par l'éditeur.

"On a conçu le récit en chapitres...", explique Gwen, "puisqu'il devait être publié au départ de façon mensuelle dans Professeur Cyclcope. Ça lui a finalement donné un rythme. On a gardé cette idée là pour la version papier. L'éditeur a alors estimé qu'on pouvait imaginer une version prépubliée en noir et blanc limitée à un petit nombre de privilégiés. On joue là le jeu de la série avec des cliffhangers (fins ouvertes, ndlr) et un côté feuilletonesque".

À ce jour, 80 pages du deuxième tome sont d'ores et déjà réalisées. Rendez-vous en mars 2020 pour le deuxième volet de la trilogie. Mais avant ça, vous pourrez retrouver l'équipe du Dernier Atlas vendredi 22 mars à 19h00 dans le journal de France 3 Pays de la Loire.

Le Dernier Altas, Dupuis. 24,95€

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