Le ministère de l’Intérieur étudie une procédure de dissolution de la Brigade Loire, dont des membres ont envahi la pelouse de la Beaujoire, dimanche 24 novembre. Que cela dit-il de la relation entre les supporters et les institutions ? Éclairage avec Mathieu Zagrodzki, politologue et membre de l'Instance Nationale du Supportérisme.
Ils étaient une cinquantaine à quitter leur tribune pour rejoindre le bord du terrain. Certains d'entre eux étaient cagoulés aux couleurs des Canaris, à qui ils dédient chacun de leur week-end.
Née en 1999, la Brigade Loire (BL) est un groupe d’ultras historique du FC Nantes, qui pèse dans la vie du club. Et, dimanche 24 novembre, ces supporters ont tenté d'envahir le terrain de la Beaujoire pour manifester leur colère. Les Jaunes et Verts étaient menés 2-0 par le Havre. Il s'agissait de leur 9ᵉ match d'affilée sans victoires.
Avant même le coup de sifflet final, certains membres de la BL se sont rapprochés des barrières quand d'autres jetaient divers projectiles. De quoi interrompre l'opposition pendant près d'une demi-heure. C'est cette scène qui a attiré les foudres de Bruno Retailleau, le ministère de l'Intérieur.
🚨 | Envahissement de terrain : la rencontre entre Nantes et Le Havre est interrompue ! 🛑⚠️ #FCNHAC pic.twitter.com/vA2WGRsvCA
— DAZN France (@DAZN_FR) November 24, 2024
Au lendemain, celui-ci a indiqué que le lancement d'une procédure de dissolution de ce groupe de supporters était à l'étude. Sur les réseaux sociaux, cette sanction a tantôt été qualifiée de "disproportionnée", tantôt "d'inadaptée".
De son côté, le cabinet du ministère des Sports temporise. "Au-delà de cette procédure longue et à l'issue qui doit être sécurisée juridiquement, les sanctions individuelles fermes plutôt que des sanctions collectives sont à privilégier", a-t-il indiqué.
On fait le point avec Mathieu Zagrodzki, politologue et membre de l'Instance Nationale du Supportérisme, rattaché au ministère des Sports.
Pourquoi cette menace de dissolution indigne autant ?
Alors ce n'est pas une réaction étonnante. En 2008, quand le groupe de supporters du Paris Saint-Germain a été dissous, les Boulogne Boys, ç'avait quand même fait beaucoup parler. Il avait été estimé que dissoudre une association, c'est perdre des interlocuteurs, parce que les membres vont continuer de venir au stade, mais sans être organisés. Cependant, dans le cas la Brigade Loire, ce qui est critiqué, c'est qu'il s'agit d'une solution de facilité qui ne va pas pour autant régler les problèmes.
Cette dissolution est-elle justifiée ?
Cela dépend comment on se positionne. D'une part, on peut estimer que c'est quelque chose d'inefficace et d'injuste. Inefficace parce que ça ne va pas empêcher les gens de se regrouper. Injuste parce que vous infligez une sanction collective là où ce sont quelques individus qui ont agi. D'autre part, là, c'est l'avis des pouvoirs publics, si vous regardez les précédentes quinze dernières années en la matière, il y a une certaine logique dans le fait que la Brigade Loire soit dissoute. De mon côté, je suis toujours contre les sanctions collectives. J'estime qu'on vit dans une démocratie libérale où le principe juridique fondamental, c'est la sanction individuelle : vous ne payez pas pour ce qu'ont fait les autres. Et donc, en termes moral et philosophique, les sanctions collectives sont extrêmement contestables. Mais aussi en termes de ressenti pour les personnes en question, il y a quand même un très fort sentiment d'injustice. C'est-à-dire que vous créez aussi du ressentiment chez les gens qui en sont victimes, ce qui, par extension, va éroder la confiance dans l'autorité publique.
À quoi ressembleraient des sanctions individuelles et comment les mettre en place ?
Prenons l'exemple des incidents à Nantes, lors du match contre le Havre. Il faudrait identifier les personnes cagoulées qui sont entrées sur le terrain, parce qu'il n'y a pas le droit de franchir une barrière pour entrer sur la pelouse. Ensuite, quand je parle de sanctions, c'est devant un tribunal. Imaginons, vous vous en êtes pris physiquement à un stadier. Vous pouvez prendre une amende ou une peine de prison avec sursis, voire ferme, si les violences sont graves. Mais en complément, le juge peut vous interdire de stade pendant une certaine durée. C'est ça l'individualisation des sanctions, c'est d'aller chercher les auteurs des infractions et non pas sanctionner l'intégralité du groupe dont ils font partie. Après, il y a une double difficulté : l'identification et le coût des moyens à mettre en œuvre pour retrouver les auteurs. Ce sont encore des grandes questions.
Depuis ses prises de fonction, Bruno Retailleau s'exprime à plusieurs reprises au sujet des ultras sur une ligne dure. Que cela veut-il dire de son rapport au supportérisme ?
Personnellement, je ne le trouve pas si différent des autres ministres qui l'ont précédé. Les discours musclés sur les supporters, ça existe depuis des années, voire des décennies. Gérald Darmanin aussi avait des propos durs et injustes. Souvenons-nous des événements du Stade de France, lors de Liverpool-Real Madrid, où il y a un énorme problème d'organisation. Les supporters anglais sont complètement pacifiques et lui, il leur met tout sur le dos en disant qu'ils sont venus avec des faux billets et qu'ils ont essayé de forcer l'entrée. C'était complètement faux. Et, si on revient encore avant, Cazeneuve et Valls ne faisaient pas non plus particulièrement preuve de mansuétude à l'égard des supporters. Cependant, Retailleau a peut-être un discours encore plus ferme, c'est vrai. Mais ce n'est pas spécifique à la question du supportérisme. Dans ses déclarations sur l'immigration clandestine et sur les stupéfiants, il a aussi un discours très offensif.
Ainsi, peut-on dire que se passe au stade peut être un avant-goût de ce qui peut se passer dans notre société de manière générale ?
Ça, c'est un peu l'argument des groupes ultras. À savoir, dire que les stades sont des laboratoires du contrôle social et qu'on expérimente un certain nombre de choses sur les supporters. Ce n'est pas complètement faux. Notamment sur ce qui est de la vidéo et des caméras algorithmiques, on l'a déployé sur les JO et sur les événements sportifs, peut-être que ça va être généralisé ailleurs. Les premières victimes des tirs de LBD, les premiers cas d'éborgnement... Ce sont surtout les supporters qui, dans les années 2000, ont expérimenté ce type d'action policière. Donc oui, parfois, ce qui se passe dans les stades préfigure le reste. Mais, ce n'est pas le laboratoire unique. Des tas de choses qui ont été mises en œuvre n'ont pas nécessairement été expérimentés dans les stades d'abord, soit parce que ce n'était pas pertinent, soit parce que ce n'était pas applicable.
Gil Avérous, le ministre des Sports, a par ailleurs lancé "une tournée des stades" pour renouer le dialogue avec les supporters. Qu’en pensez-vous ?
L'initiative est louable. D'autant plus qu'il s'est prononcé de manière explicite en faveur des sanctions individuelles au sujet de la Brigade Loire. Puis, qu'un ministre aille sur le terrain pour discuter, ce n'est jamais négatif. C'est une conception de la démocratie qui me semble tout à fait saine. Après, derrière, il y a deux bémols ou deux interrogations. D'une part, est-ce que ça va vraiment servir à quelque chose ? Le ministre des Sports a-t-il vraiment la volonté et les mains libres pour nouer ce dialogue ? Autrement dit, n'est-ce pas une opération de com ? D'autre part, y aura-t-il une volonté du côté des supporters de nouer ce dialogue ? Certains des groupes ultras sont tout à fait ouverts à ça, d'autre beaucoup moins.
À noter que les supporters nantais pourront finalement aller encourager les Canaries aux Parcs des Princes, dans le cadre de la 13ᵉ journée de Ligue 1, ce samedi 30 novembre. En effet, l'arrêté ministériel interdisant leur déplacement a été suspendu par le Conseil d'État. L'instance avait été saisie par l'Association nationale des supporters.
Par ailleurs, des actions en soutien de la Brigade Loire sont prévues du côté d'autres groupes de supporter.
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