Alban Tessier, atteint de rétinite pigmentaire, est un sportif accompli à la recherche de défis. Le documentaire de Corinne Falhun, raconte le voyage introspectif de l’aventurier malvoyant pour trouver sa place dans le monde.
Alban Tessier est un sportif accompli. Quadragénaire longiligne, il a le goût de l’aventure et celui des défis. Le film que lui consacre Corinne Falhun aurait pu dès lors céder à la facilité du récit célébrant le dépassement de soi par le sport à grand renfort de musique bodybuildée soulignant l’exploit et de ralentis magnifiant l’effort. Mais le sujet de Corinne Falhun, c’est l’approche sensible d’un homme qui, au fur et à mesure que la cécité progresse, s'ouvre à d'autres sensations et s'adapte au handicap. "Aussi loin que mon regard se portera" fait le récit d’un apprentissage. Faire sans la vue, et faire avec toutes les autres perceptions.
La réalisatrice débute d’ailleurs son documentaire par un échec. Il a pour cadre la seconde étape du Half Marathon des Sables de Fuerteventura aux Canaries. Dans ce décor de sable, de roche et d’océan, accompagné de ses deux guides, Alban Tessier craque physiquement dans la seconde étape. Jusqu’à quel point fallait-il tenter de repousser ses limites ? La frustration est une vieille compagne pour Alban.
" Quand le diagnostic a été posé à 16 ans, j’ai compris tout de suite, je l’ai accepté, mais je l’ai mis de côté" raconte Alban, "à l’époque, je voyais encore assez bien, j’effectuais ma scolarité en milieu ordinaire, je faisais du sport, je vivais le moment présent".
L’arrivée du handicap fut soudain. "Je me destinais à des études d’architecture, mais je ne parvenais plus à lire les supports qu’on me donnait, ni le tableau. Là, je l’ai pris en pleine face". Alban Tessier doit alors renoncer aux études qu’il avait débutées.
Le déclic vient en deux temps. À 24 ans, un oncle de son épouse, Morgana, parvient à le motiver pour participer à une course d’endurance en tandem. "Il s’est passé quelque chose ce jour-là" se souvient Alban.
Le handicap visuel n’est pas une fin en soi. Le champ des possibles est vaste.
Alban Tessier
Plus tard, alors qu’il est devenu enseignant en braille et en informatique à l’Institut des Hauts Thébaudières à Vertou (Loire-Atlantique), il se rapproche de l’un de ses collègues, lui aussi atteint de rétinite pigmentaire, et qui se prépare à participer au Paris-Dakar. "Il m’a permis de me dire que le handicap visuel n’est pas une fin en soi. Le champ des possibles est vaste".
Être autonome, pour être libre
Les possibles, il ira les explorer en effectuant la traversée du plus grand désert salé du monde : le Salar d’Uyuni à 4 000 mètres d’altitude en Bolivie. Féru de technologie, Alban est équipé d’une application GPS spécialement développée pour les personnes déficientes visuelles. L’expérience est très rude, il faut bivouaquer, marcher en tirant le chariot contenant la tente, les provisions, tout le nécessaire à cette marche de l’extrême.
"Cette expérience m’a profondément changé. J’ai accédé à une sensation de liberté par l’immensité, il n’y avait pas de repères, pas d’odeurs, pas de son hormis celui de mes pas. Cette liberté de se sentir seul au monde m’a invité à l’introspection pendant sept jours. Auparavant, je m’interdisais de ressentir les choses profondément et là, ça m’a déverrouillé".
Les images, qu’Alban a ramenées de ce voyage, attestent de cette sensation de vide et d’immensité et agissent dans le film comme une métaphore de l’isolement social qui guette celles et ceux qui perdent, ou ont perdu la vue. Dans le montage du documentaire, elles voisinent avec des séquences plus quotidiennes où, filmé dans les rues de Nantes, ou de Saint-Sébastien-sur-Loire où il réside, Alban navigue dans un flou discret. Il ne s’agit pas pour la réalisatrice d’illustrer la perception visuelle d’Alban, mais plutôt de figurer la place qu’il doit s’inventer dans le monde qui l’entoure et dans son quotidien.
Vie professionnelle, vie de famille, loisirs sportifs comme l’escalade, les exploits comme la traversée du désert salé n’auraient aucun sens sans la capacité à compenser la perte de la vision dans la vie de tous les jours.
"J’ai beaucoup plus de sensations aujourd’hui que quand je voyais. La malvoyance restreint l’espace. Le fait de percevoir différemment les volumes par l’ouïe, le toucher, l’attention à ce que renvoie le corps au contact du vent, de la chaleur, tout cela m’indique des éléments de distance, de volume, de vitesse, de déplacement de ce qui m’entoure. Je me sens davantage en harmonie avec mon environnement".
Qu’en sera-t-il demain ? Il n’y a aujourd’hui ni traitement ni chirurgie pour entraver l’évolution de la rétinite pigmentaire dont Alban est atteint. La recherche générique permettra peut-être de trouver une solution pour les générations futures. "La cécité peut ne pas arriver, ou au contraire survenir très rapidement. Mais ce que j’ai appris sur moi, c'est que j’ai un potentiel que je peux exploiter, mais que je n’évaluais pas".
► Un documentaire à découvrir ici en audiodescription
► Le documentaire dans sa version sous-titrée
"Aussi loin que mon regard se portera", un documentaire de Corinne Falhun à voir jeudi 27 avril à 23h40 sur France 3 Pays de la Loire.
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