Julia, plus connue sous le nom de Candy Love, entourée d'un groupe d'artistes de rue et de cirque, les Toto Black, anime depuis sa caravane rose la "Fête à Toto", une foire déjantée à l'univers eighties. Mais Julia approche de la trentaine et elle s'interroge sur son avenir.
La jeunesse, ça dure combien de temps ? L’âge adulte, fait-il bon ménage avec l’insouciance ? S’embourgeoiser, ça commence où ? Ces questions traversent Julia, alias Candy Love, et forment la trame du beau documentaire que lui consacre Gabrielle Culand.
Au pays de Candy comme dans la vraie vie de Julia, "pour sortir des moments difficiles, avoir des amis, c’est très utile" comme le fait remarquer dans un à-propos judicieux la chanson du générique du dessin animé éponyme des années 80. Julia/Candy a même mieux que des amis : une tribu.
Les Toto Black (contraction de "Tout au Black") se sont formés en 2012. Composée d’artistes de rue et de cirque, constructrices et constructeurs DIY hors pair, drôles y compris dans l’autodérision, la compagnie s’est emparée de l’univers forain en détournant allègrement ses codes, et en opérant un retour aux sources, quand les forains construisaient eux-mêmes leurs manèges.
La fête à Toto, une foire pas foireuse
La "Fête à Toto", foire déjantée à l’esthétique eighties rassemble une dizaine d’attractions et de baraques foraines aux noms fleuris : citons La Mailloche, "jeu de force pour baltringues" également connue comme "La Machine à Orgueil" ; Kayass, tir au lance-pierre sur cibles diverses (pêle-mêle : Derrick, l’amour, la drogue, Johnny Halliday) ; et bien sûr, Candy Love, caravane abrite un DJ set et un salon de beauté présentée comme suit sur le site de la compagnie :
"Vous êtes laid(e) et seul(e) ? Bienvenue, vous avez frappé à la bonne porte ! Candy, la toto bimbo stylée vous accueille et vous écoute. Princesse du rimel, déesse du star system, relooking express, manucure, paillettes, décolo, tatouage, bain de pieds et vacances à Hawaï. Détendez-vous, laissez-vous aller, racontez votre vie tout en vous faisant chouchouter."
Chez les Toto, la vie est une fête, et vice-versa. À son aise dans un milieu qu’elle connaît bien, la réalisatrice Gabrielle Culand pose en quelques plans le quotidien de la troupe : le travail ensemble, la route, les camions qu’on charge et décharge, le chapiteau, les nuits courtes et les matins difficiles. Des existences démontables, transportables, nomades. Des rires, beaucoup, la musique et les guirlandes lumineuses et le public ravi. Et puis le Covid qui met un coup de frein brutal à tout ça.
Pour rebondir à la sortie des confinements successifs, les Toto Black ont organisé un séminaire, avec les mêmes outils que les consultants RH utilisent pour souder un comité de direction : Gabrielle Culand les filme à tour de rôle, défilant devant le paperboard expliquant leurs projets, les obstacles qui se dressent, les solutions pour les éviter. Méthodes de travail en groupe empruntées au monde de l’entreprise, au service d’un projet aux valeurs résolument inverses : qu’importe, c’est la dynamique collective qu’il faut relancer et il faut vivre de son travail.
Julia, également peintre et graphiste sous le pseudo Juyalouisa, quant à elle s’interroge : l’activité reprend bien trop doucement depuis la pandémie. Et puis elle s’est séparée du père de son fils Marius, lui aussi membre des Toto. Artiste, cœur à prendre, mère : Julia aborde la trentaine avec la crainte de la solitude et sous la menace d’une précarité persistante. Parmi les attractions de la Fête à Toto, le salon de Candy Love génère peu de revenus. Mais s’éloigner du collectif protecteur ne se décide pas à la légère : pour elle comme pour sa copine Mathilde, alias Mathi Matos, les Toto sont une famille de substitution.
Devenir adulte au pays de Candy
Dans une séquence hautement nostalgique et pleine de tendresse, Gabrielle Culand s’attarde sur les visages de Julia et des Toto Black visionnant ensemble amusés et attendris les vidéos de leur jeunesse et de leurs débuts, avant l’arrivée des enfants. Pouvoir de l’archive sur les regards, rires et mélancolie rassemblés sur les canapés : dix années ont passé. On avait 20 ans, voilà qu’on en a trente et qu’on se demande ce qu’on veut devenir, ce qu’on va devenir.
La scène marque un point de bascule du film, qui verra doucement Candy s’effacer et Julia s’affirmer, en s’investissant à son compte dans de nouveaux projets en dehors des Toto. Cela passe par se délester, à l’occasion d’un déménagement, de caisses entières de bibelots chinés compulsivement dans les brocantes et qui constituent la décoration foisonnante de la caravane de Candy Love. Et aussi dérisoire que cela puisse paraître, c’est accueillir l’arrivée d’un chien errant trouvé dans la région de Toulouse, aussitôt adopté et baptisé Mickaël. Une famille enfin ? Assurément.
À plusieurs reprises dans "Candy Love et Toto Black", Julia commente ses peintures sous l’œil de la caméra de Gabrielle Culand : une autre façon de se raconter, et de se mettre en scène. La dernière toile, qu’elle achève de peindre sous nos yeux la montre, baluchon sur l’épaule, tenant Marius par la main, son petit chien Mickaël à ses pieds. Dans le décor, deux petits hérissons à chapeau de clown " parce que quand même, la fête ça fait partie de notre vie, on n’oublie pas". Mais une page s'est tournée, place à une vie plus tranquille, plus prévisible aussi. " Voilà, je suis adulte" lâche Julia dans une moue mi- soulagée, mi-résignée. Après un temps de réflexion, elle lâche le mot de la fin en forme de diagnostic : ce qui lui arrive, c’est vieillir.
Le constat étant posé, la fête peut continuer et c’est sous les guirlandes colorées du bal de la Fête à Toto que se termine le documentaire. Candy, les Toto Black et le public dansent au rythme de "Résiste" de France Gall dans un trip régressif à souhait, la nuit est belle, la vie aussi. Vieillir, vraiment ?
Candy Love & Toto Black, un documentaire de Gabrielle Culand produit par Élever la Voix Films avec la participation de France 3 Pays de la Loire et France Télévisions.
À voir jeudi 13 avril à 22h44 sur France 3 Pays de la Loire.
► À voir en replay sur france.tv dans notre collection La France en Vrai
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