ENQUÊTE : à Nantes, les étudiants de Supinfo dénoncent une arnaque

D'anciens étudiants du campus Nantais de l’école d’informatique Supinfo ont été prévenus fin août de la fermeture de leur école à la rentrée 2020. Beaucoup avaient avancé des frais d’inscription élevés et dénoncent une école "arnaque" aux conditions d’enseignement et de gestion opaques. 

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Paul (le prénom a été modifié), étudiant angevin d’origine, devait faire sa rentrée universitaire sur le campus de Supinfo à la rentrée. Une école qu’il avait repérée sur internet, dont la formation d’ingénieur en informatique lui paraissait parfaite. Sur le papier. Il a vite déchanté. Le 2 septembre dernier, il a reçu un mail lui annonçant que l’école avait fermé et qu’il ne pourrait pas faire sa rentrée sur le campus de Nantes.

"Je suis tombé des nues. Je venais de prendre un appartement. J’avais fait un prêt bancaire pour pouvoir assurer mon loyer et avancer les 6 350 euros de mon année à Supinfo", dit-il.

Paul est allé de déconvenues en déconvenues.

En juin, il s’inscrit à Supinfo. Il est convoqué à un entretien d’admission audio avec l’assistante du manager du campus de Nantes. Tout se déroule bien. Il est accepté et on lui demande rapidement de faire une avance de 250 euros pour bloquer sa pré-inscription. Suite à ce virement, on  lui demande avec insistance de rapidement verser le complément des 6 100 euros correspondant aux frais d’inscription de son année d’ici le 31 août. Ce qu’il fait, craignant de ne pas être pris.

Ce que Paul ne savait pas c’est qu’en juin, la société Educinvest, qui gère la vingtaine de campus de la marque Supinfo, et dont le siège est en Belgique, a été liquidée judiciairement. Au moment même où il s’est inscrit.  "J’étais en colère. A aucun moment dans mon parcours d’inscription on ne m’a mentionné les problèmes de l’école".

S’ensuivent pour ses parents et lui de nombreuses démarches administratives auprès du liquidateur judiciaire : mails, demandes de créance, contact avec l’assistance juridique et les banques.

Paul, malheureusement est loin d’être le seul à avoir connu des mésaventures avec Supinfo.

 

"Supinfo, Suparnaque"

A Nantes, le campus Supinfo existe depuis 2006.
Cet établissement privé d'enseignement supérieur en informatique propose un cursus en 5 ans et dispose d'une trentaine de campus dans le monde, dont plus d'une vingtaine en France. D'après son site, elle brasse plus de 5 000 étudiants. Sa force : son réseau d’entreprises qui permet à de nombreux étudiants de passer par l’alternance pour se former.

A Nantes, en cette rentrée 2020, ils devaient être 38 étudiants.

Supinfo aurait été rachetée en 1999 par Alick Mouriesse. D’après lui, il a présidé l’école jusqu’en 2017. Durant les 10 dernières années de sa présidence, l’école a connu de nombreux problèmes financiers, judiciaires. Elle a été très critiquée pour ses méthodes de gestion et d’enseignement.

Principaux griefs : frais d’inscription élevés non remboursés, manque de moyens, professeurs non payés. Le nombre de déçus s’est étoffé d’années en années. Des groupes d’étudiants et de familles s’estimant floués par Supinfo, n’ayant jamais récupéré leurs droits d’inscription avancés et dus ont fait du bruit sur les réseaux sociaux. L’école a commencé à défrayer la chronique et s’est vue affublée de divers surnoms : "Suparnaque", "Supinfaux", "Supintox"…

Un groupe a vu le jour sur Facebook et un hashtag #supinfaux a été lancé sur Twitter.Alick Mouriesse, lui-même, commence à faire l’objet de nombreuses critiques. Un article paru dans le journal Marianne va même jusqu’à le décrire comme un "flambeur de diplômes". 

Il apparaît aussi comme tel dans un reportage de nos confrères de France 2 dans Complément d’Enquête du 11 octobre 2018 "Ecoles : un business en or".Suite à la liquidation judiciaire de son ancienne société, Alick Mouriesse a accepté de nous répondre lors d’un entretien téléphonique enregistré et de revenir sur le déclin financier de son entreprise.

"En tant qu’ex-dirigeant, j’assume ma part de responsabilité. Nous avons fait des erreurs de stratégie et de management. Il faut savoir reconnaître ses erreurs". Parmi ces "erreurs", il cite un accord de franchise qu’il aurait signé pour des campus de villes de l’Ouest de la France, à Bordeaux et Toulouse. Une affaire qui aurait mal tourné et qui s’est retrouvée devant les tribunaux. Et de poursuivre, "suite à cette mésaventure, les attaques de concurrents durant les dix dernières années ont été si féroces, qu’elles ont généré un déclin qui a mené à la liquidation. Tout est lié".
 

"Ecole de la magouille"

Des explications et des mots qui ne suffisent pas à apaiser la colère de certains étudiants, et professeurs et de certaines familles qui n’ont jamais été payés ou remboursés.
Nous sommes entrés en contact avec plusieurs d’entre eux. Rares sont ceux qui ont accepté de témoigner, de peur de ne pas se voir délivrer leur diplôme en représailles…

Alexandre Vilain, lui, estime n’avoir plus rien à perdre. Fraîchement diplômé en 2020 de Supinfo, avant la liquidation, cet ancien élève du campus Supinfo Nantes, a aussi accusé le coup en apprenant la liquidation judiciaire de l’école.
 

Supinfo me doit 15 000 euros. Soit les trois années d’études que j’ai avancées dès mon inscription. J’ai ensuite été embauché en alternance. Mon entreprise a alors aussi payé ma scolarité. Supinfo a touché deux fois les sommes. Mais moi, contrairement à ce qui aurait dû être fait, je n’ai jamais été remboursé.

Alexandre Vilain, diplômé de Supinfo Nantes

Alexandre a pourtant été un élève modèle, très impliqué dans la vie de l’école. Sur le site internet du campus nantais, il fait encore partie des témoignages d’étudiants 100% satisfaits par le cursus Supinfo. Il a vite déchanté. Aujourd’hui il en sourit, mais avec un brin d’amertume.

Parmi les dysfonctionnements constatés par le Nantais, les journées portes ouvertes à laquelle on leur demandait de participer en échange de points bonus."Il y a 5 ans déjà, Supinfo commençait à avoir mauvaise réputation. Mais on était satisfaits par notre 1ère année on en riait entre nous, insouciants", précise le jeune développeur informatique.

D’après Alexandre, on demandait pourtant aux élèves de répéter un discours bien rôdé lorsque des parents ou des jeunes leur posaient des questions sur la situation de l’école.

"Nous avions un questionnaire type. Par exemple à la question probable : j’ai lu plein de choses sur l’école sur Twitter, il se passe quoi ? Il fallait répondre : on est au courant des différends avec ces personnes, sur le nombre de personnes qui ont cours ici cela en représente très peu. Ou encore : J’ai lu que vous ne payez pas vos profs ? Il fallait dire : Je revois mes profs d’une année sur l’autre, ils reviennent j’imagine donc qu’ils ne font pas cela bénévolement".

Alexandre regrette, malgré un début de cursus exemplaire et une bonne ambiance sur le campus, des cours un peu trop légers, au contenu approximatif. "A Supinfo il y avait une matière qui s’appelait "knowledge sharing", un système dans lequel les étudiants sont aussi les profs pour les étudiants en années inférieures et qui représentait 1/6 de l’année en terme de points. C’est énorme. Si les étudiants- profs étaient rigoureux, le cours pouvait être intéressant, si l’élève faisait cela juste pour gagner des points - et c’est ce que beaucoup faisaient - cela devenait n’importe quoi. J’avoue j’ai compris après coup pourquoi on avait une image d’école de la magouille".

Nous avons également essayé de contacter l'ancienne directrice du campus ou "campus manager" de Nantes, mais elle n’a pas répondu à nos sollicitations.

En revanche, un ancien directeur du campus de Nantes de 2010 à 2012, Arnaud Berthier nous a contacté et a accepté de nous livrer son ressenti quant à son expérience Supinfo. Ancien élève lui même diplômé de Supinfo Paris en 2009, Arnaud est entré dès sa sortie d'école dans le "réseau Supinfo", à des postes à responsabilité. "En tant que salarié du siège, j'ai vécu les heures de gloire de l'école. Sa force : un projet pédagogique extraordinaire, une formation innovante avec une réélle transmission du savoir qu'a su impulser Alick Mouriesse, au début". 

Lorsqu'un poste de directeur de campus a été créé à Nantes, l'angevin d'origine a saisi l'opportunité. Il a géré les étudiants nantais durant deux ans, avant de passer en 2013 directeur académique du groupe de Supinfo. Une belle promotion. A laquelle il a mis fin au bout de 9 mois, décu par le système. "Alick Mouriesse avait de bonnes idées mais sa gestion financière a été catastrophique. C'est un gâchis ce qui s'est passé", poursuit-il. Arnaud Berthier a aussi connu quelques retards de paiements. Des désillusions surtout.

"Pour moi le déclin a débuté en 2010, quand la direction a pris des décisions en fonction d'objectifs financiers au détriment du fond. Un exemple: vers 2004-2005 a été mis en place un dispositif très intéressant qui permettait à des étudiants de donner des cours après trois mois de formation officielle à Paris avec les grands comme Microsoft notamment. En échange, ils recevaient d'une bourse d'étude. Un système intelligent inspiré du modèle anglo-saxon. Mais trois ans plus tard, ce système a volé en éclat. Pour faire face aux problèmes de trésorerie, plus d'assistants formateurs de qualité. Les étudiants devaient donner des cours gratuitement en échange de crédits pour valider leurs années et la qualité de l'enseignement, forcément, a dégringolé", explique le nantais.

Aujourd'hui Arnaud a monté sa propre entreprise d'informatique sur Nantes, mais il garde des regrets. "Ce qui était aussi étrange, c'est que les directeurs de campus ne pilotaient pas du tout l'aspect financier. Ils n'avaient aucune visibilité ni sur les loyers, ni sur le business plan".

Parmi les autres critiques souvent associées à Supinfo, le non-paiement des professeurs. Hervé De La Prée a été professeur en CDI itinérant à Supinfo Nantes, Rennes, Troyes et Bordeaux durant 5 ans, de 2005 à 2010. Il a eu de nombreux retards de paiements. Et lassé d’attendre son salaire durant parfois plusieurs mois, a quitté Supinfo pour être embauché chez son concurrent nantais, l’école privée Epitech.

Une année on m’a dit qu’il y avait eu un retard de paiement car cela passait par un compte via Hong-Kong et que c’était le Nouvel An Chinois. J’avais dû attendre 3 mois avant d’être payé. J’en ai déduit qu’il devait y avoir de gros problèmes de trésorerie.

Hervé De La Prée, ancien professeur à Supinfo

Que devient Supinfo ?

Nantes n'est pas le seul campus Supinfo fermé. Sur la vingtaine de campus en France, seuls 5 ont été conservés.

Car la société gérante de Supinfo, Educinvest a trouvé repreneur suite à sa liquidation judiciaire. C’est le groupe Ionis, leader dans l’enseignement secondaire technologique privé, qui a repris la société. Il a fait le choix de ne conserver que les campus de Paris, Lille, Lyon, Tours et Caen.Quid alors des étudiants des campus fermés, dont Nantes fait partie ? 

Trois options ont été offertes aux étudiants par le repreneur.
  • Bifurquer sur une école d’informatique appartenant au groupe délivrant un diplôme similaire mais ne délivrant pas exactement les mêmes compétences. A Nantes, il a été proposé aux 38 étudiants de poursuivre leur scolarité à Epitech  L’école est plus chère mais Epitech s’est engagée à ne pas leur faire payer la différence des frais d’inscription.
  • Intégrer un des 5 campus conservés par le groupe à Paris, Lille, Lyon, Tours ou Caen.
  • Continuer le cursus Supinfo en campus virtuel en pouvant se connecter aux cours des campus conservés et en utilisant les locaux et matériels de l’école Epitech.
A Nantes, 36 étudiants sur 38 ont choisi une de ces 3 options. Sur ces 36, la moitié d’entre eux a choisi de s’inscrire à Epitech Nantes, l’autre moitié de poursuivre un cursus Supinfo même à distance. D’après Fabrice Bardèche, le vice-président du groupe Ionis, seuls deux étudiants ont démissionné.

Et il a tenu à nous préciser :  "Nous avons pris l’engagement de ne pas demander plus de frais de scolarité que ce qu’ils-elles s’attendaient à payer en tout état de cause pour poursuivre leurs études. S’ils-elles ont payé des années d’avance, nous les prendrons en compte alors que, évidemment, nous n’en recevons pas un Euro. En revanche, nous ne remboursons personne". C’est le propre d’une reprise d’entreprise à la barre du tribunal après un dépôt de bilan : toutes les dettes entrent dans le règlement judiciaire et sont à faire valoir auprès de l’administrateur judiciaire ou de l’ancienne direction.

Supinfo continue à la sauce Epitech. Ce qui permet au groupe Ionis de proposer un panel de formations en informatique plus large et de rester leader sur le marché de l’enseignement technologique privé.
 

Quel espoir pour les familles de recouvrir les sommes perdues ?

Alick Mouriesse, l’ancien président ne s’estime pas seul responsable du déclin financier de Supinfo, et il se veut rassurant quant à la procédure judiciaire en cours.

"Une liquidation judiciaire je le comprends est anxiogène (…) Ce n’est pas forcément une perte pour les gens en face. Vous n’êtes pas forcément au courant mais il y a des familles qui devaient de l’argent à Supinfo, qui n’ont jamais payé Supinfo car elles avaient la possibilité de payer une scolarité trois ans après la fin d’un cursus. En prenant en compte ces sommes, l’équilibre comptable devrait être favorable aux familles qui ont des créances.

Les sommes qui devaient être recouvrées seront recouvrées, celles qui devaient être payées seront payées.

Alick Mouriesse, ancien dirigeant de Supinfo

D'après une association de défense des consommateurs et des usagers, l'association Consommation, Logement et Cadre de vie (CLCV) de Loire Atlantique, si en théorie, les familles pourraient espérer récupérer leur argent, en pratique, cela semble souvent plus compliqué.

Ceux qui n’ont pas pu récupérer les frais de scolarité dus avant la liquidation judiciaire - et c’est la procédure - ont reçu le contact d’un mandataire judiciaire pour remplir une créance et la déclarer en ligne.

Mais l'association reste dubitative. "En général dans ce type de procédure les premières créances remboursées sont les salaires, les charges sociales, les impôts, les familles arrivent derrières elles ont souvent moins d’espoir d’être payées", explique Nicole Chupin de CLCV.

Paul, l’étudiant qui devait rentrer à Supinfo Nantes en septembre a choisi de poursuivre à Epitech. Il va se tourner vers de l’alternance et il est soulagé de reprendre le chemin des études. Mais quand il repense à l’annonce de la fermeture de Supinfo en septembre, il est amer: "Si rien ne m’avait été proposé en secours, si l’école n’avait pas été rachetée, j’aurais dû trouver un job alimentaire pour rembourser mon prêt et payer mon loyer. Et peut -être abandonner mon rêve de carrière dans l’informatique".

Depuis la parution de cet article, d'autres anciens étudiants originaires de la région Pays de la Loire, mais qui ont fréquenté d'autres campus français de Supinfo nous ont contacté pour nous faire part de leurs mésaventures avec cette école. Le cas de Lucas Billet, angevin d'origine. En 2015,  il a décidé de s'inscrire sur le campus Supinfo de La Réunion pour des raisons personnelles. Une fois le logement trouvé, l'avion payé et arrivé à bon port, il démarre les cours. Sa formation en première année sera de courte durée. Au bout d'un mois de" pré-rentrée", sa promotion apprend que l'école ferme. En colère, démuni face cette situation et à tous les frais qu'il avait dû engagés, il a écrit une lettre à Alick Mouriesse alors président de Supinfo. 

Lettre à la présidence de Supinfo de Lucas Billet


A l'époque Lucas Billet était resté sur place pour rentabiliser ses frais. Il avait dû travailler dans la restauration rapide pour renflouer ses comptes.
Il n'a reçu aucune réponse ni aucun retour suite à ce courrier. Après quelques mois sur l'île de La Réunion, il est rentré en métropole pour faire un master en alternance dans une autre école nantaise privée d'informatique, Ynov Campus. Il est retourné s'installer à La Réunion où il a créé sa propre entreprise de développement web et mobile qu'il co-dirige toujours aujourd'hui.
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