Une démission collective de plusieurs membres du conseil d'administration, une rupture avec de nombreux professionnels du secteur horticole, des relations qui se tendent avec la Métropole de Nantes sur fond d'opacité financière. La 12e édition des Floralies, en pleine tempête, s'achève ce week-end.
La différence ne saute pas forcément aux yeux du visiteur. Moins de fleurs, plus de bandes de gazon, constate Fabienne Padovani, adjointe au maire de Nantes et conseillère métropolitaine chargée des espaces verts : "Nous, les bandes de gazon, c'est ce qu'on met quand on veut combler un vide, sur un parterre de fleurs ou dans un parc".
Surtout, une des quatre halles est désormais largement consacrée à une simple exposition commerciale, alors qu'en 2014, l'espace était uniquement occupé par les stands et les installations fleuries. "Parce que les artisans, on les respecte" justifie Frédéric Fourrier, secrétaire général du Comité des Floralies. "Quelques fois, ils sont dans des endroits beaucoup plus difficiles sur le site. Alors là, on s'est dit, on va les mettre dans une halle, en plein milieu de la manifestation. Pour qu'ils puissent faire un peu leur petit commerce."
Tout a commencé par la démission du président, Jean-Luc Ripoche, suivie rapidement par 4 autres membres du conseil d'administration. Puis à l'automne par "4 ou 5 personnes, au sein du comité", concède Frédéric Fourrier, le secrétaire général des Floralies.
"Du jour au lendemain, le bureau s'est retrouvé en effectif restreint, à quelques mois de l’événement ", explique Pascal Renaud, un des démissionnaires, parti à contrecoeur. " J’ai intégré les Floralies en 2015, après l’édition 2014. Je suis issu d’une famille d’horticulteurs ayant participé à la création des Floralies, et j’étais très fier de pouvoir y participer." Comme d'autres, il a dû choisir entre soutenir le comité des Floralies, ou suivre son syndicat, la Fédération nationale des producteurs de l’horticulture et des pépinières.
Des poursuites contre l'ancien président
Ce qui a mis le feu aux poudres ? La décision des Floralies de poursuivre en justice son ancien président, Jean-Luc Ripoche, pour avoir expliqué les raisons de son départ au journal Presse Océan. "Je ne pouvais pas continuer comme ça. Je n’avais aucun pouvoir, je faisais la potiche, le coupeur de rubans. Tout était décidé par la direction." "Le but principal des Floralies, promouvoir les plantes et nos métiers, est galvaudé. C’est devenu une affaire financière." cite l'article en date du 07 juin 2018, dans une double page consacrée aux premières démissions. Un dossier qui vaut également au journal une plainte déposée par le comité des Floralies.
"Remettre en cause la gestion des Floralies, comme quoi les chiffres étaient cachés.... Des propos qui étaient inimaginables!" fulmine Frédéric Fourrier, le secrétaire général du comité.
Rupture avec les pépiniéristes de la Loire-Atlantique
Avec le départ de la fédération nationale des producteurs de l'horticulture et des pépinières, suivi notamment par un groupe de l’UNEP, l’union nationale des entreprises du paysage, c'est une grande majorité des professionnels du secteur en Loire-Atlantique qui s'est désengagée.
L'un des plus gros pépiniéristes du département nous expliquait en mars. "Chez nous, les dernières Floralies, on avait une dizaine de semi-remorques qui partaient vers la Beaujoire. On prenait toujours un stand de 2-300 m2. Cette année, on a simplement quelques clients qui viendront chercher des plantes pour les Floralies. On les fournit quand même. Mais ce sera de la location. On ne prête plus les végétaux "
Comme lui, de nombreux professionnels n'acceptent de parler que sous couvert d'anonymat, par crainte de "gâcher la fête." Ainsi, ce pépinériste nous confiait : "J’espère que cette édition sera une réussite car cela donne une bonne image de la profession".
Antoine Giraud, directeur d'une grosse agence de paysagistes, est l'un des rares à accepter d'être cité. N'étant pas membre du bureau des Floralies, il est tombé des nues, lorsqu'il a contacté le comité pour participer, comme à chaque édition, à la mise en place de l'événement. "À chaque édition, nous nous occupions notamment de la réalisation d'un grand stand pour une des villes participantes, sans facturer d’honoraires. Cela représente un gros travail, la recherche de plantes, la conception, l’entretien des plantes pendant deux semaines. La dernière fois, c'était Pornic."
Mais pour cette édition, le paysagiste se heurte à un silence radio. "Après de nombreuses relances, une source en interne a fini par nous dire que les Floralies ne souhaitaient pas voir participer les entreprises adhérentes à l’UNEP 44. Nous sommes de simples adhérents,et nous nous contentions pourtant d’apporter notre savoir-faire. "
Des propos que dément le secrétaire général du comité : "C'est un mensonge. On n'a jamais fermé aucune porte." Selon Frédéric Fourrier, l'absence des pépiniéristes a été compensée, par de nouveaux stands de pays étranger, le doublement du nombre de fleuristes....
Un conflit de personnes ?
Lui ne donnera pas son nom. Il s'agit d'un acteur important de la profession, mais au téléphone, il nous met en garde : "Vous dites ce que vous voulez, c’est pas moi qui l’ai dit ". Selon lui, cela ferait une bonne quinzaine d'années que le comité des Floralies connaît, comme toute association, des conflits en interne. Mais, précise-t-il, même s'il fait partie des démissionnaires : " On ne veut pas faire une mauvaise publicité aux Floralies, c’est une bonne vitrine. Ce sont essentiellement des problèmes de personnes."
Un conflit humain, c'est aussi l'analyse de Pascal Renaud, pépiniériste démissionnaire : "À chaque édition, le président des Floralies est celui d’une des associations présentes dans le conseil d'administration. Jean-Luc Ripoche, le président de la fédération nationale des producteurs de l'horticulture et des pépinières est arrivé avec une vision qui n’était pas partagée par le Comité des Floralies. (...) Sur des questions,notamment, de gestion, de trésorerie, il ne s’est pas senti soutenu dans ses décisions."
"300 000 entrées à 20 euros, ça fait quand même 6 millions d'euros"
Mais s'il y avait autre chose qu'un conflit de personnes ? Un de nos interlocuteurs anonymes, ex-membre du bureau nous confie au téléphone "Quand les Floralies ne nous donnent pas le nombre d’entrées, c’est un problème : sachant que 300 000 entrées à 20 euros, cela fait quand même 6 millions d’euros."
La transmission des comptes, une question que Fabienne Padovani, adjointe en charge des espaces verts, élude à sa manière "On connaît le nombre de places, on sait le budget, enfin, voilà. Les choses étaient dites quand même." La métropole nantaise a donc dû se contenter de ce "budget" obtenu par déduction, à partir d'éléments parcellaires, obtenus de haute lutte, comme l'admet Fabienne Padovani : "Ce n'est pas toujours évident, mais on finit, au bout d'un moment, par avoir les réponses à nos questions."
Malgré ces éléments, Frédéric Fourrier, secrétaire général du comité des Floralies, persiste à expliquer qu'"évidemment, la mairie, elle, a eu nos comptes. Tout le monde a nos comptes. On a des assemblées générales, qui ont leurs comptes-rendus". Mais quand on lui demande combien a rapporté l'édition des Floralies 2014, il botte en touche "Je ne peux pas vous le dire, parce qu'on fonctionne en quinquennal. Notre bilan a été présenté sur 5 ans."
Les sommes d'argent public en jeu sont pourtant conséquentes. Pour l'édition 2014, la métropole nantaise a consacré aux Floralies un budget de 591 000 euros, composé de 361 000 euros d'aides en nature, par la mise à disposition d'heures de travail du service espaces verts, et de 230 000 euros en cash.
Pour l'édition 2019, la subvention a baissé de 210 000 euros. 381 000 euros devront versés au comité des Floralies, et les aides en nature ont été réduites à 181 000 euros, soit l'équivalent de 2000 heures de travail des agents du service espaces verts.
2015, les Floralies font construire un immeuble de bureaux
Le déclic semble avoir été la construction, en 2015, par le comité des Floralies, d'un immeuble de bureaux, aujourd'hui proposés à la location, en centre-ville de Nantes, sur les bords de l'Erdre. Un projet baptisé "Les Etamines", construit sur la propriété achetée en 1985 par le comité des Floralies. En face de l'île de Versailles, l'association disposait déjà d'un hôtel particulier, mais également de dépendances, trois salons de réception, proposés à la location, avec ou sans service traiteur.
Des propos complétés par l'adjointe chargée des espaces verts, Fabienne Padovani : "C'est à dire qu'on l'a vu construire l'immeuble. Ils ont fait de la valorisation immobilière. Ils nous ont dit que cette opération devait leur garantir un fonds de roulement important pour une manifestation qui se prépare sur 5 ans. Après, la question, c'est comment l'opération apparaît dans leurs comptes. D'où une convention qui sera renouvelée tous les 5 ans, avec une demande de publication des comptes annuels."
Selon le comité des Floralies, la construction de cet immeuble de bureaux n'a, en tout cas, pas coûté un centime d'argent public, ni même utilisé la trésorerie de l'association. "Tout a été financé par un emprunt, de 1,2 millions d'euros, au taux d'1,97%. Le bâtiment a coûté 1,187 millions d'euros. Le remboursement de l'emprunt est de 92 000 euros par an. Et les loyers doivent rapporter 99 000 euros par an" explique Jean-Clair Bazin, l'expert comptable mandaté par le comité des Floralies.
La nouvelle convention n'a pas été signée
En tout cas, la nouvelle convention, votée le 29 mars lors du conseil métropolitain, remet à plat les règles du partenariat. Les Floralies recevront donc dorénavant, 40 000 euros de subvention annuelle, assortie d'une obligation de communication des comptes. "Comme toute association" conclut Pascal Bolo.
La délibération du conseil métropolitain, avec en page 12, le paragraphe concernant les Floralies
Au moment de l'ouverture des Floralies, la convention n'avait pas encore été signée, bloquant tout versement de subvention aux Floralies.Interrogée à ce sujet le 9 mars, Fabienne Padovani mettait en garde : "Je pense qu'ils vont la signer. Après, s'ils ne la signent pas, c'est leur affaire à eux, ils n'auront pas de finances publiques, c'est tout", avant d'ironiser "Et si c'est une manifestation qui se déroule sans le financement public, c'est fantastique, parce que c'est une très belle manifestation. Et si elle arrive à l'équilibre et si ils pensent qu'ils n'ont pas besoin d'être accompagnés par des subventions publiques, c'est formidable, tant mieux. Cela n'empêchera pas de travailler à ce qu'il y ait des beaux parterres de fleurs autour."
Quant à la proposition d'une subvention annuelle de 40 000 euros, elle ne lui convient pas : " Si on passe avec un système de subvention annuelle, ça veut dire que ça devient véritablement une subvention, annuellement. Et annuellement, il va falloir que les Floralies présentent des projets d'activités, etc... Mais ce n''est pas ça qu'on veut. On veut un partenariat, à la hauteur de la manifestation quinquennale. Comme ça a toujours été le cas jusqu'en 2014." Bref, un retour au système antérieur.
Une situation conflictuelle, chaque partie reprochant à l'autre de ne pas avoir rempli sa part du partenariat. Le comité des Floralies accuse la Métropole de ne pas l'avoir invité aux événements organisés en amont, comme le fleurissement exceptionnel, début mai, de la place Graslin.
De son côté, la Métropole reproche aux Floralies de ne pas avoir mis le logo sur les affiches, et de ne pas avoir indiqué clairement son partenariat. De fait, sur place, la mention ne figure clairement que sur la dernière page du programme, vendu pour un euro aux visiteurs.
Directeur des espaces verts, Jacques Soignon fait partie du comité des Floralies "à titre personnel", précise Fabienne Padovani, conseillère métropolitaine en charge du dossier. "Il ne vote plus."
Jusqu'à tout récemment, en effet, ce dernier siégeait encore au conseil d'administration des Floralies, en vertu d'une "tradition" installée depuis des décennies.
Sur ce point, Pascal Bolo, vice-président de Nantes Métropole nous indiquait en mars dernier "Jacques Soignon a souhaité clarifier sa situation. Car il instruit aussi les demandes de subvention et gère également la mise à disposition du personnel des espaces verts pour les Floralies. Il était à la fois juge et partie. On voulait que les choses soient claires : les Floralies ne font pas partie des espaces verts de la ville, et les espaces verts de la ville de Nantes ne font pas partie des Floralies."
Un changement qui manifestement, a du mal à passer....