Confrontés à un cas de tuberculose bovine dans leur troupeau, de nombreux éleveurs, en Dordogne et au Pays basque, sont contraints d'abattre leur troupeau. Ils dénoncent des décisions administratives démesurées et un protocole rigide.
Pour Serge Deschamps, éleveur près de Thiviers, en Dordogne, tout commence en mars 2024. Deux de ses quarante vaches réagissent positivement à un test de tuberculose bovine. La sentence est sans appel : toutes deux doivent être abattues pour des examens plus approfondis.
Les analyses confirment la maladie et selon le protocole en vigueur, l'agriculteur se voit contraint d'abattre le reste de son troupeau pour limiter la propagation. "Je voulais limiter les pertes en abattant uniquement les bêtes identifiées comme à risque. Mais eux disent que moins, il reste de vaches et moins, il y a de risques de contamination", regrette l'éleveur périgourdin.
"Un non-sens"
Après des mois de discussions, il obtient finalement un abattage partiel, mais 18 des 38 bêtes restantes sont tout de même sacrifiées. Parmi elles, une seule présentait des lésions suspectes. Le reste était sain. "C’est un non-sens", lâche-t-il avec amertume.
Et la situation va de mal en pis. En novembre, l'agriculteur apprend que la plus vieille de ses vaches présente des lésions "qui pourraient se propager au reste de son troupeau". Le couperet tombe : les 18 vaches restantes doivent être aussi soumises au même protocole. Cette fois-ci, l'éleveur s'y refuse et tente depuis de résister. "Ma mère a passé sa vie à garder ce troupeau, je ne peux pas sacrifier ce travail de longue haleine."
Au Pays basque, Florence Chapar, a repris la ferme familiale en 2001. Depuis deux mois, elle traverse un cauchemar similaire. Une de ses vaches a réagi positivement au test de tuberculose, déclenchant un protocole d’abattage partiel. L'éleveuse sait déjà que six bêtes devront partir et redoute un abattage total. "Chaque test est un coup dur, émotionnellement et financièrement. Pendant ce temps, les charges s’accumulent et les ventes sont bloquées. On est pris dans une spirale infernale", confie-t-elle, la voix tremblante.
Depuis quelques années, on a une épée de Damoclès au moment de la prophylaxie bovine. On appréhende tous de sortir positif de la tuberculose
Florence Chaparagricultrice dans le Pays basque
Le protocole en vigueur impose des tests réguliers et des abattages systématiques des bêtes positives. Si plusieurs cas positifs sont détectés, l’abattage total devient alors obligatoire. "Les vaches abattues, toutes ou quasi toutes, sortiront saines après l’abattage et cette viande-là, elle est consommée. Ça profite bien à quelqu’un", s’indigne l'agricultrice.
"Un trou noir"
Serge Deschamps, quant à lui, dénonce un protocole sanitaire rigide et parfois contradictoire. "Les vétérinaires parlent de lésions, mais les informations divergent entre les laboratoires. On me dit de ne pas m’inquiéter, puis on m’annonce que le risque est majeur." Malgré un élevage de 22 hectares, bio et isolé, il doit aussi se conformer à des mesures coûteuses pour limiter les risques de propagation : double clôture, abreuvoirs sécurisés... "On se sent discriminés. La tuberculose bovine ne se transmet plus à l’humain depuis les années 80. Pourtant, on impose des mesures strictes et des abattages massifs", fulmine l'éleveur.
Si les agriculteurs sont indemnisés pour pallier la perte des bêtes, l’impact humain reste colossal. "Quand on m’a annoncé ça, j’ai eu l’impression de perdre pied. C’est un trou noir, on ne sait plus pourquoi on se lève le matin", insiste Serge Deschamps, encore touché. L'éleveuse basque abonde : "Nos animaux font partie de notre quotidien. C’est toute une génération qui est anéantie et c'est dur de voir ses parents pleurer et de se sentir impuissant."
On se sent persécutés par l'administration.
Serges Deschampséleveur bovin en Dordogne
En réaction, les deux éleveurs s’organisent et alertent les pouvoirs publics. Réunions, courriers aux élus, recours à des avocats : ils tentent de faire entendre leur voix. "On ne peut pas continuer comme ça. Les paysans sont en colère, mais surtout démunis", souligne Florence Chapar. Ils appellent à un assouplissement du protocole d'abattage et une reconnaissance d'un préjudice moral.
De son côté, Florence Chapar plaide pour une alternative : la vaccination. "D’autres pays européens vaccinent leurs troupeaux. Pourquoi pas nous ? On préfère abattre pour préserver un statut indemne de tuberculose. Mais à quel prix ?"
Selon Serges Deschamps, 2 000 bêtes seraient abattues chaque année en Dordogne pour suspicion ou confirmation de tuberculose. La colère monte chez les agriculteurs : "Il est temps de faire bouger la fourmilière."