La mobilisation des agriculteurs continue en ce mois de décembre. Lors des actions, ces hommes et ces femmes se confient sur leurs difficultés financières et administratives. Il existe une association qui, depuis les années 90, est au chevet des agriculteurs : Solidarité Paysans. Nous sommes allés prendre le pouls du monde agricole auprès de cette association.
Christophe élève seul une quarantaine de vaches laitières sur soixante-dix hectares. Moderniser sa ferme lui impose des investissements coûteux, comme la construction d'un bâtiment resté inachevé ou l'acquisition d'un robot de traite en 2016.
Au bout d'un an de travail, en cherchant comment faire mieux, il ne reste plus rien, il reste zéro. Sans s'être prélevé de salaire, sans faire d'excès.
Christophe
Depuis deux ans, il est également confronté à une mortalité inhabituelle au sein de son cheptel, ce qui l’a plongé en grande difficulté. "On a fait intervenir des vétérinaires, des gens qui nous ont aidé à comprendre et au final, on dépense, on dépense, mais le revenu n'est plus là. D'un seul coup, on est en difficulté parce qu'on ne peut pas payer ses factures en temps et en heure. On est obligés de repousser. On se fait mal voir par des gens qu'on ne voudrait pas déstabiliser ou mettre dans la difficulté. Là, au bout d'un an de travail, en cherchant comment faire mieux, il ne reste plus rien, il reste zéro. Sans s'être prélevé de salaire, sans faire d'excès. C'est pour ça que je me fais aider".
Demander de l'aide
Surpassant un des plus gros tabous dans le milieu agricole, il n’a pas eu honte de demander de l’aide. Ce jour-là, il reçoit le binôme de Solidarité paysans qui l’accompagne depuis six mois. Christophe les reçoit dans sa véranda et une discussion à bâtons rompus s'engage. La santé des bêtes, les relations avec la banque, la production... tout y passe.
"J'ai beaucoup réfléchi, mais il faut savoir demander de l'aide. Ils vont me permettre de mieux me défendre. Parce que moi tout seul, je ne pèse rien, ce que je représente financièrement par rapport aux banques, c'est que dal", confie Christophe.
L'association fondée en 1992 existe depuis vingt ans en Limousin. Reconnue d’utilité publique, elle fait toujours intervenir deux personnes : un bénévole, souvent un retraité, pour l’expérience et un salarié, pour l’aide administrative et juridique.
Le premier, Bernard Royer, vient de Pageas à quelques kilomètres de là. Lui-même ancien éleveur laitier, il est plus à même de faire preuve d'empathie envers Christophe. "Par expérience, je connais la production aussi bien par les chiffres que par les contraintes et la rigueur qu'elle demande. C'est plus facile pour moi d'analyser et de faire un diagnostic".
Cette première analyse est complétée par Nicolas Lhéritier. C'est l'un des quatre salariés de l'association sur le Limousin. Pendant le rendez-vous, il a le nez dans ses notes. C'est le scribe de tout ce qui se dit. Il a beaucoup appris sur le tas et bénéficie, comme les bénévoles, de formations dispensées en interne. Son aide se concentre sur les aspects juridiques et administratifs.
Au centre de la discussion aujourd’hui : le plan de retour à l'équilibre pour sortir Christophe de l’impasse. Une procédure pas toujours bien vécue. "Personne ne veut avoir affaire avec un tribunal ou un mandataire judiciaire, mais on essaie de faire comprendre que c'est une protection, pas une punition. L'idée, c'est de donner une deuxième chance pour lever la pression des difficultés pendant un moment, souvent une année pour mieux repartir avec l'aide du mandataire judiciaire pour faire face à des dettes qui peuvent être assez anciennes", explique le salarié.
L'association écoute et accompagne et insiste sur ce dernier terme. Il ne s'agit pas de trouver les solutions pour l'agriculteur. C'est lui qui à force d'en parler va prendre du recul sur son activité.
"C'est leur métier. Nous faire voir des choses qu'on a l'impression de faire bien et au final ce sont ces choses-là qui coûtent ou qui ne rapportent rien. Quand on a travaillé pendant 25 ans de la même manière, c'est compliqué de changer. Il faut que ce soit une personne extérieure qui le dise", explique Christophe.
"L'agriculture, ça fait longtemps qu'elle est malade"
Issue à l'origine de plusieurs associations, notamment pilotées par la Confédération paysanne, des CMR (Chrétiens du monde rural) et du Modef, Solidarité Paysans ne réserve, pour autan, pas ses aides aux agriculteurs affiliés à la Conf.
Elle a ainsi soutenu 244 agriculteurs en Limousin en 2023, contre 157 en 2017.
Une augmentation régulière qui témoigne des difficultés chroniques du monde agricole.
"L'agriculture, ça fait longtemps qu'elle est malade. Là, on a une poussée de fièvre, mais la maladie est chronique depuis cinquante ans. Il n'y a qu'à voir le nombre de fermes qui ne sont pas reprises. Rien qu'en Haute-Vienne en six ans, on est passés de 3 600 à 3100 agriculteurs. On est au bout du bout d'un système. Il n'y a plus de place pour les gens qui n'arrivent pas à suivre le modèle dominant qui comprend l'agrandissement, l'intensification, l'endettement. Au moindre aléa de vie, à la moindre erreur, parce que l'agriculteur est humain, il fait parfois des petites erreurs de gestion ou des petites erreurs techniques. Eh bien, ça suffit pour mettre les gens dans la plus grande difficulté" constate Dominique Foucaut, administrateur de Solidarité Paysans Limousin.
L’accompagnement peut durer plusieurs années. Et aller malheureusement jusqu’à la liquidation. Une situation le plus souvent évitable, si l’alerte est donnée suffisamment tôt.
Cela ne sera a priori pas le cas pour Christophe. Après un petit répit, il devrait pouvoir continuer son activité et étoffer son troupeau. Il peut compter sur sa femme et son activité salariée qui fait bouillir la marmite, comme c'est le cas dans beaucoup d'exploitations.