L'association "Les Bureaux du Coeur" fête ses 5 ans d'existence. Créée par un dirigeant d'entreprise de Nantes, elle fédère aujourd'hui 250 entreprises qui, la nuit, offrent un toit dans leurs locaux à des sans-abri.
L'entreprise est située sur l'Ile de Nantes. On y entre par une porte sur le côté et l'on accède directement dans une vaste pièce équipée d'un coin cuisine avec une grande table où le personnel peut préparer ses repas ou prendre une pause collation. Ce jour-là, un pot de pâte chocolatée montre qu'une petite fringale a donné lieu à un goûter. Tout à côté, un coin salon, banquette, tapis, table basse.
Pour accéder à la zone travail, on doit monter un escalier qui donne sur deux plateaux où sont installés les bureaux de l'équipe de cette entreprise de communication. On voit immédiatement que la moyenne d'âge est jeune. Chacun, souris à la main, est occupé à ses affaires.
"J’y avais déjà réfléchi"
C'est dans un grand bureau vitré, donnant sur l'un des plateaux, que nous rencontrons Pierre-Yves Loaec, fondateur de l’agence de communication nantaise Nobilito, mais aussi fondateur de l'association "Les Bureaux du Cœur".
"Au retour d’un dîner chez des amis qui hébergeaient un migrant, raconte Pierre-Yves Loaec, mon épouse m’a dit : ce serait cool de faire ça chez nous ! Je n’étais pas prêt, mais peut-être qu’au bureau, c’était possible. J’y avais déjà réfléchi."
C'est ce jour-là qu'a commencé à prendre forme une idée toute simple : pourquoi laisser des sans-abri dehors, la nuit, alors que des milliers de bureaux, avec tout le confort, sont inoccupés ?
15 premiers volontaires
Nous sommes en 2018, Pierre-Yves est alors le tout nouveau président du Centre des Jeunes Dirigeants de Loire-Atlantique. Lors d'une assemblée du mouvement, il propose l'idée à ses collègues dirigeants.
"15 lèvent la main (sur 130 présents), se souvient-il. Pendant un an, on s’est posé plein de questions. Comment on fait avec les collaborateurs, les assurances ? On a vite résolu les questions techniques."
Mais comment se mettre en relation avec ceux si nombreux, qui dorment dans la rue ou dans leur voiture et faire une offre de toit temporaire ?
Un partenariat avec Saint-Benoit-Labre
La décision est prise d'établir un partenariat avec des associations d'insertion. Étonnamment, les offres de service ne débordent pas. Une seule est intéressée : l'association Saint-Benoit-Labre.
Mais les mois se suivent et rien n'avance. De la volonté de faire bouger les choses à la mise en œuvre d'une idée pourtant simple, il y a un pas à franchir : accueillir quelqu'un qui est à la rue et qu'on ne connait pas.
L'association Saint-Benoit-Labre propose alors d'organiser une rencontre avec ces personnes, victimes, souvent, de préjugés.
"Un sans-abri n’est pas forcément une personne alcoolisée avec un chien et des problèmes d’hygiène. On a découvert une autre réalité" avoue Pierre-Yves Loaec.
Une femme victime de violences conjugales
La rencontre porte ses fruits, des barrières tombent et une première personne sans domicile fixe est accueillie chaque nuit dans une entreprise de La Montagne, une commune à l'ouest de Nantes, chez ACM Ingénierie. Une femme victime de violences conjugales que ce toit inespéré, dans un bureau d'étude, permettra de se mettre à l'abri, le temps de trouver un vrai logement.
L’entreprise est un lieu où l’on accueille depuis tout temps. C’est hyper simple.
Pierre-Yves LoaecFondateur des Bureaux du Cœur
Jean-Yves Loaec accueillera pour sa part son premier "invité" en 2020. Bouba est carreleur, "le meilleur carreleur du monde !" vante Pierre-Yves. Il restera pendant le confinement et jusqu'à l'été et finira par trouver, lui aussi, un logement.
Quatre autres vont suivre et bénéficier de la petite pièce équipée d'un lit, au rez-de-chaussée de l'entreprise de communication. Pernand, c'est son prénom, est le dernier arrivé. Il a 44 ans. Il dispose aussi d'une petite kitchenette pour préparer ses repas, de toilettes, d'une douche, mais n'a pas accès au reste des locaux.
Après une période sombre de sa vie, Pernand a pu bénéficier d'une formation qui lui permettra, c'est son projet, de monter un jour sa micro-entreprise de peinture et de menuiserie. Mais il n'avait pas de toit.
"On sait qu’une personne sans domicile qui dort dans la rue ou dans sa voiture perd très vite son travail" constate Pierre-Yves.
Un contrat est signé
Un contrat de trois mois, renouvelables une fois, est signé entre l'association d'insertion, "Les Bureaux du Cœur" et l'invité. Car on dit "invité", insiste Pierre-Yves "Ils viennent chez nous sans qu’on leur demande aucune contrepartie !"
L'invité s'engage à quitter les lieux à l'embauche du personnel, à n'y revenir qu'à la débauche, à poursuivre son projet d'insertion et sa recherche de logement et à laisser les locaux en bon état tous les jours.
"Ce doit être une personne proche ou dans l’emploi, pas de problème d’addiction, d’hygiène, d’animal de compagnie", précise encore le fondateur des Bureaux du Cœur.
"J'ai de la chance, normalement, c'était la rue, souffle Pernand, très heureux d'avoir trouvé cette solution temporaire. Ils sont très gentils et quand ils font une fête, ils m'invitent."
Des entreprises en France et en Europe
Allan Lejeune conçoit des sites web chez Nobilito et, il donne aussi de son temps pour voir avec Pernand si tout se passe bien. C'est lui le référent Bureau du Cœur ici.
"Ça se passe bien, dit-il. Pernand a signé un CDD dans une entreprise avec promesse de CDI à suivre. Il devrait avoir bientôt un logement social."
Désormais présente dans 28 villes en France et 3 en Europe, l'association des Bureaux du Cœur a accueilli 500 personnes depuis sa création.
Selon le site Statista, on estime le nombre de sans-abri en France "au moins à 330 000. Ce dernier inclut les personnes sans abri, en habitation de fortune, en hébergement collectif, à l’hôtel, en centre d’accueil de demandeurs d’asile ou hébergés dans un logement associatif."
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