Si le monde avait des bras, nul doute qu'il enlacerait Gabriel Saglio qui depuis bientôt 20 ans chante sa richesse, sa beauté, ses paysages, ses couleurs, ses odeurs, ses hommes et ses femmes. Amoureux fou de l'Afrique, l'artiste nous offre un nouveau voyage musical en Lusophonie avec l'album Lua.
Nous l'avions rencontré en 2017, il venait de partager sur les réseaux sociaux le clip Un Bout de Terre entre les Doigts, histoire d'un migrant arrivant à Nantes. Militant, Gabriel Saglio l'est par nature, par héritage familial. Mais c'est avant tout un poète, un poète qui chante le monde avec ce qu'il a de beau et hélas, parfois, de moins beau.
En 2018, avec l'album Le Chant des rameurs, Gabriel Saglio nous ouvre les portes d'un univers musical métissé, subtil mélange de chanson française et de musique d'Afrique de l'Ouest.
Pour ce nouvel album, Gabriel poursuit son exploration du continent africain avec cette fois les rythmes, les sons et les voix de l'Afrique lusophone, de langue portugaise. D'où son titre, Lua, Lune en portugais.
Mais les textes, eux, sont toujours en français car Gabriel tient à ses racines. "Elles guident nos réflexes, nos sentiments, notre rapport au Monde à chaque instant...", nous confie-t-il. Tel un musicien voyageur, même bloqué comme nous tous et toutes par la pandémie, il nous entraine dans ses pas et dans ses mots. Interview...
Bonjour Gabriel, dans votre album précédent, Le Chant des Rameurs sorti en 2018, vous chantiez Un bout de terre entre les doigts. Ce nouvel opus s'ouvre sur le titre Ma Terre. C'est important pour vous de chanter la terre avec majuscule ou non ?
Gabriel. Voici longtemps que je voulais écrire sur le sujet de l'écologie. Mais je cherchais une façon d'aborder ce sujet qui soit originale. C'est un sujet dont tout le monde parle déjà beaucoup et je voulais apporter une façon de faire différente pour que ça puisse avoir un impact différent. J'ai donc utilisé cet effet de personnalisation pour que chaque auditeur parte dans un premier temps sur l'évidence d'une chanson d'amour pour une femme. Je laisse ensuite à chacun son propre rythme pour comprendre petit à petit que chaque phrase est à double sens...Qui d'une femme ou de la planète Terre ?
Les plus beaux levers de soleil peuvent toujours naître même après les plus sombres crépuscules
Vous chantez que nous sommes liés nous les Terriens pour le meilleur... mais aussi, parfois, pour le pire non ? Vous êtes optimiste de nature, confiant en l'être humain ?
Gabriel. J'avais envie de souligner cette évidence dans notre rapport à la Terre. Les plus beaux levers de soleil peuvent toujours naître même après les plus sombres crépuscules.
Oui, je suis un optimiste et la conclusion de cette chanson d'amour / écologiste est celle-ci : "Qu'importe le crépuscule, ta résilience danse. Et quand je vois l'aurore te caresser matin. Je sens que j'aurais tort... ne pas croire en l'Humain."
De cette Terre, de toutes ces terres, il y en a une que vous affectionnez particulièrement, c'est l'Afrique. Pourquoi ?
Gabriel. J'ai toujours aimé les musiques et les cultures de ce continent africain. Ça a été mon premier grand voyage hors Europe et je crois que j'en suis resté marqué à vie.
J'ai toujours beaucoup écouté les musiques africaines avec notamment des références absolues comme l'album "Moffou" de Salif Keita ou les concerts lives de Bonga.
Au risque d'oublier ses propres racines ?
Gabriel. Personne n'oublie jamais ses racines.
Il n'y a pas à y réfléchir, elles sont en nous.
Elles guident nos réflexes, nos sentiments, notre rapport au Monde à chaque instant.
Leur apporter de la curiosité ne pourra jamais les menacer.
Ce sont les arbres au branchage le plus fourni qui ont les racines les plus profondément ancrées.
Le voyage, c'est la richesse de se sentir perdu dans les codes d'une culture qu'on ne connait pas
Vous chantez la Terre mais aussi la Lune, Lua en Portugais, c'est le nom d'une chanson, le nom de l'album aussi. Pourquoi la Lune, pour s'éloigner des rives du quotidien ?
Gabriel. Le morceau "Lua" chante l'envie de voyage. Le voyage, c'est la richesse de se sentir perdu dans les codes d'une culture qu'on ne connait pas. De ne plus reconnaître des odeurs, une langue, etc. ; de prendre du recul avec la notion de "normal" et se rendre compte que tous les fonctionnements existent. Mais dans cette chanson qui souligne autant de différences, je m'adresse pourtant à la Lune pour lui dire "Mais dis-leur enfin, Que tous leurs voisins sont si beaux, Mais dis-leur enfin, Que tant de mêmes rêves montent là-haut..."
Ce nouvel album est comme le précédent aux couleurs de l'Afrique mais de l'Afrique lusophone cette fois après l'Afrique mandingue...
Gabriel. Je souhaitais approfondir ce créneau de chanson française métissée que j'avais développé dans "Le chant des rameurs" sorti en 2018.
À l'époque, les influences principales et les invités venaient principalement de l'Afrique de l'Ouest.
Je voulais donc garder cette ligne directrice tout en surprenant quand même mon public.
J'ai donc tourné la boussole légèrement. Nous avons échangé mille sons de différentes époques de ces pays que sont le Cap Vert, l'Angola, la Guinée Bissau… avec mes collègues co-compositeurs : Yoan Hernandez et Vincent Barrau.
Cet album, on l'a dit est, aux couleurs de l'Afrique, il est aussi nourri par la chanson française, via les textes en français bien sûr, via l'accordéon aussi...
Gabriel. Oui, la chanson en français est toujours ce que j'ai envie de faire.
C'est ma langue. Celle avec laquelle je suis capable du plus de finesse, de nuances, de double sens, etc.
Je ne maîtrise aucune autre langue suffisamment pour me lancer dans des textes avec légitimité, je trouve.
Quant à l'accordéon, il est encore présent sur certains morceaux grâce au talent de Florian Tatard qui fait partie de l'équipe live de six musiciens.
Il y a beaucoup d'invités sur cet album, Bonga, Sékouba Bambino, Lúcia de Carvalho, Mariama Kouyaté... Pouvez-vous nous les présenter ?
Gabriel. Bonga : LA légende de l'Angola. À 79 ans, il a plus de 40 albums à son actif, des duos avec Cesaria Evora, Bernard Lavilliers ou plus récemment Gaël Faye et Camila Jordana.
Lorsque je me suis lancé dans cet album, c'était le premier nom auquel j'avais pensé. Je suis fan de cette voix magnifique depuis l'âge de 15 ans.
Lucia de Carvalho : Une chanteuse métisse angolaise-brésilienne que j'ai découverte grâce à son film "Kuzola - le chant des racines". Elle a apporté une belle sensualité à ce duo "Dans tes bras". Depuis, nous nous entendons à merveille et elle devrait venir nous rejoindre sur scène de temps à autre.
Mariama Kouyaté : Chanteuse sénégalaise basée à Nantes. Nous l'avions contacté à la dernière minute pour qu'elle vienne renforcer nos chœurs. Finalement, nous l'avons laissé essayer quelques phrases de solo "pour voir"… Ce fut un des plus grands moments de studio de ma vie, je pense, notamment son solo sur le final de "Triste brève".
Raphaël d'Hervez : Bien connu dans la région pour ses collaborations avec Pégase, il a également créé tous les plus grands morceaux de la chanteuse angolaise Pongo. Nous avons fait appel à lui pour ses qualités de réalisateur au son électronique sur le morceau "Nuage".
Sekouba Bambino : Le plus grand chanteur de la Guinée Conakry. Nous avions fait appel à lui sur l'album précédent et nous avons créé de tels liens d'amitié et de collaboration scénique notamment avec notre "Bal des griots" que nous ne pouvions pas imaginer nous passer de sa voix d'or !
Cyril Atef : Nous l'avons invité à venir enregistrer toutes les batteries de l'album. Après 15 ans passés aux côtés de -M-, Cyril est LE batteur auquel nous avons pensé en premier pour porter tous ces mélanges de musique qu'il a pu porter aux côtés de Bernard Lavilliers, Salif Keita et de tant d'autres noms prestigieux !
On le sait, vous êtes un grand voyageur. Comment avez-vous vécu, comment vivez-vous encore ces temps de pandémies et de confinement planétaire ?
Gabriel. Il nous a fallu inventer une nouvelle façon de travailler pour s'adapter aux contraintes du confinement.
Nous avons échangé des fichiers chaque jour avec mes deux acolytes Yoan Hernandez et Vincent Barrau et, surtout, il a fallu renoncer aux voyages que nous avions imaginés à Lisbonne et au Cap Vert.
Cependant, je n'ai pas voulu changer la date de sortie d'album, car il est trop important pour tout le monde en ce moment d'avoir des nouveautés, de la création et surtout des valeurs comme la rencontre de l'autre sans méfiance et la richesse du voyage qui sont à l'opposé de la crise que nous traversons.
Enfin, je me suis amusé à tourner des clips dans un rayon de 40 minutes autour de chez moi. Sur le clip de "Lua", tout le monde m'a demandé si nous étions allés tourner cela sur les bords du fleuve Congo ou du fleuve Niger....quand bien même nous l'avons tourné à... Bouguenais ! C'était un beau clin d'œil sur la possibilité de voyager près de chez soi lorsqu'on stimule sa curiosité.
À quoi ressembleront les prochains mois de Gabriel Saglio ?
Gabriel. Nous espérons reprendre les concerts bientôt.
Le gouvernement - qui se targuait de l'importance de la laïcité il y a quelques mois à peine - ne peut laisser perdurer cette inégalité de traitement absurde entre lieux de culte et lieux de culture.
Je suis allé le rappeler avec quelques artistes à l'entrée de la messe ce dimanche passé à l'église St-Melaine de Rennes où nous avons été très bien accueillis y compris par le prêtre de la paroisse lui-même. Cette inégalité ne peut plus durer, elle est trop flagrante !
Merci Gabriel. Propos recueillis par Eric Guillaud le 15 mars 2021
Plus d'infos sur Gabriel Saglio ici