Pensé pour faciliter l'insertion des réfugiés, le Refugee Food Festival revient à Nantes pour une 4e édition. À cette occasion, plusieurs restaurateurs collaborent avec des personnes réfugiées pour proposer des mets qui mettent à l'honneur leur savoir-faire en cuisine. Roqaya Ismail Adam et Josselin Huitric forment l'un de ces duos culinaires.
Dans la chaleur étouffante des fourneaux, Roqaya Ismail Adam écosse patiemment des fèves vertes, le sourire aux lèvres.
"On fait une salade de carottes et une salade d'aubergines qui s'appelle al-aswad. Après des falafels, des keftas et un basboussa en dessert", énumère la Soudanaise de 27 ans dans un français qu'elle apprend depuis seulement deux ans.
À ses côtés, le chef Josselin Huitric écoute et suit ses recommandations ce lundi. C'est dans la cuisine de son restaurant Sain qu'ils ouvrent officieusement le Refugee Food Festival qui se déroulera du 17 au 24 juin à Nantes.
Concentrés sur leur tâche, ils préparent le repas du déjeuner presse du lendemain. "C'est la deuxième année que je le fais, et c'est un honneur de pouvoir participer. J'apprends toujours des techniques", raconte le chef en imbibant le basboussa - un gâteau de semoule - de sirop.
L'évènement se déroule pour la 4e année à Nantes, et vise à "valoriser les parcours et les talents des personnes exilées" pour faciliter leur intégration et leur insertion professionnelle dans le secteur de la restauration.
La cuisine rassemble
Roqaya participe, elle aussi, pour la deuxième fois. La jeune femme a rencontré Josselin il y a trois semaines pour élaborer le menu.
"On a parlé épices et ingrédients qui sont utilisés dans la cuisine soudanaise", précise-t-il. Reste à trouver des graines de nigelle, que le restaurateur n'a pas à portée de main sur ses étagères et qui viendront agrémenter la salade de carottes.
J'ai appris des choses, et ça m'a aidé pour apprendre le français.
Roqaya Ismail AdamRéfugiée soudanaise, participante du Refugee Food Festival
Devant le plan de travail en métal, l'échange est bienveillant, presque amical. "L'année dernière, je cuisinais avec Daoud, un autre réfugié soudanais. Il ne parlait pas français. On a fait comme on a pu et ça s'est très bien passé", se souvient Josselin.
La cuisine a cela de spécial qu'elle ne nécessite pas forcément de parler pour fédérer. C'est ce qui a convaincu Alice Thierry de Ville d'Avray d'organiser l'évènement à Londres, puis de le co-organiser avec Anne-Sophie Thomas à Nantes : "J'ai vu qu'il y avait un impact. Certaines personnes arrivaient timides, très réservées, et à la fin du festival, ils avaient un regain de confiance en eux."
Un repas franco-soudanais
Le lendemain, dans l'assiette, le goût est au rendez-vous. "Ça va les keftas ?", demande délicatement Roqaya en passant près des tables. Et oui, ça va, tout va. De l'aubergine fondante de la salade al-aswad dont les accents de cacahuètes évoquent les sauveurs d'un pad thaï, à la semoule sucrée du basboussa, tout est un régal.
Pour l'entrée, il faut manier le pain gourassa, qui ressemble à s'y méprendre à une crêpe, et le tremper dans les portions de salades : le foul, préparation à base de fève, l'al-aswad, et les carottes au yaourt.
Un falafel trône au milieu de ces délices, relevés par des épices. Pour se désaltérer, la bière artisanale concoctée par Moussa Diawara, réfugié guinéen, avec la brasserie Tête haute est à portée de main. Une "wheat ale" - comprendre une blanche - aux notes de poivre de Guinée et de bergamote.
Après ce début prometteur arrive le plat principal : trois keftas, des boulettes de bœuf et d'agneau ovales, confortablement baignées dans une sauce tomate à l'ail. En guise de féculent, du blé vert appelé "freekeh".
Le basboussa conclut en beauté ce festin coloré et goûtu. La semoule coagulée par un sirop sucrée est à la fois ferme et tendre. Les fraises et la crème amande pistache qui l'accompagnent apportent une fraîcheur et une teinte estivale qui subliment le dessert.
Nouveau regard sur l'exil
Le Refugee Food Festival travaille à mettre en avant les talents des réfugiés par la cuisine. "On commence à organiser l'évènement en janvier. On contacte des associations en précisant qu'on cherche des profils qui ont une appétence ou de l'expérience en cuisine", détaille Alice Thierry de Ville d'Avray.
L'objectif est de révéler les compétences des exilés qui, en partant de leur pays d'origine, abandonnent souvent un statut et une profession. "Beaucoup d'entre eux se tournent vers la cuisine en pensant que l'insertion sera plus rapide, explique la co-organisatrice, le festival aide à montrer la réalité de la profession en France".
Sortir 30 plats en une soirée quand on n'a jamais travaillé en conditions réelles, c'est quelque chose.
Alice Thierry de Ville d'AvrayCo-organisatrice du Refugee Food Festival à Nantes
Arrivée en août 2020 dans l'Hexagone, Roqaya a laissé derrière elle son diplôme d'infirmière. Originaire d'El Geneina, ville située à l'ouest du Soudan, la jeune femme et son mari se sont exilés pour fuir la guerre civile très active dans la dangereuse région du Darfour.
"Des membres de ma famille sont morts, confie Roqaya, mes parents y sont toujours. Nous n'avons pas eu de nouvelles depuis 25 jours parce qu'Internet est coupé." Difficile, ce contexte familial et migratoire ne résume néanmoins pas la vie de Roqaya.
"On a souvent une vision dramatique des personnes réfugiées", regrette Alice Thierry de Ville d'Avray, qui estime que le festival permet d'aller au-delà de ce point de vue pour montrer leurs talents, et moins les définir à l'aune de leur déracinement.
Barrière de la langue
Roqaya est désormais mère d'un petit garçon et enceinte d'un deuxième enfant. Même si elle aime la cuisine, que son père lui a appris petit à petit à partir de l'âge de 7 ans, elle envisage plutôt de devenir aide-soignante. Pour le moment, elle partage son temps entre les ménages et l'éducation de son fils.
La maîtrise du français reste encore un obstacle pour la jeune femme, dont la langue maternelle est l'arabe, notamment pour trouver un emploi : "J'ai fait un stage dans les cuisines d'une maison de retraite et j'aurais voulu rester, mais je n'ai pas pu à cause de la langue". Roqaya continue d'apprendre, et de pratiquer, notamment dans le cadre du RFF.
Les réfugiés peuvent travailler en France
Comme elle, sept autres réfugiés seront à l'œuvre lors du festival. Ils proposeront aux côtés de cinq restaurateurs et de deux artisans, au choix, des ateliers de cuisine nigériane, de la bière franco-guinéenne, un dîner franco-syrien, ou encore un feuilleté aux épices de l'Érythrée.
L'évènement est porté par l'association Refugee Food, qui développe différentes activités de sensibilisation et d'insertion professionnelle des personnes réfugiées.
Elle s'assure que les réfugiés qui participent au RFF soient déclarés et rémunérés, en général au forfait, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée d'usage (CDDU). Le festival vise d'ailleurs aussi à rappeler que les personnes bénéficiant du statut de réfugié en France peuvent être employés, comme tout citoyen.
Douze autres villes accueillent aussi le Refugee Food Festival en 2023. Le programme du Refugee Food Festival nantais est à trouver sur le site Internet de l'association.