Leur nombre est estimé à 120 000 dans notre pays. Des enfants adoptés en Corée, au Pérou, en Roumanie ou au Tchad, par des familles françaises. Pour la première fois, une étude historique, menée par l'université d'Angers, analyse les pratiques illicites dans l'adoption internationale.
C'est l'histoire de Julie Foulon, adoptée en Éthiopie en 2003 lorsqu'elle avait 6 ans. Dans un livre paru en 2020, elle raconte comment l'orphelinat qui a joué les intermédiaires l'a obligée à raconter que sa mère était morte. Celle d'Émilie Ducrot, enfant volée au Sri Lanka, qui après une dépression, a retrouvé la trace de ses parents génétiques puis fonde l'association Les Enfants du Ceylan. Celle de Carmen Maria Vega, qui en cherchant ses origines, a révélé un trafic d'enfants originaires du Guatemala.
Pour Yves Denéchère, professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Angers, spécialiste de l'enfance et des relations internationales, ces témoignages successifs racontés dans des livres ou dans des articles ont été le déclic qui l'ont poussé à devenir, depuis une quinzaine d'années, le spécialiste français des questions liées à l'adoption internationale.
Publié en 2011, son livre Des enfants venus de loin sur l'histoire de l'adoption internationale dans notre pays, racontait déjà de très nombreux abus, depuis les petites irrégularités administratives jusqu'aux crimes comme les enlèvements de mineurs, ou les pressions exercées sur les parents biologiques pour qu'ils abandonnent leurs enfants.
Des irrégularités massives
Pour cette étude, il s'est associé à Fabio Macedo, qui a, pendant un an, épluché des articles, des études, des thèses. Surtout, il a pu explorer des archives diplomatiques, le fonds du ministère de la justice, ou encore les archives de différents acteurs de l'adoption internationale en France. Une litanie de sources qui mettent en lumière le caractère massif de ces irrégularités qui touchent la plupart des pays et depuis fort longtemps, avec une multitude de causes. "Il est sûr que l'appât du gain joue un grand rôle pour des intermédiaires", explique Yves Denéchère. "Mais il y a aussi, pour certains adoptants, l'envie d'avoir un enfant à tout prix. Et parfois, on l'a vu, des organismes ou des individus sont motivés par l'envie de sauver des enfants, par pur humanitarisme. Peu importe si on a toutes les pièces, on a sauvé un enfant."
Si toutes les adoptions internationales ne sont pas forcément entachées de pratiques illicites, combien des 120 000 enfants adoptés à l'étranger depuis 1972, selon une estimation des chercheurs, en ont été victimes ?
Une nouvelle étude à mener cette année
Si l'étude publiée en février 2023 porte uniquement sur l'analyse des archives disponibles dans différentes institutions, une nouvelle étude à mener cette année s'intéressera cette fois aux parcours des enfants adoptés. Les deux chercheurs tenteront de savoir combien d'entre eux ont entamé des recherches sur leurs origines, et parmi ces derniers, combien ont découvert des irrégularités dans leurs dossiers.
En France, le nombre d'adoptions internationales a connu un pic au début des années 2000, avec environ 4000 adoptions chaque année, avant de baisser progressivement suite à la mise en place en 2005 de la convention de La Haye qui énonce notamment le principe de subsidiarité. Dans les Etats signataires, un enfant ne peut être adopté à l'international que lorsqu'on a épuisé toutes les possibilités de prise en charge dans son pays d'origine.
Une quête de vérité
En 2022, la France ne comptait plus que 232 arrivées d'enfants suite à des adoptions à l'international, alors que les collectifs et les associations se multiplient pour demander la vérité et la justice sur un passé souvent constitué d'arrachements et de mensonges.
Dans ce contexte, le gouvernement français lançait en novembre dernier une mission d'inspection sur les pratiques illicites dans l'adoption internationale, dont plusieurs générations d'anciens enfants venus d'ailleurs espèrent obtenir la reconnaissance d'un statut de victime, et éventuellement réparation.
Quant à l'université d'Angers, son expertise est reconnue sur ces questions, avec notamment un diplôme universitaire sur les questions d'adoption internationale, et un colloque les 20 et 21 juin 2023 qui portera sur "Un siècle d'adoption en France".