Coronavirus - Angers : la colère et l'épuisement des étudiants en médecine

Ils sont épuisés psychologiquement et physiquement mais ils ne peuvent pas le dire parce que dans le métier qu'ils ont choisi, parler de cela c'est avouer une faiblesse. Parler c'est aussi prendre le risque de représailles. Les étudiants en médecine d'Angers ont pourtant des choses à raconter.

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Ils et elles sont étudiants à la faculté de médecine d'Angers. Leur formation prévoit des temps d'externat pour leur permettre d'apprendre en binôme avec un médecin diplômé. Pour voir concrètement ce que le programme de leur année évoque et continuer d'engranger des connaissances.

On n'en est plus là.

Certains d'entre eux se sont portés volontaires pour la réserve sanitaire et font à ce titre, des temps de garde ou de renfort à l'hôpital. Des rôles d'externes habituels mais aussi du brancardage et des remplacements d'aides soignants. Ils sont fiers de participer comme ils disent à "l'effort national". Mais il y a aussi les examens de fin d'année. Mener ces deux combats de front est terriblement difficile.

"J'ai des gardes supplémentaires raconte Pierre*, ça passe sur le temps de révisions. Je vois des gens mourir pendant mon stage. Après, je rentre et je travaille mes cours de six à huit heures par jour."
 

A 200 dans un amphi, certains potentiellement porteurs du virus

Ils ont à peine plus de vingt ans, on leur dit que c'est bien ce qu'ils font, le doyen de la faculté leur a envoyé un message pour dire qu'il est fier que beaucoup se soient portés volontaires. Mais vient le temps des examens. Et la fierté affichée suscitera-t-elle de la bienveillance ? C'est la question que se posent ces étudiants.

Vous passerez vos examens de juin si possible en présentiel leur a-t-on dit. Alors que toutes les autres filières de la fac ont été informées que les contrôles se feraient à distance.

Ils vont donc devoir s'enfermer à 200 dans un amphi, certains potentiellement porteurs du virus. Ça les angoisse terriblement.

Parce qu'ils voient tous les jours des patients en grande difficulté dans le centre covid où ils sont affectés, qu'ils rentrent avec ces images en tête et qu'ils doivent quand même se mettre au travail et réviser, réviser.

"On est censé être autonome, explique Adeline*, avoir du recul mais certains aimeraient bien qu'on les aide, moi j'aimerais bien qu'on m'aide. Ce genre de crise, on ne l'a jamais vécu. La fac n'a pas prévu de suivi psychologique. On  a l'impression d'être délaissé par la faculté."

Avant, Adeline allait travailler ses cours à la bibliothèque universitaire. Mais la BU est fermée. Les livres ne sont plus disponibles ou alors sur internet mais ce n'est pas pareil.

 

"Dans ma tête, j'ai des gens qui vont potentiellement mourir"

Clara*, est elle aussi étudiante à la fac de médecine d'Angers. Le matin, elle travaille dans un centre covid et l'après-midi elle rentre chez elle pour réviser. Avec toute la famille confinée autour et les frères et sœurs qui font beaucoup de bruit.

"Dans ma tête, j'ai des gens qui vont potentiellement mourir dit celle qui s'est également portée volontaire pour la réserve sanitaire. En tant que futurs médecins, notre place n'est pas derrière nos livres mais à soigner."

Tous tiennent le même discours. Ils ne demandent pas qu'on leur valide automatiquement leur année, mais qu'on les aide à tenir dans de telles conditions. 

"Pas mal de camarades, raconte Pierre, n'ont pu faire leur stage, en chirurgie notamment, les opérations ayant été repoussées pour ouvrir des lits aux covid. Ils n'osent pas se proposer pour la réserve sanitaire, ils préfèrent bosser leurs examens. Mais ils ne sont pas bien dans leur tête, ils devraient être en train de soigner."

Beaucoup d'étudiants en médecine sont suivis par le service  universitaire de médecine de prévention. Ce sont des études terriblement exigeantes. "J'ai peur pour certains camarades de promo" avoue Pierre.

Moi je ne me vois pas m'enfermer dans un amphi en juin et tous se refiler le virus et ensuite aller voir nos parents - Clara, étudiante en médecine

Au delà du travail, de la charge psychologique que représente la réserve sanitaire, il y a le risque de contracter la maladie. "Si quelqu'un est contagieux, dit Pierre, prendra-t-il le risque de ne pas se présenter aux examens ? Non, il prendra un Doliprane." Et il prendra aussi le risque d'infecter d'autres étudiants. 

"On ne sait pas comment expliquer aux gens du centre covid qu'on veut arrêter témoigne Clara. Une année de médecine ça coûte cher."
 

"Qui arrive à se concentrer aujourd'hui ?"

Au fond, ils acceptent la dureté de ce qu'ils vivent dans leur volontariat au service de la nation. Mais ils voudraient juste qu'on leur permette de souffler un peu. Que leur investissement leur donne droit à de la bienveillance de la part de leurs enseignants, de leur doyen, de ceux qui les noteront. 

Le président parle de guerre et nous, on a le même programme - Clara

"Qui arrive à se concentrer aujourd'hui ? se révolte Clara. Les pontes qui nous dirigent n'arrivent même pas à retenir une liste de courses ! Si on va au rattrapage, ça veut dire que juillet et août on sera encore en confinement pour réviser !"
 

"Les étudiants sont extraordinaires, mais ils doivent aussi travailler leurs examens"

Contacté, Nicolas Lerolle, le doyen de la faculté de santé d'Angers confirme que les examens qui auraient dû avoir lieu fin avril ont été reportés au 25 juin et se feront en présentiel mais, a-t-il précisé, en respectant les précautions sanitaires prescrites par le ministère. "Je suis soignant, a-t-il ajouté, évidemment que les précautions sanitaires seront respectées."

De même, les examens  de première année pluripass qui donnent accès à diverses filières de santé seront maintenus mais uniquement sous forme écrite. Il était trop incertain de pouvoir réunir les jurys nécessaires à des oraux dans des conditions équitables pour tous les étudiants.

Nicolas Lerolle dit avoir bien conscience des difficultés que traversent les étudiants des années supérieures qui s'investissent dans la réserve sanitaire.

"On fait attention à ce que leur temps de mission ne dépasse pas le temps de stage habituel, assure-t-il. Il y a de très nombreuses missions. les étudiants sont extraordinaires, souligne le doyen, mais ils doivent aussi travailler leurs connaissances pour passer leurs examens."

Et on voit bien là le double discours qui met la pression aux étudiants qui se sont engagés dans la réserve sanitaire. 

"Bien évidemment on a conscience de la très grande difficulté actuelle. S'ils ont des sentiments de fatigue, d'épuisement, il faut qu'ils nous le signalent. Ils peuvent appeler la scolarité ou la plateforme de la réserve nationale"

Oui, sans doute. Sauf que le message passe mal semble-t-il auprès des étudiants qui se sentent pour certains abandonnés. Le confinement qu'ils subissent eux aussi y est sans doute pour quelque chose, au moins en partie.

"On va prendre en compte cette difficulté dans le jury d'examen" rassure-t-il. 
 

Le statut d'étudiant hospitalier

Le doyen de la faculté de santé a aussi annoncé que les étudiants qui se seront investis dans la réserve sanitaire passeront sous statut d'étudiants hospitaliers, d'ordinaire réservé aux quatrième année. Il pourront ainsi bénéficier d'une indemnisation, qui certes, n'est pas très élevée mais sera une forme de reconnaissance de leur investissement. L'accord a été passé avec l'Agence Régionale de Santé et le CHU d'Angers, nous a précisé Nicolas Lerolle.

Le discours tenu par le doyen de la faculté de santé se veut rassurant, empathique. "Mon objectif est qu'on ait 100 % des étudiants dans l'année supérieure conclut-il. Il faut qu'on s'aide."

En ces temps de crise, de pandémie, le grand public ne comprendrait pas effectivement qu'aucune bienvieillance ne soit accordée à des jeunes qui ont choisi de soigner tout en suivant un cursus exigeant.



* Les prénoms des étudiants ont été changé. 
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