ENTRETIEN. Ce 23 novembre sort en salles "Mauvaises filles", documentaire sur les jeunes femmes placées et maltraitées au Bon Pasteur

Placées au sein de la congrégation du Bon Pasteur à Angers, Le Mans ou encore Bourges, elles y ont subi brimades et mauvais traitements dans leur jeunesse. Le documentaire Mauvaises filles, qui s'appuie sur les témoignages de quatre ex-pensionnaires, sort dans les salles ce mercredi 23 novembre. Entretien avec sa réalisatrice, l'Angevine Émerance Dubas.

Édith, Fabienne, Michèle, Éveline ne se connaissent pas mais ont un point commun. Ces "mauvaises filles", élevées dans un milieu familial défaillant, ont été placées dans leur jeunesse dans des internats du Bon Pasteur à Angers, Le Mans, Bourges, Orléans, Le Puy-en-Velay ou encore Bourges, entre les années 1930 et 1970.

Au sein de cette congrégation religieuse, qui se donnait pour mission de "rééduquer les jeunes filles", ces dernières ont subi un véritable chemin de croix.

Une fois, j'ai eu la gale. (...) C'est la première fois que je prenais un bain. On se lavait les cheveux tous les six mois. Jamais de douche, jamais rien. Au lavabo, l'eau glacée l'hiver.

Édith

Placée dans sa jeunesse au Bon Pasteur à Bourges

Châtiments corporels, punitions collectives, abandon du prénom... Les religieuses en charge de l'éducation des jeunes filles ne leur épargnaient rien et agissaient en totale impunité.

Longtemps restées muettes, ces pensionnaires du Bon Pasteur se sont retrouvées à la faveur d'internet et des réseaux sociaux. Elles militent depuis quelques années pour que la congrégation religieuse et l'État reconnaissent leur préjudice.

Aujourd'hui femmes, elles décrivent un quotidien fait de brimades et de sévices dans le documentaire Mauvaises filles, réalisé par l'Angevine Émerance Dubas, qui sort en salles ce 23 novembre.

  • Comment est né ce documentaire ?

Il est né de ma rencontre avec l'historienne Véronique Blanchard. Elle rédigeait à l'époque sa thèse sur les "mauvaises filles", ces jeunes filles internées au sein des congrégations religieuses. J'y ai tout de suite vu un film, j'ai aussitôt fait tout un travail de recherches sur ces femmes.

  • Ce documentaire est l'aboutissement d'un travail de longue haleine. Qu'est-ce qui a été le plus laborieux dans la réalisation de ce projet ?

C'est en effet un projet qui a mis 7 ans à exister et dont l'écriture a débuté en janvier 2015. En s'occupant de la production du film, de trouver les financements, je me rendais compte qu'on laissait à l'époque peu d'espace public pour entendre les témoignages de ces femmes.

Puis le mouvement #metoo est arrivé [en 2017, ndlr]. Les quatre femmes que je fais apparaître dans Mauvaises filles avaient toujours assumé leur histoire avec leur entourage et ont alors senti que la société était prête à entendre leurs histoires.

  • Mettre ces victimes en confiance et les faire témoigner devant une caméra n'a sans doute pas été aisé...

C'est vrai. On a entretenu des relations pendant des années, on a établi une relation de grande proximité. J'ai mis par exemple deux ans à sortir une caméra devant Michèle, à la mettre à l'aise. J'ai aussi eu l'impression que certaines, au crépuscule de leur vie, n'avaient plus rien à perdre. Avec ce documentaire, on a vécu une expérience qui nous a toutes changées.

  • Pourriez-vous m'expliquer ce que représente ce lieu sombre et abandonné que la caméra parcourt régulièrement dans Mauvaises filles , accompagné de la voix d'Édith ?

Il s'agit du Bon Pasteur de Bourges, un site que j'ai eu du mal à trouver. J'ai mené mon enquête et j'ai pu pénétrer avec la caméra dans ce lieu fermé depuis les années 1990 et qui ne devrait pas tarder à être démoli. J'y suis entrée au bon moment ! C'est vraiment un lieu archétypal de ce représentaient ces internats religieux : un espace divisé en plusieurs sections et coupé de l'extérieur.

J'avais envie que ce lieu incarne le récit des femmes pour le spectateur. Que ce spectateur se fasse une idée concrète de l'enfermement, grâce à la voix d'Édith.

Ici, on n'a personne à prendre dans les bras, à aimer. Ça manque, dans une vie. On n'avait pas de moment à soi, aucune intimité, aucun endroit où on se retrouve toute seule, c'était pas possible.

Michèle

Placée dans sa jeunesse au Bon Pasteur au Puy-en-Velay

  • Avec Mauvaises filles, quelle réaction voudriez-vous susciter au sein du public ?

Ce que j'ai cherché à faire, c'est d'interroger les marges, et ces marges viennent interroger notre société. Ces "internats de rééducation de jeunes filles", comme ils s'intitulaient dès lors, étaient un système organisé par l'État qui plaçait les jeunes filles dans ces congrégations.

Les jeunes hommes placés n'avaient pas le droit au même sort, c'est dire la considération des femmes qu'on avait à l'époque. Tout le monde était au courant ce ce système, c'était pensé et organisé.

►Mauvaises filles, d'Émerance Dubas, en salles le 23 novembre 2022.

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