La crise immobilière plonge les Départements dans une incertitude financière qui les contraint à réaliser des économies sans espoir de trouver de nouvelles recettes. Les droits notariés que perçoivent ces collectivités sont en chute libre depuis l'automne 2023 tandis que les dépenses sociales et frais de fonctionnement sont à la hausse. Exemples dans l'ouest de la France, en Maine-et-Loire, Sarthe et Loire-Atlantique.
L’an dernier, à la même époque, les financiers des Départements étaient un peu comme le Don Salluste de Gérard Oury, plongeant leurs mains dans des plateaux de pièces d’or. Deux années de dynamisme immobilier avaient permis à ces collectivités de mettre un peu (beaucoup ?) de côté.
Car les départements sont en partie financés par une part des droits de mutation (frais notariés). Quand le marché immobilier est actif, que les biens changent de propriétaires, le volume des droits de mutations à titre onéreux (DMTO) est important et c’est tout bénéfice pour les collectivités qui en sont les destinataires.
Mais Don Salluste vit depuis l’automne 2023 un sérieux revers.
Alerte de la Cour des Comptes
L’augmentation du coût des crédits immobiliers et la hausse du prix des matériaux ont fait chuter le nombre de transactions. Et donc le volume des DMTO.
"La situation financière des départements s’est dégradée. Les recettes de fonctionnement ont baissé en raison de la chute des droits de mutation et de l’atonie de la TVA", constate la Cour des Comptes dans son rapport de juillet 2024.
Philippe Chalopin, vice-président divers droite du conseil départemental du Maine-et-Loire, a vu les choses se dégrader à partir de l’automne 2023. Si le premier semestre de cette année-là a été d’un bon niveau pour les rentrées financières dues aux droits de mutation, les mois suivants ont changé de couleur jusqu’à virer au rouge.
"Le dernier trimestre (2023) a été catastrophique" note l’élu.
Et 2024 a confirmé la chute :
"Nous enregistrons une baisse de 18 % sur les six premiers mois de l’année (par rapport au premier semestre 2023), annonce Philippe Chalopin. L’année dernière, au 30 juin, nous avons encaissé 57 millions d’euros, à ce jour (juillet 2024), c’est 47 millions."
"Je suis très inquiet"
Dans un département comme le Maine-et-Loire, les droits de mutation à titre onéreux représentent 18 % des rentrées financières. Quand le marché immobilier s’enrhume, les Départements toussent.
"Je suis très inquiet, avoue Philippe Chalopin. Il y a deux ans, on avait 157 millions d’euros (de DMTO). L’année dernière, nous sommes tombés à 119 millions et cette année, nous risquons d’être à 100 millions ! »
Et pas question, comme le font certaines communes, de compenser les pertes en augmentant les impôts locaux, les Départements n’en lèvent plus.
Par le passé, le Maine-et-Loire avait agi sur la taxe sur le foncier bâti pour se refaire d’une mauvaise passe financière, aujourd’hui, ce n’est plus possible. Depuis 2021, cette taxe n’est désormais plus captée par les Départements, mais par les communes. En compensation, les Départements touchent une part de la TVA. Une taxe hautement liée à la conjoncture économique et, en période de baisse de la consommation, cette manne diminue proportionnellement.
Quant à l’enveloppe que l’Etat octroie à chaque département sous forme de dotation globale de fonctionnement, elle est stable et non indexée sur l'inflation. Pas d’espoir à nourrir de ce côté-là non plus.
Des réserves qui fondent à vue d'œil
Voilà donc les Départements contraints d'avoir à nouveau recours à l'emprunt et à piocher dans leurs réserves accumulées ces dernières années. Mais elles ont leurs limites.
"On a engrangé quelques réserves sur les droits de mutation, précise Philippe Chalopin. En 2023, on a accumulé 25 millions de réserves. Sur ces 25 millions d’euros, on a déjà utilisé plus de 10 millions. On risque de ne plus avoir de réserves de DMTO pour alimenter le budget 2025."
Pour le patron des finances du Maine-et-Loire, les conséquences de la crise immobilière ne sont pas du même niveau d’un département à l’autre. Et de regarder vers son voisin de Loire-Atlantique jugé plus "riche".
Un effondrement des recettes en Loire-Atlantique
Ici aussi pourtant, on s’inquiète de la situation.
Le Conseil départemental de Loire-Atlantique a même été contraint de reporter le vote de son budget primitif 2024 pour peaufiner son bouclage.
"La chute soudaine et brutale des recettes soumises à la conjoncture économique impliquait de revoir la construction du budget primitif 2024" indiquait la collectivité en mars 2024 qui évoquait alors "un effondrement des recettes" tout en faisant face à une augmentation des dépenses sociales, principale poste de dépense des Départements.
"Cette chute des recettes est une crise sans précédent dans l’histoire du Département avec une perte de 86 millions d'euros des droits de mutation sur le seul exercice 2023, soit une chute de 21,35%. Et les prévisions pour 2024 ne sont pas réjouissantes", annonçait-on dans la collectivité de Loire-Atlantique qui a eu recours à l’emprunt et dû trouver 60 millions d’euros d’économies.
"Les enfants en danger, il faut bien qu’on les accompagne !"
Faire des économies. L’injonction qui terrifie tous les services. Pas simple quand le "coefficient de rigidité" dépasse les 80 %. Ce qu’on appelle coefficient de rigidité, ce sont toutes les dépenses incompressibles. Notamment le social dans les Départements.
"Les enfants en danger, il faut bien qu’on les accompagne !, souligne le vice-président chargé des finances du Maine-et-Loire. Il faut aussi accompagner les EHPAD ! Les collèges, on ne peut pas faire l’impasse !"
Des rentrées financières qui baissent, mais aussi des dépenses qui augmentent. A commencer par l’aide à l’enfance en danger qui nécessite de plus en plus de moyens. Les charges salariales qui ont aussi progressé avec l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires.
L'idée d'un nouvel impôt départemental
On se tourne vers l’Etat, on aimerait bien qu’il prenne en charge la totalité du financement du RSA (il n’en finance qu’une partie actuellement). Certains élus rêvent de pouvoir lever un impôt spécial "solidarité". Une mesure loin d'être populaire.
"On est dans un cercle infernal inquiétant", prévient Philippe Chalopin.
Si on avait notre DMTO qui repartait, on serait nettement mieux.
Philippe ChalopinVice-président du Conseil départemental du Maine-et-Loire en charge des finances
Et comme si la situation n’était pas suffisamment angoissante, la dissolution de l’Assemblée Nationale et les tergiversations pour former un nouveau gouvernement contribuent à inquiéter les marchés et à maintenir celui de l’immobilier dans son apathie.
"On craint que l'Etat ne fasse porter sur d'autres le caractère dispendieux de sa gestion depuis plusieurs années" ajoute Dominique Le Méner, Président Les Républicains du Conseil départemental de la Sarthe, collectivité qui a perdu 10 millions de rentrées financières en un an et qui s'inquiète des volontés d'économie de l'Etat, Sera-t-il tenté de baisser les dotations qu'il concède aux départements ?
Là aussi, ce qui a été mis de côté les années précédentes va vite s'assécher. "On espère une reprise de l'immobilier, mais il faudra qu'elle soit conséquente", ajoute Dominique Le Méner.
"Le prix du mètre carré dans la Sarthe est un des moins élevés de France" tient-il à préciser.
Des lignes de dépenses plus en danger que d'autres
Mais alors, sur quel levier agir ? "On a demandé aux services de revoir leurs projections de dépenses au plus serré", avoue Philippe Chalopin.
Et parmi les actions qu’on pourrait dire "non prioritaires" des Départements, il y a le sport, la culture et l’environnement.
On peut donc en déduire que ces trois secteurs vont passer de prochains exercices budgétaires difficiles.