Tati et le film sans fin : plus qu'une biographie, un hommage en bande dessinée à un monument du cinéma

Sa silhouette est aussi reconnaissable que celle de Charlot, Monsieur Hulot, pour vous servir, personnage indissociable de son créateur, Jacques Tatischeff, dit Jacques Tati, réalisateur, scénariste, acteur, clown, mime. Le Brestois Arnaud Le Gouëfflec et l'Angevin Olivier Supiot viennent de lui tirer le portrait dans une biographie dessinée aussi poétique et délicieuse que son oeuvre. Rencontre...

Il rêvait de devenir clown, il deviendra l'une des figures majeures du cinéma français en réalisant des films comme Jour de fête, Mon Oncle, Playtime, Trafic ou encore Parade.

Il est bien évidemment le créateur de Monsieur Hulot, personnage emblématique reconnaissable entre tous avec sa silhouette filiforme, cette élégance so british et une démarche en déséquilibre permanent, un Monsieur Hulot qui viendra passer ses vacances dans notre région, sur la plage de Saint-Marc-sur-Mer où trône aujourd'hui encore une statue à son effigie.

Jacques Tati ne rentrait pas dans le cadre et pas seulement à cause de sa grande taille. Non, l'homme avait du caractère, savait ce qu'il voulait, bref refusait de rentrer dans le moule. Pas banal pour un fils d'encadreur !

Et l'homme a inspiré et inspire aujourd'hui encore nombre de créatifs. Preuve en est cet album paru chez Glénat et signé par le scénariste Arnaud Le Gouëfflec et le dessinateur Olivier Supiot, une biographie de Jacques Tati, à  l'image du personnage, un brin décalée et poétique. Interview...

Pourquoi Tati ? Qu'est-ce qui vous a plu chez l'homme au point d'en faire une bande dessinée ?

Arnaud Le Gouëfflec. C'est un personnage énigmatique, à la fois familier et mystérieux. Jean-Claude Carrière disait que le meilleur moyen de connaître un sujet, c'était d'écrire un livre dessus. C'est donc avec l'envie de comprendre, de mieux connaître, et plus profondément avec le désir de passer du temps aux côtés de Tati que nous nous sommes plongés dans ce travail.

Olivier Supiot. Forcément, Jacques Tati est indissociable de son cinéma. Il a une place à part dans l'histoire du 7e art, une œuvre inclassable et si singulière faite de poésie, d'humour et aussi d'une certaine forme de critique sur une société qui change. Au point de départ, Franck Marguin, co-éditeur de la collection 9 ½ chez Glénat, m'a demandé lors d'une conversation si il y avait un réalisateur qui me touchait en particulier. Deux noms me sont immédiatement venus à l'esprit : Federico Fellini et Jacques Tati. Vous connaissez la suite.

Quel souvenir aviez-vous de son oeuvre avant de vous pencher sur sa vie?

O. Supiot. J'avais vu Jour de Fête, Les vacances de Mr Hulot et Mon Oncle et je partageais avec mon papa une affection particulière pour le magnifique personnage qu'est Monsieur Hulot !

A. Le Gouëfflec. Des bribes des Vacances de Monsieur Hulot, la maison des Arpel dans Mon Oncle, avec ses yeux-fenêtres, le facteur de Jour de fête, et les pas qui claquent dans les couloirs de Playtime. Et pourtant, je crois n'avoir vu, avant de préparer cet album, que Les Vacances de Mr Hulot en entier. Le reste fait partie de l'imaginaire collectif, ce sont des images puissantes au point de donner l'impression d'avoir toujours été là.

Les vacances de Mr Hulot : pour moi, c'est un film hors du temps et tellement contemporain. Il est comme une carte postale des jours heureux envoyée aux incohérences de notre monde moderne.

Olivier Supiot

Y a-t-il un film de Tati qui vous a particulièrement marqué et pourquoi ?

A. Le Gouëfflec. Je reste marqué par Les Vacances de Monsieur Hulot, et je sais qu'Olivier aussi. C'est une parenthèse enchantée. Il y a une forme d'apesanteur dans ce film. Une magie énigmatique liée à ce mélange de sable, de ciel bleu, de soleil, à ces feux d'artifice, à cette débauche de couleurs qui n'est que suggérée, puisque tout est en noir et blanc. Ce qui relève de la magie.

O. Supiot. Les vacances de Mr Hulot sans hésiter. Pour moi, c'est un film hors du temps et tellement contemporain. Il est comme une carte postale des jours heureux envoyée aux incohérences de notre monde moderne.

Vous avez visiblement opté pour une approche non frontale plutôt à son image, un brin décalée, poétique, surréaliste, conceptuelle et très humaine... C'était une évidence pour vous ?

A. Le Gouëfflec. Absolument. C'est même la seule manière de procéder qui me semble évidente :) C'est de toute façon induit par sa propre poésie. 

O. Supiot. Pour Cela, un grand merci au scénario d'Arnaud Le Gouëfflec, son écriture et ses choix scénaristiques ont été une vraie invitation au plaisir du dessin. Quand je lisais son découpage écrit, je voyais des images. L'univers de Tati est protéiforme.

Avec un mise en image très joyeuse qui reprend un peu la dimension visuelle et sonore du cinéma de Tati...

O. Supiot. Le découpage précis d'Arnaud était aussi très ouvert. Il permettait de prendre des libertés tout en respectant l’œuvre originale. Le cinéma de Tati est bondissant, changeant, musical. Les sons sont sources d'accidents et de ressorts comiques comme des grains de sable qui viennent troubler des rouages trop bien huilés.

A. Le Gouëfflec. Olivier réussit le tour de force d'évoquer Tati sans reproduire ce qui a déjà été fait sur lui, en trouvant une manière bien à lui de le dessiner, et de dessiner sa poésie. 

Il y a aussi beaucoup d'humour. Notamment ce savoureux passage, la rencontre entre Charles de Gaulle et Tati, de Gaulle le prenant pour l'oncle du collaborateur qui le présente... L'humour est indissociable du personnage ?

O. Supiot. Un quiproquo très "Tatiesque" .Jacques Tati est de l'école du music-hall et du slapstick. Il admirait Buster Keaton, Harold Lloyd notamment. Il pouvait peaufiner un gag pendant des heures, l'humour est omniprésent dans son cinéma avec une poésie qui n'appartient qu'à lui.

A. Le Gouëfflec. Certainement. Quand on lit ses écrits, on tombe tout le temps sur des traits d'esprits, des fulgurances comiques et philosophiques. Il prenait le comique très au sérieux : c'était pour lui le comble de la logique. Il étudie le gag comme un entomologiste. C'est un humour très subtil, qui ne se contente parfois pas de susciter uniquement le rire, mais aussi la rêverie, la libre association d'idées.

On sent Olivier que vous avez pris un immense plaisir à dessiner cette scène, comme l'ensemble du livre d'ailleurs... Vous confirmez ?

O. Supiot. Il y a eu énormément de plaisir à dessiner cet album et surtout Mr Hulot qui pour moi est un des plus beaux personnages de l'histoire du Cinéma.

Est-ce qu'il a été toujours facile d'ailleurs de mettre cet univers en images et plus précisément de maintenir une frontière entre le réalisateur et l'acteur, entre Tati et son alter ego Hulot ?

O. Supiot. Au début de l'album, ce fut très difficile de s'approprier les différentes facettes de Jacques Tati (acteur, homme, personnages). D’abord parce qu'il y a eu des dessinateurs bien avant moi qui l'ont "croqué" avec talent, Pierre Etaix, Cabu, Chomet, David Merveille, Rabaté, pour ne citer qu'eux. Ensuite parce qu'il a fallu se détacher d'une forme de pression pour trouver son incarnation à travers mon interprétation. Je me suis vite aperçu qu'on ne peut pas dessiner ses personnages sans penser au corps et à son déplacement dans l'espace. Mr Hulot et François le facteur ne bougent pas de la même manière même s'ils sont comme des funambules entre danse et cascade.

On dit parfois, à propos de certaines BD, qu'elles sont très cinématographiques. Ne pourrait-on pas dire ici, du cinéma de Tati, qu'il a quelque chose de très BD finalement ?

A. Le Gouëfflec. Oui, vous avez raison. Il y a un sens du gag, du rebond, de l'onomatopée, une élasticité des personnages, un graphisme. Tati était issu d'une famille d'encadreurs, et cette question du cadre est commune au cinéma et à la BD.    

O. Supiot. Les œuvres de Tati sont résolument cinématographiques et pensées comme cela. Jacques Tati découpait des gags dessinés dans les magazines, il aimait les slapsticks. Il a une dimension intemporelle et universelle. Ce n'est pas pour rien que beaucoup de dessinateurs de BD prennent du plaisir à le dessiner.

Est-ce possible selon vous d’adapter un film de Tati en BD comme l’a fait Sylvain Chomet en dessin animé d’un scénario inédit du cinéaste ?

O. Supiot. L'illusionniste de Chomet venait d'un scénario inédit de Jacques Tati. Les films de Jacques Tati sont des monuments du cinéma, Il faut les savourer sur grand écran, là est la magie du cinéma.

A. Le Gouëfflec. En ce qui me concerne, ça me paraît insurmontable, mais certains sauront peut-être le faire. Il faudrait trouver un moyen pour ne pas paraphraser le film, modifier le point de vue, la chronologie. Mais pourquoi pas ? Jean-Claude Carrière a bien été embauché par Tati pour novéliser Les Vacances de Monsieur Hulot.

Merci Arnaud, merci Olivier. Propos recueillis le 11 mai 2023

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